La jolie et pétillante Charlotte doit se rendre à l’évidence. Son petit copain du moment est gay. La rupture est inévitable. Mais, pour Charlotte, c’est tout un édifice qui s’écroule. Si l’on n’est pas sérieux à 17 ans, en revanche, on prend tout au sérieux à cet âge là. Et une peine de cœur n’a rien de futile dans une existence tout entière ramenée au désir. Alors, la jeune fille se saoule et fume des bangs avec ses deux meilleures copines, Aube et Mégane. Sa vie est foutue à cet instant. À quoi bon continuer si l’amour de votre vie est un homosexuel? Mais, ses états d’âme, empreints d’une douce ironie, pleine d’affection, ne durent pas. Toujours triste, mais plein d’entrain, Charlotte trouve un petit boulot temporaire, en compagnie de ses amies, dans un magasin de jouets en période de fêtes. Les jeunes vendeurs sont tous de charmants garçons. Pour oublier son chagrin, Charlotte enchaîne les conquêtes sans lendemain et, surtout, sans réfléchir à un quelconque impact. Mais elle se fait rattraper par la rumeur. Que penser d’une fille qui s’est amusée avec presque tous les employés de l’entreprise? On lâche le mot qui se profile du bout des lèvres par certaines personnes sans distinction de sexe… Une « salope » : les temps changent, mais les clichés sur les rapports hommes-femmes perdurent. Donc Charlotte a un plan pour contrecarrer le regard des autres enraciné dans une forme d’archaïsme. Elle décide de devenir abstinente et d’entraîner son entourage féminin dans sa quête. Attention ne vous méprenez pas ! Charlotte a 17 ans, dont le premier titre québécois était Salope dans le bon sens du terme, puis Charlotte a du fun, n’a rien d’une chronique sociale sur la jeunesse contemporaine assénant un discours didactique et féministe. Le propos est ailleurs, même si le film défend une idéologie progressiste avec une simplicité admirable.
Actrice aperçu chez Denis Arcand, Sophie Lorain signe après Les grandes chaleurs un second long métrage d’une fraîcheur juvénile à contre-courant de la production cinématographique contemporaine. A 60 ans, la cinéaste semble être tombée dans une fontaine de jouvence tant son film respire la jeunesse, l’innocence et une folie contagieuse.
Passé le plaisir immédiat de découvrir un film québécois anachronique à plus d’un titre, il convient de revenir sur l’admirable travail de mise en scène conférant au projet sa force centrale. Dès l’ouverture, une question se profile : pourquoi tourner en noir et blanc une œuvre en prise avec l’air du temps, ancrée en apparence dans une contemporanéité bien installée? La première réponse serait d’ordre purement rhétorique: pourquoi réaliser un long métrage systématiquement en couleur? La rareté des productions en noir et blanc incite toujours à réfléchir sur le choix d’une telle orientation. Or, ce choix technique a sa place et manque cruellement dans un paysage artistique formaté. Face à ce film, déroutant, drôle et bourré de charme, la question se pose néanmoins. D’autant que la réalisatrice évite les écueils d’un cinéma branché underground post-Jarmusch. Il ne s’agit ni de minauderie publicitaire ni de geste artistique expérimental clamant son indépendance, mais d’un vrai choix esthétique, instaurant une distance, voire même une déconnexion d’une réalité pour en investir une autre centrée autour des sentiments.
Cette fuite du réel, de l’ancrage social, passe par un travail admirable sur la composition du cadre, extrêmement étudié, par la fluidité du montage et des mouvements de caméra créant une rythmique saisissante scandée par le charme des dialogues brillants mis en valeur grâce au charme fou de l’accent québécois qui n’avait jamais semblé aussi poétique, musical presque.
Sophie Lorain crée des situations ubuesques, par la grâce de l’écriture, convoquant le cinéma burlesque. Les va-et-vient étourdissants des personnages dans le magasin de jouets, sorte de monde-bulle évoluant dans un espace-temps poreux, ravive l’esprit ludique et mélancolique d’un grand cinéaste de l’adolescence, décédé il y a maintenant 10 ans, John Hugues, l’auteur inestimable d’une poignée de chefs-d’œuvre dans les années 80. Comme chez John Hugues, Sophie Lorain possède l’art de croquer le portrait d’une jeunesse insouciante brûlant d’énergie en évitant de poser sur elle un regard complaisant ou condescendant. Évidemment, les temps changent un peu. Le discours prude -et non puritain – de John Hugues laisse place à une vision moderne et joyeuse du sexe et des sentiments amoureux. Mais au fond, le regard plein de tendresse est très proche. Sophie Lorain filme sensuellement des jeunes gens romantiques qui vivent dans un univers clos, marqué par l’absence des adultes au sens stricte (personne n’a plus de 20 ans dans le film). Cette dimension, appuyée par le fait que l’action se passe dans un magasin de jouets, accentue l’atmosphère insolite et vivifiante de cette comédie joyeuse, non dénuée de gravité.
Emporté par une troupe de comédiens investis qui font corps avec la mise en scène, comme dans une comédie musicale, Charlotte a 17 ans est un film lumineux et intemporel qui pourrait ravir aussi bien les jeunes d’aujourd’hui que les quadragénaires qui ont été bercés par les merveilleux Breakfast club ou La Folle journée de Ferris Bueller.
(Québec-2018) de Sophie Lorain avec Marguerite Bouchard, Romane Denis, Claudia Bouvette, Rose Adam
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