Au sein de la production française, une tendance se sera progressivement dégagée du cru 2023 : l’affirmation d’un cinéma de genre de qualité, porté par des auteurs doués. Citons succinctement, Le Règne Animal de Thomas Cailley (dont le succès pourrait, qui sait, en faire un « game changer« ), Vincent doit mourir de Stéphane Castang et La Montagne de Thomas Salvador. Le spectre des « French Frayeurs » des années 2000 semble loin (souvenez-vous, ces propositions fragiles et quasi systématiquement inconsistantes à de minces exceptions près), un changement de logiciel s’est opéré. Les cinéastes ne courent plus après Hollywood ou ne se limitent plus à une récitation stérile de leurs cinéphilies. Ils sont désormais enclins à proposer des fictions exploitant réellement l’hexagone et ses problématiques tant sur la forme que sur le fond. En ce sens, même le médiocre Acide de Just Philippot vient attester de ces évolutions significatives, en plus de s’inscrire sur une échelle de blockbuster local inhabituelle (il en est de même pour Le Règne Animal). La France serait-elle devenue le nouvel Eldorado du genre ? N’allons pas trop vite, il s’agit encore à ce stade d’épiphénomènes et de spéculations. Ces réussites isolées ne constituent pas un mouvement collectif, la brillante Julia Ducournau est bien placée pour le savoir, Grave et Titane étant longtemps restés orphelins. C’est dans ce contexte favorable qu’arrive sur nos écrans, Vermines, le premier long-métrage de Sébastien Vaniček, quelques semaines après une présentation en clôture de la Semaine de la critique de la Mostra de Venise. Fort d’un pitch croisant le film de banlieue et l’horreur, à l’aide d’un argument excitant sur le papier, promettant de surfer sur des peurs concrètes et répandues. Nous suivrons Kaleb (Théo Christine), bientôt la trentaine, habitant d’une tour d’occupation, traversant une période de solitude et voué à ne jamais quitter son quartier. Plus les années passent, plus il est seul : il se déchire avec sa sœur Manon (Lisa Nyarko) pour une histoire d’héritage, a coupé les ponts avec son meilleur ami Jordy (Finnegan Oldfield) et le reste de son entourage commence à douter de lui. Passionné d’animaux exotiques, il ramène une araignée venimeuse dans son immeuble. Lorsqu’elle lui échappe et pond à travers le bâtiment, Kaleb devra s’allier avec des amis qui ne croient plus en lui pour sauver sa cité.

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Film d’horreur en huis-clos mettant en scène des araignées de plus en plus grosses, nombreuses et effrayantes, Vermines se positionne à l’opposé de l’humeur actuelle du genre en France. Il tente de s’ériger en divertissement mal élevé et populaire, davantage destiné aux multiplexes qu’aux salles art et essai. Un positionnement qui n’est que peu présent dans la culture hexagonale historiquement, qui le rapproche par défaut et sans grande nostalgie aux souvenirs de Frontières, À l’Intérieur ou La Horde. Il s’impose ainsi à son corps défendant en tant qu’objet anachronique faisant écho à une période artistique peu fructueuse pour l’industrie entre resucées indigestes des classiques américains et imaginaire partiellement défini par les productions Europa Corp (alors populaires auprès du jeune public). Reste que plus tôt dans l’année, le décrié La Tour de Guillaume Nicloux, feintait un même formatage pour mieux développer un discours nihiliste se refusant à satisfaire les attentes de son audience, quitte à s’autosaborder de manière kamikaze. Sébastien Vaniček quant à lui se montre nettement moins radical, il préfère opter pour un volontarisme sincère, qui pointera malheureusement très vite ses limites. Comme plusieurs autres avant lui, ce coup d’essai pétri de bonnes intentions et de promesses s’avère approximatif et en difficulté au moment de transformer son potentiel en un résultat effectif. Conçu avec un budget restreint, et on le suppose, plusieurs contraintes qui en découlent, c’est d’abord son écriture fébrile qui interpelle. Dès le prologue, aux accents bisseux (pour ne pas dire nanardesques), le réalisateur hésite entre la série B décomplexée et une approche plus sérieuse. Une tonalité à l’indécision préjudiciable, qui met d’autant plus en exergue les nombreuses carences de l’ensemble. L’écriture confond systématiquement archétypes et stéréotypes, de ses dialogues calamiteux se voulant dans l’air du temps (citations puériles de marques et personnalités histoire de se donner une couleur verbale), à l’élaboration de ses personnages fantomatiques. La mise en place de l’intrigue (cousue de fil blanc) et son déroulé, apparaissent tels des passages obligés dont Vaniček veut rapidement se débarrasser afin de pouvoir se consacrer à la situation qui le stimule : le confinement de ses héros dans un espace peu sécurisant, infesté d’araignées. Sauf qu’à chercher une forme de simplicité narrative et une efficacité visuelle, il entache la crédibilité de son long-métrage. La sensation de travail bâclé prédomine.

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Concédons une relative qualité technique, notamment en ce qui concerne le bestiaire mis en scène (mélange convaincant de véritables araignées et d’effets spéciaux), ainsi qu’une capacité à livrer occasionnellement quelques visions non dénuées d’impact. On pense notamment à un pic de tension avéré, en dépit d’un côté Fort Boyard sur grand-écran, à savoir une séquence observant la traversée d’un couloir infesté de bestioles prêtes à surgir à l’extinction de la lumière. Ce climax, relativement soigné, soutenu par une caméra mêlant mouvements spectaculaires, cadres très rapprochés angoissants et clins d’œil pas si déshonorants à Alien, est paradoxalement symptomatique des maux fragilisant Vermines jusque dans ses atouts. Lorsque certains passages parviennent à imprimer la rétine, subsiste un arrière-goût désagréable. L’impression d’être confronté à des effets de signatures graphiques plutôt qu’à un projet de mise en scène cohérent venant servir un dessein global. Sébastien Vaniček veut à tout prix montrer ce qu’il a dans le ventre, marquer les esprits, délaissant (a priori) le sens pour la sensation. Cette perception étroite de la réalisation, qui limite l’acte à une dimension clinquante et désincarnée, a quelque chose de coupable. L’exemple le plus frappant est peut-être cette manière de styliser dès que possible l’extérieur de la barre d’immeuble (effectivement atypique) pour finalement ne jamais exploiter son architecture. Involontairement, l’image est réduite au rang d’outil marketing (en atteste la bande-annonce intrigante) ou de passeport potentiel vers l’international. Plus maladroit que mal intentionné, le jeune cinéaste tente laborieusement d’intégrer un semblant de discours à son programme attendu. Fausse bonne idée, en l’état, il ne livre que des commentaires caricaturaux sur le confinement, les violences policières, l’abandon des quartiers, lesquels ne s’expriment par ailleurs qu’au détour de répliques navrantes. Cette volonté de dire, exclut l’hypothèse du simple exercice régressif et récréatif, elle achève de décrédibiliser une entreprise déjà en fâcheuse posture. Quant au casting, melting pot d’acteurs aux potentiels inégaux et aléatoires, il ne dégage aucune alchimie collective, tout en rappelant aux distributions (on y revient encore et toujours) des fameux « French Frayeurs », il ne parvient à apporter un supplément d’épaisseur ou d’intérêt pour un récit prétexte mal agencé. Soyons transparents, nous aurions aimé défendre Vermines, vraiment, mais le résultat est beaucoup trop négligé et défaillant pour générer la sympathie ou l’indulgence. L’idée de proposer un contenu plus primaire, en réaction à « l’auteurisation » du cinéma de genre français, que certains ne manquent pas de considérer comme un embourgeoisement, était aussi audible que louable. En l’état, ce prototype sans perspective, fait juste figure de cancre doublé d’un mauvais élève.

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A propos de Vincent Nicolet

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