Au début des années 2010, Djo, d’origine ivoirienne, est livreur et vit temporairement chez sa mère, en y accueillant sa fille une semaine sur deux. La question du logement est déjà délicate chez cette famille dont le salon se transforme toutes les nuits en dortoir, mais lorsqu’une tante de Djo fuyant le conflit ivoirien débarque avec ses trois enfants, la situation devient critique. A la recherche d’une solution, face aux demandes de plus en plus nombreuses et au contact d’un promoteur immobilier, Djo devient marchand de sommeil.
Subtilement, intimement engagé et en prise avec le contemporain, le film de Steve Achiepo s’inscrit à la fois dans l’urgence, sociale et politique, tout en optant pour une dramaturgie proche du cinéma de genre, avec une montée en tension remarquablement maîtrisée. Stylisé et intime, Le Marchand de sable est porté par un lyrisme qui permet de prendre de la hauteur et de toucher à l’universel. Dès l’ouverture, où le temps semble s’écouler minute par minute comme dans un Kechiche, une incroyable scène de fête d’anniversaire dans le modeste appartement familial, le réalisateur installe un ultra réalisme totalement en prise avec les enjeux sociétaux mis en exergue, il nous fait ressentir le battement de cœur des protagonistes en captant l’instant T, pour ensuite mieux s’en échapper en naviguant vers le symbolique, jusqu’à s’ancrer dans les ressorts, la force et la beauté de la tragédie.
Le Marchand de Sable est émaillé de scènes puissantes, habitées par des personnages qui sortent des archétypes et questionnent ainsi finement la question morale soulevée par le sujet : en saisissant toute la complexité de la situation, Steve Achiepo dresse un constat troublant sur un dysfonctionnement voulant que le fait de devenir hors-la-loi se révèle une solution plus efficace que celles proposées par l’Etat. En plaçant en parallèle l’activité illicite de Djo, porté par l’excellent Moussa Mansaly, et celle, légale et professionnelle, de la mère de sa fille (Ophélie Bau, incroyable de force et de naturel), travailleuse sociale confrontée quotidiennement à une détresse à laquelle elle ne peut répondre, faute de places en foyer, Le Marchand de Sable devient politique, d’une manière d’autant plus efficace qu’il opère sans démonstration. L’évocation des responsabilités de l’Etat passe par son absence même, son silence, comme une mise en évidence implacable. On note alors une forme de paradoxe entre l’incapacité des services sociaux, submergés, à loger la famille, et la solution apparemment parfaite qui tient parfois du miracle, des marchands de sommeil, qui sous condition d’un petit arrangement trouvent un toit aux personnes.
Poussée par cette recherche de l’objectivité totale qui n’est pas sans rappeler la démarche de Jimmy Laporal-Trésor pour son formidable Rascals son impressionnante mise en scène nous intègre au mouvement du chaos. En flirtant parfois avec l’épouvante le réalisateur rend compte de l’urgence à laquelle sont soumis les personnages et dresse un constat migratoire alarmant, des centaines de familles étant concernées, et ce au sein de toutes les extractions sociales, en sachant que le clivage social persiste et que ceux qui ont le plus d’argent auront plus de chances de survivre.
Le Marchand de sable se nourrit puissamment de la beauté de ses personnages, qui prennent tous chair, dans l’intelligence de l’écriture, et dans le remarquable travail de Sébastien Goepfert à la photographie. Steve Achiepo témoigne ici d’une véritable patte. Sans angélisme, sans naïveté, le réalisateur d’origine ivoirienne a su dresser un constat éclairé et pertinent. En entretien, il fait allusion à des séquences de « scénario pirate » tournées en parallèle au projet officiel si le temps le permettait, avec des moments plus improvisés, pris sur le vif, comme autant de moments volés. C’est exactement cette sensation que transmet Le Marchand de sable : une instantanéité pleine d’énergie et de vérité.
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