Depuis plus de trois décennies, Steven Soderbergh réalise des films dans tous les registres, sous toutes les formes, sans à priori vis-à-vis de la forme ou du média. En effet, cet artiste prolifique a enchaîné les succès critiques et grand public, tout en tentant toujours des expériences et des mises en forme singulières, sur grand écran bien entendu, mais aussi à la télévision ou sur des plateformes.
Il serait actuellement ardu, et ce travail serait probablement à faire tant Soderbergh a un aspect à la fois fascinant et tout à la fois insaisissable, d’analyser son œuvre et d’en extraire quelque fil rouge, à l’instar des blondes chez Hitch ou du fétichisme des pieds féminin chez Tarantino. En effet, à la vision du chef d’œuvre Traffic puis d’Hors d’atteinte, en passant par Contagion, outre des qualités intrinsèques, que pourrait dire l’amateur de cinéma sur les obsessions de son auteur ? Probablement qu’une analyse poussée permettrait de produire une sorte de portrait en creux, toutefois les quelques constantes qui ressortent nous en disent bien peu : l’homme est loyal, aime à travailler avec les mêmes personnes et fait probablement partie de cette catégorie de réalisateur plus à l’aise avec la question de la façon de raconter une histoire que celle-ci en elle-même.
Bref Soderbergh serait une vraie anguille, exprimant tant de choses à travers ses films sans jamais se dévoiler.
En cela, son Presence aurait une forme de cohérence avec le reste de sa filmographie. Effectivement, le film tient sur un concept, lequel met en avant une forme cinématographique, aussi basée sur un montage non linéaire. Pour le reste, les règles qu’il s’impose sont simples, nous voilà dans les yeux (?) d’un esprit qui hante une maison, au moment où une famille s’y installe. L’unité de lieu est de mise, ainsi que des plans séquence comme symptôme d’un état subi, dont on ne peut s’échapper.
Ainsi, le comportement des quatre protagonistes de cette famille – un peu dysfonctionnelle sur les bords – va être ausculté par les yeux du fantôme/spectateur. Là, Steven Soderbergh met en place un dispositif qui se révèle jubilatoire dans la première partie du film, celui qui met en jeu le voyeuriste plus ou moins caché en chacun de nous.
Lorsque le réalisateur fait planer l’ombre de l’inceste dans la construction d’une structure familiale forcément déséquilibrée, c’est un tabou effarant, un non-dit, qui est alors donné à voir.
Le spectateur en ressent un plaisir un peu malsain, ainsi que dans l’exploration des liens familiaux, en particulier mère (Lucy Liu formidable) – fils, et père – fille.
Le dispositif fait long-feu, notamment avec l’introduction d’un cinquième personnage, jeune homme à la beauté vénéneuse, et avec lui une intrigue plus classique de rivalité entre le grand frère à qui tout réussi et la petite sœur complexée. Dans la « peau » du fantôme, le spectateur en jauge toutes les réactions et ses interactions avec le monde des vivants.
Contrairement aux échos relayés suite aux projections du film sur la peur supposée des spectateurs, l’enjeu est bien moins celui de la terreur que celui du jugement, celui face aux agissements de l’esprit jugeant des faits et gestes de la petite sœur, et c’est là une des clés du film.
Nous voici, et c’est à la fois attendu et décevant de la part d’un réalisateur aussi important que Soderbergh, face un discours qui tombe rapidement dans une forme de facilité post me-too, tout en refusant de faire réellement face à ce qui le constitue de manière systémique.
En singularisant le contexte, l’occasion d’évoquer une certaine banalité du mal quand est évoquée le chapitre des violences sexuelles et des féminicides est indubitablement manquée. Au regard du hasard du calendrier, le film paraît quelques semaines après le procès de Mazan et questionne l’opportunisme du réalisateur sur ces questions.
Presence se révèle intéressant, voire passionnant par instant, lorsqu’il observe une famille américaine de la classe moyenne supérieure à la dérobé, ou par ses plans séquences dont la volonté est de susciter des réactions viscérales chez le spectateur, impuissant en lieu et place du fantôme. Tout est fait pour multiplier les fausses pistes et prendre le spectateur à défaut. Toutefois, tout cela retombe dans une partie finale qui ne parvient plus à masquer ses effets.
Il est tout à fait vrai de dire que si le film avait été fait par un jeune auteur, celui-ci pourrait être jugé comme un bon film de festival (Sundance pour ne pas le citer), audacieux ou même malin, malgré quelques imperfections. Seulement, Soderbergh livre ici une copie qui semble en-deçà de son talent.
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