Accompagnée par la mélodie enveloppante et mélancolique du musicien Erik Truffaz, la somptueuse séquence d’ouverture de Demain, je traverse se donne à voir comme une variation poétique sur l’exil. Sous un ciel traversé par un vol d’oiseaux migrateurs, cinq hommes déracinent un très vieil arbre sur lequel de tendres bourgeons viennent d’apparaitre, tandis qu’une voix d’homme récite quelques vers de Mahmoud Darwich (1).
Après le beau Red rose sorti en 2015, Sepideh Farsi, réalisatrice iranienne installée en France depuis plusieurs décennies, poursuit dans la veine politique et nous dévoile aujourd’hui son nouveau long-métrage. La sortie du film tient en partie du miracle tant le tournage a constitué une longue et difficile aventure. Contrairement à ses films précédents, dont l’intrigue se déroulait en Iran, la réalisatrice a choisi de déplacer celle de Demain, je traverse entre la Syrie, la Turquie, et la Grèce. Le film met en scène la rencontre inattendue de Maria, policière grecque contrainte de quitter Athènes pour des raisons économiques, et de Yussof, jeune Syrien qui a fui son pays et la guerre. Ces deux êtres, que tout sépare à première vue, se retrouvent sur l’île de Lesbos, avant de rejoindre Athènes, où Maria apprend que sa fille, adolescente, a fugué. L’intensité de cette rencontre, la proximité immédiate des personnages, leur facilité à se livrer l’un à l’autre, tient justement à leurs différences. L’altérité conditionne ici le rapprochement bouleversant de ces solitudes. La beauté de cette rencontre fulgurante et le jeu magistral des acteurs compensent un scénario parfois un peu conventionnel.
A mille lieues des clichés touristiques, Athènes, carrefour entre l’Orient et l’Europe, est filmée comme un territoire d’où les migrants ne peuvent plus s’extirper et errent comme des spectres. La ville, touchée par la crise économique, s’appréhende d’abord à travers le flux d’informations radiophoniques qui accompagne la protagoniste au volant de sa voiture, et où grèves, manifestations, et émeutes se succèdent. Le camp de migrants à Lesbos surprend quant à lui par son immensité uniforme : on y découvre des préfabriqués à perte de vue et, malgré le bleu du ciel et les rayons du soleil, c’est une impression de froideur qui domine d’abord. Gérés par des policiers indifférents à la misère humaine, blasés à force d’avoir été exposés à ce genre de violences, ou conscients de devoir se préserver, les migrants n’en apparaissent que plus abandonnés encore, enfermés dans leur solitude.
La réalisatrice avait initialement souhaité filmer ces séquences dans le camp de Moria, à Lesbos, mais le lieu était trop dangereux, les tensions trop fortes, et Sepideh Farsi et son équipe ont dû tourner ailleurs. Rompue au genre du documentaire, elle a pu filmer un camp de manière plus ou moins clandestine d’ailleurs, souvent depuis les voitures.
A l’instar de la très belle séquence d’ouverture, la fin du film, particulièrement inattendue, est saisissante, et peut être comprise comme un hommage indirect à Bassel Shehadeh, réalisateur syrien, journaliste et militant pour la paix, mort à Homs le 28 mai 2012, à l’âge de 28 ans.
(1) Mahmoud Darwich est un des plus grands poètes de langue arabe du XXe siècle. Palestinien, il a vécu une partie de sa vie en exil.
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