Trouble dans le gèn(r)e
Deuxième semaine à l’affiche pour le documentaire autobiographique de Stéphane Riethauser, Madame, que nous avions vu et chroniqué dans nos carnets de Locarno en 2019. Le rendez-vous en salles était initialement prévu pour mars et ajourné pour cause de pandémie.
“Adieu”. Ce mot solennel prononcé dramatiquement dans le répondeur, plusieurs fois, au gré des messages vocaux laissés par la grand-mère du réalisateur (“grand-maman”, dans le texte), prennent dans Madame une tournure affectueuse. Pour parvenir à nous toucher au coeur, Stéphane Riethauser s’est armé d’un colossal matériel d’archives super 8 et de photos de famille, car par chance son père avait comme lui la fibre d’un documentariste de l’intime. Comme en réponse à ses message vocaux, comme un coup de fil qui survient trop tard, il s’adresse à sa grand-mère. “Je veux (…) te dire les choses qu’il n’était pas possible de se dire. Je veux te parler d’amour et des choses qui concernent notre sexe”.
2020 © Outplay – Madame
Et sa grand-mère Caroline, née en 1909, c’était, a minima, “une grande dame” issue de la bourgeoisie genevoise catholique. Un pendant lumineux de Tatie Danielle, doublée d’une femme d’affaires impitoyable et d’une artiste sur le tard. Une vieille dame à l’autorité et au chic redoutables, à la mise en plis impeccable, aux plaies émotionnelles jamais vraiment refermées. Le regard de l’aïeule, derrière la lentille du jeune Riethauser, nous saisit par son immédiateté. C’est un regard ravagé d’amour, que seule l’espièglerie habille. Ce qui nous trouble dans Madame, ce n’est pas tant les projections du petit Stéphane sur la figure matriarcale et le modèle qu’elle incarne, ou l’hommage… mais plutôt la permanence de cette grand-mère dans la vie du Stéphane d’aujourd’hui. Ses goûts artistiques, ses choix, son rapport aux valeurs. C’est un dialogue au présent où le réalisateur dresse à travers l’histoire de sa grand-mère un autoportrait teinté de dérision, de politique et de métamorphoses.
2020 © Outplay – Madame
Ainsi, sur les délicieux tubes des années quatre-vingt et nonante, il déconstruit l’homophobie issue du patriarcat bien intégré dans son enfance — la sienne, et celle des autres — pour arriver à l’homme militant qu’il est devenu aujourd’hui. Sa “dame” et lui sont animés du même sentiment d’indignation. Des transformations parodiques sous les traits d’une femme (la pute ou la ménagère, au choix), à la véritable transformation de son rapport à l’assignation de genre à la naissance : ce film est un pas de géant. À vos masques !
“La vie est une bataille où l’on n’a pas le droit à des états d’âme”.
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