Avec « Gaby, Baby Doll », Sophie Letourneur semble nous indiquer qu’elle ne compte pas se laisser enfermer dans la comédie de microcosme, parfois pointée du doigt dans ses deux premiers longs métrages. Elle s’attache donc plutôt à se tourner très franchement vers la comédie romantique à connotation poétique, nouvelle confrontation entre deux « inadaptés » débouchant progressivement sur une variation très directe autour de la figure du conte.

Situé en Bourgogne, en grande partie tourné dans la maison de la réalisatrice et sans faire figurer un quelconque road trip, Gaby, Baby Doll confronte son héroïne à une peur maladive de la solitude, tout particulièrement arrivé la nuit. Invitée par son médecin à passer un certain temps seule dans la vaste demeure qu’il lui prête, Gaby perd le groupe d’ami l’ayant accompagnée et son petit copain du moment, lassé de servir essentiellement de garçon de compagnie.

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Le poids de l’énergie brute des réalisations précédente de Letourneur repose cette fois presque essentiellement sur les épaules de la seule Lolita Chammah. Celà en est d’autant plus remarquable pour l’actrice, puisque l’héroïne se retrouve confrontée à un certain vide, sans répondant de son acabit. Une interprétation qui pourrait tourner au cauchemar pour le spectateur, mais elle se révèle particulièrement bien canalisée, créant progressivement un personnage plutôt drôle et vite attachant, qui est pour une grande part du plaisir que l’on peut prendre à la vision de ce film. En contrepoint, Benjamin Biolay qui incarne Nicolas, un « gardien du château » vivant isolé avec son chien dans une vieille cabane, n’en fait pas trop dans la distanciation comme on pouvait le craindre : les deux bêtes vont pouvoir s’apprivoiser avec un équilibre plutôt bien tenu dans leurs scènes à deux.

Un certain mauvais esprit pourrait cependant faire figurer au travers de cette romance progressive une rencontre entre un fond assez « twee » (derrière le relatif laisser-aller, on peut retrouver dans Gaby cette nouvelle appellation sociologique sensée mettre dans une case un gout peut-etre récent pour les superficialités « gentilles », un peu coincées dans l’enfance), et la figure du « hipster » urbain presque très simplement transférée dans un cadre champêtre assez artificiel, nouvelle forme de bête cachant un prince dandy bien plus identifiable et intemporel dans l’imaginaire…

Autre point problématique : les visites au village (surtout un café et dépôt de pain / épicerie), et toutes les scénettes répétitives avec quelques villageois paraissent aussi souvent un peu trop programmées et circonscrites, tout comme ces promenades presque chorégraphiées : on est pas dans In another country… La réalisatrice a souvent clamé son admiration pour Hong Sang-soo, on pense évidemment à lui dans ces moments là, mais Letourneur tombe surtout dans l’écueil d’une caractérisation illustrative des figures secondaires et des chemins de traverses virant à une « poésie de l’immuable » qui n’a pas grand-chose à voir avec le cinéaste coréen, dont les répétitions font paradoxalement tout autant ressentir le caractère imprévisible et spontané des évènements.

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Sans doute Letourneur cherche t’elle d’ailleurs à marier ces émotions ressenties chez HSS, avec un goût profondément premier degrés pour la narration et ses figures archétypales, un travail d’écriture assumé et une construction des personnages très défini, au-delà de son héroine et de ses névroses. Mais même trituré comme dans son Marin Masqué, cette « envie de candeur » a du mal à rencontrer une matière qui chez l’auteur de Sunhi tient essentiellement à son dispositif de tournage. La forme du récit devient vite fermée et prévisible, et la maladresse atteint un certain point avec la musique originale, pourtant belle, composée par Yongjin Jeong, collaborateur attitré de Hong Sang-soo, qui n’a plus vraiment de contraste…

S’il reste agréable, Gaby, Baby Doll est donc assez transparent et c’est fort dommage, car on retrouve derrière ces maladresses une dynamique dans les dialogues et une direction d’acteurs qui reste très prometteuse encore une fois, une propension aussi à être attentif à la forme au travers de cadrages souvent élégants et inspirés, meme si parfois attendus. La photographie en va de même, chaleureuse et soignée, avec des scènes nocturnes très réussies. Mais  la réalisatrice semble avoir du mal à passer du moyen métrage au long, avec des prétextes sommes toutes assez limités qui sont peu transcendés. La Vie au Ranch avait pour lui de ne presque rien vouloir « raconter », au-delà du parcours de ses jeunes héroïnes, captées dans un mouvement général qui leur échappait. Au contraire de ça ici ou dans Le marin masqué, la réalisatrice semble avoir une affection profonde à l’idée de raconter des histoires dans le fond très pures, tout en se montant très consciente de limites pourtant bien artificielles, en faisant des seuls contours ce qui tend à la poésie. C’est un peu un coté qu’on dirait caricaturalement « à la Wes Anderson » aujourd’hui, qui lui réussit moins. Il y aurait un dosage à trouver, peut-être des références qui sont encore à digérer?

En salles depuis le 17 décembre 2014

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A propos de Guillaume BRYON-CARAËS

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