Après avoir débuté en tant qu’actrice dès les années 70, principalement dans les réalisations de son père, Sofia Coppola s’est rapidement imposée comme une cinéaste importante. En près de deux décennies de carrière, elle s’est affranchie de l’héritage potentiellement lourd que pouvait induire son patronyme et a développé une œuvre aux thématiques identifiables et récurrentes (la solitude, l’ennui, les rapports familiaux tourmentés…). De son coup d’essai fulgurant, Virgin Suicides, à son récent (et fascinant) remake des Proies de Don Siegel (Prix de la mise en scène à Cannes), en passant par le magnifique et radical Somewhere (Lion d’or à la Mostra), son style parfois radical, parfois bancal (on apprécie guère The Bling Ring), ne laisse jamais véritablement de place pour les réactions neutres. Réalisatrice et scénariste (comme sur chacun de ses films), elle signe avec On The Rocks, son septième long-métrage. Produit par A24 et distribué en exclusivité par la plateforme Apple TV+, ce dernier marque ses retrouvailles avec Bill Murray, dix-sept ans après Lost in Translation. Elle convie dans sa galaxie deux nouveaux visages, Rashida Jones et le « revenant » Marlon Wayans. La première, fille de Peggy Lipton, Norma dans Twin Peaks, et de Quincy Jones, s’est fait remarquer à la télévision (The Office, Parks and Recreation puis Angie Tribecca, show dans lequel elle tient le rôle principal), le second principalement connu pour ses comédies à succès avec ses frères (Scary Movie en tête) compte aussi quelques incursions notables dans le cinéma d’auteur : Requiem for a Dream de Darren Aronofsky, Ladykillers des frères Coen. Cette comédie dramatique, mets en scène une jeune mère de famille, Laura (Rashida Jones), en plein doute quant à son mariage qui reprend contact avec son coureur de jupons de père, Felix (Bill Murray) afin d’enquêter sur son mari, Dean (Marlon Wayons).
Plus léger, que ce à quoi Sofia Coppola a pu habituer, On The Rocks s’ouvre par un dialogue père-fille (« Souviens-toi, ne donne jamais ton cœur à un garçon. Tu es à moi jusqu’à ton mariage. Et encore après ».) accompagné d’un écran noir, introduisant ainsi immédiatement le thème de la filiation. S’ensuivent des images du mariage entre Laura et Dean, de leur bonheur passé, sur fond de Chet Baker (l’ambiance n’est pas éloignée d’un Woody Allen). Élégance formelle de circonstances, à l’instar de ces escaliers circulaires descendus par les amoureux, du travelling passant sur les vêtements jonchés au sol ou de cette piscine dans laquelle se jette la mariée. Le titre s’affiche, quelques années se sont écoulées et l’ambiance a changé : contraste immédiat. L’héroïne seule dans son lit, regarde sur son poste de télévision un sketch de Chris Rock autour des couples mariés, attendant péniblement le retour de son époux. Au cours de ces premières minutes, la réalisatrice témoigne d’un souci du rythme (assez enlevé), loin de la lenteur langoureuse caractéristique de certaines de ses réalisations. Elle intègre assez tôt et naturellement à son récit, plusieurs problématiques contemporaines telles que la charge mentale, en observant Laura s’exécuter aux tâches ménagères, s’occuper de ses enfants, sans qu’elle ne puisse disposer du temps nécessaire afin d’avancer dans ses projets. Davantage une toile de fond que la thématique centrale du métrage, cette dimension s’exprime également dans le caractère fondamentalement répétitif des lieux (maison, école, bureau) et des situations (les discussions rébarbatives avec des parents d’élèves). Isolée, esseulée (sensation d’être une étrangère à la soirée où elle se rend avec son mari), négligée (les remarques offensantes de sa mère sur ses tenues vestimentaires), c’est l’entrée en scène de la figure paternelle qui va contribuer à dynamiter la routine. Le film déploie alors sa plus belle idée scénaristique, le rapprochement entre un père et sa fille tandis que son mari semble s’éloigner d’elle. Beaux moments comiques, telle cette séquence d’arrestation qui tourne à l’irrésistible one man show de Bill Murray mais aussi petites attentions faussement futiles, pleines de tendresse comme lorsqu’il lui apprend à siffler.
Superficiellement, On The Rocks, pourrait donner l’impression de rejouer à un âge plus avancé et sur un mode mineur la partition de Somewhere, dans sa façon de dépeindre une relation imparfaite en voie de guérison ou de marcher sur les traces de Woody Allen ou Noah Baumbach lorsqu’il s’agit d’observer le délitement du couple au sein d’une grande métropole. Pourtant, cette parenthèse légère, recèle un supplément d’âme et de personnalité, se dévoilant discrètement et progressivement. Le suspens autour de l’adultère, importe moins que le parcours parallèle de son héroïne, en lutte contre une condition qui l’éloigne de l’épanouissement, dont Sofia Coppola contemple délicatement les failles. À l’image de cette brève transition, où filmée en gros plan, Laura toute en tristesse contenue, s’’apprête à laisser s’échapper une larme, laquelle sera visible dans le cadre suivant, fixé sur un verre à cocktail. Quelques instants plus tard, le père et la fille, dos à la caméra, discutent face à un tableau, jusqu’à ce que que Felix n’aborde un sujet plus profond, plus sérieux. Séquence interrompue brusquement, raccordée sur la marche solitaire du personnage principal au milieu de la ville, rappelant, au niveau des sensations, du ressenti les grands motifs du cinéma de son autrice. Soudain, le visage du protagoniste inspire un mélange de tristesse et de bonheur, dont on ignore partiellement le motif, si ce n’est la satisfaction palpable d’un dialogue retrouvé. Le charme du film émane aussi évidemment de son trio d’interprètes, si nous avons déjà brièvement évoqué Bill Murray plus haut (au meilleur de sa forme), Rashida Jones, de tous les plans ou presque, constitue une révélation certaine, tandis que la composition assez subtile de Marlon Wayans, tend à l’inscrire dans la longue des acteurs sous-estimés, encore prisonnier de son image passée. Variation agréable des obsessions de sa cinéaste, On The Rocks s’il ne réinvente rien à proprement parler, ne manque jamais de charme et s’évite toujours de basculer dans l’anecdotique. Plaisant.
Disponible sur Apple TV+.
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