Chiens sans maîtres, sportifs sans avenirs
Athènes, 10 ans après les JO. Loin des ruines antiques qui font de la Grèce une destination attractive, les bâtiments sportifs du village olympique sont devenus des ruines modernes, envahies par les mauvaises herbes, les mauvaises filles et les mauvais garçons. Ce lieu, arraché du coeur de la ville et construit à la hâte, ce pourrait être nulle part, n’importe quand.
Park de Sofia Exarchou, montré dans la section Discovery à Toronto en 2016, s’est finalement frayé un chemin vers les salles françaises. Sa sortie est prévue ce mercredi 8 juin.
Le premier film de cette réalisatrice grecque est avant tout le portrait d’une jeunesse meurtrie ; génération Y d’abord enflammée par les Jeux Olympiques de 2004, puis soudainement abandonnée dans une crise économique destructrice. Parmi elle, une horde où se mélangent adolescent·e·s désoeuvré·e·s, enfants des rues et ancien·ne·s athlètes imbibé·e·s, crapahutant nuit et jour dans les terrains et locaux du parc olympique. Les piscines sont des auges croupies dans lesquelles on s’amuse à cracher pour troubler l’ennui. Dans ce chaos, Dimitris, ouvrier intérimaire dans une carrière de marbre et heureux propriétaire d’un Pitt bull reproducteur, ne quitte pas des yeux Anna, une ancienne gymnaste au corps esquinté par les entraînements.
2020 © Tamasa Distribution
Pour imprimer des sensations (et non pas un récit, car dérouler le fil classique d’une histoire relèverait d’un mensonge), Sofia Exarchou choisit d’élaguer la forme narrative à son strict minimum ; les dialogues sont épars et souvent bombardés dans une mêlée de glapissements. Aucun lieu n’est jamais filmé sans corps qui ne chahute, joue, se bagarre — à la Kechiche. Le choix d’une caméra assez distante et instable incarne d’autant mieux le mouvement perpétuel, répétitif. Les individualités sont donc dissoutes (et dissolues) tout au long du film, et on ne trouve de répit que lorsque les corps d’Anna et Dimitris sont seuls et se découvrent. Émerge alors une intimité complexe, très bien dite par l’image et le montage, et c’est là le point fort de la mise en scène — contrairement à l’animalité grégaire trop appuyée dans des scènes en grande partie improvisées, frayant avec la caricature.
2020 © Tamasa Distribution
Le rapport à la virilité prend d’ailleurs une place dominante dans le film : les petits garçons reproduisent les singeries des grands, occupent le plus d’espace possible, se traitent volontiers de lopettes ; et les filles s’alignent contre un mur pour onduler façon pole dance ou subissent, indifférentes, les harcèlements sexuels lorsque l’alcool passe de main en main… Il y a cependant quelques échappées intéressantes dans les deux personnages principaux (une fille robuste et un homme sensible au mullet sémillant) que l’on sent fatigués de ces simulacres violents et binaires, mais qui l’exécutent presque tragiquement. Une amorce intéressante de développement chez les personnages qui reste malheureusement non résolu : le glissement vers une autre société n’aura pas lieu.
2020 © Tamasa Distribution
S’il n’est pas un joyau de la narration, le film se veut manifestement symboliste : ce qui faisait le blason de la Grèce n’est plus désormais que poussière : le berceau de la démocratie devient la loi du plus fort (en témoigne une très belle scène de bras de fer), le marbre n’est plus érigé en statues mais découpé en plaques pour l’export, les plaisirs dionysiaques sont majoritairement incarnés par des chiens qui copulent et des Russes qui viennent s’aviner sur les plages des hotels. Le message passe : Hellas est lasse.
2020 © Tamasa Distribution
Mais Park peine un peu à s’élever de ce constat, et alors qu’on se laisse enfin apprivoiser par son rythme atmosphérique, ses accords humides de guitare électrique de fin du monde, on s’embarque dans une rencontre finale qui aurait pu être le début d’un autre film. La trajectoire de la metteuse en scène Sofia Exarchou est à suivre malgré tout pour des aventures prometteuse dans le monde d’après.
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