Sophie Blondy – « L’Étoile du jour » (2012 – 2016)

Un petit cirque de province installé dans une ville grisâtre de la côte d’Opale, au nord de la France – L’Étoile du jour a été tourné, entre autres, à Merlimont. Une mer plutôt étale, mais le vent qui souffle, constamment et bruyamment, dans les herbes blondes, à travers les dunes. L’écume… des jours. Une lumière parfois crépusculaire.
Dans la famille du cirque, il y a Heroy, un Monsieur Loyal déloyal ; Zéphyr, un magicien, génie de l’entourloupette ; des clowns relativement tristes et, parmi eux, Elliot, interprété par ce monstre sacré qu’est Denis Lavant ; Zorha, une voyante, cartomancienne, aux seins généreux, au visage de serpent et à la voix de lionne hystérique ; un géant muet ; une danseuse séraphique ; un monsieur-muscle mélancolique…

Elliot, Heroy, Angèle, Zorha vivent une rivalité amoureuse, où le désir ardent et la jalousie mesquine attachent et déchirent. Heroy martyrise et vole son personnel. C’est un Harpagon qui pourrait s’être rendu coupable, avec l’aide de Zéphyr, du meurtre du directeur d’un autre cirque.

Elliot est un personnage sauvage et hypersensible, un enfant-adulte qui a du mal à contrôler ses émotions, ses démons, l’agressivité qui l’agite. À ses côtés, devant lui, en lui, un être solaire et pur, mi-Christ mi-Chaman, qui tente de le calmer, de le dompter. Sans mots, mais à travers le langage et l’action du corps, les signes sensoriels. Qui le fait accoucher de son étoile, lui fait positivement cracher, non pas sa Valda, mais sa Chance.

Sophie Blondy nous propose un conte tragi-comique où la réalité diégétique est constamment mêlée à l’univers mental des personnages – Elliot, mais aussi Heroy. Elle est servie par une incroyable brochette d’acteurs : Lavant, donc, époustouflant comme à son habitude, à la fois naïf et spectral, et dont le visage est terriblement et magnifiquement sculpté par la lumière ; mais aussi Iggy Pop, hiératique, et dont le silence est justifié d’emblée par le fameux « Shhhhh » de China Girl ; Tcheky Karyo, Béatrice Dalle… Des personnalités fortes et profondes, des natures. C’est son principal atout.
On sent aussi un désir de poésie et une liberté artistique effective, fort touchants. Un amour de ce Cinéma – qui a été art forain – que l’on construit avec ses mains, parce que l’on aime le travail d’auteur, d’artisan, et aussi parce que l’on est obligé de faire avec les moyens du bord. La poésie de Sophie Blondy passe donc par des effets apparaissant, certes, souvent datés, mais aussi assumés comme tels : la surimpression, l’accéléré, la saccade, l’image saturée et surexposée, le plan fixe, le flou, la monochromie…

Sophie Blondy, ex-danseuse, réalisatrice qui en est désormais à son second long métrage, est très présente autour de ce film. Elle rayonne de son beau visage, et porte son bébé avec courage et détermination. Tourné en 2011, L’Étoile du jour a attendu cinq années avant d’être proposé en salles. Blondy a sué sang et eau pour se sortir de difficultés notamment dues à la défection du producteur initial. Ce combat doit être mentionné. Il est exemplaire.

On pourra reprocher à L’Étoile du jour et à son auteur les trop nombreuses et évidentes références au cinéma muet – les expressions et la gestuelle d’Elliot -, au cinéma expérimental – les effets visuels, dont certains ci-dessus évoqués. Les clins d’oeil plus ou moins volontaires à l’univers de Busby Berkeley, de Vigo, de Fellini, de Lynch… à Freaks de Browning, à Rumble Fish de Coppola… Sans parler d’Apollinaire ou de Fréhel… On pourra regretter que certains personnages comme Elliot, mais aussi que l’intrigue criminelle ne soient pas davantage creusés et construits, restent à l’état d’un trop fin filigrane, comme en chantier ; donnent l’impression que le film est décousu et plus esquissé qu’abouti.
On pourra être irrité par une symbolique pesante – un ensemble d’idées, d’objets-signes emmagasinés avec facilité par la réalisatrice : la prison, la clé, la fée rock avec son balai motorisé en osier… le « secours », la passion, la pureté, l’angélisme, le destin et la fortune… Mais le degré atteint par cette lourdeur et cet allègre saupoudrage peut finalement provoquer une certaine jubilation chez le spectateur.

Ce film a le mérite d’exister… Il est un sourire étincelant dans le sombre paysage actuel. Il faut, nous aussi, vous aussi lui donner sa chance !

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