Par son titre, This is my land joue des références et du contrepoint. Il évoque d’abord un hymne à la liberté, le long métrage américain de Jean Renoir, This land is mine (Vivre Libre, 1943). Plus directement, le documentaire de Tamara Erde cite le film d’animation critique de Nina Paley, lui aussi titré This land is mine (2012). On le voit projeté sur le mur de classe d’une école mixte, réunissant des enfants des populations israélienne et palestinienne, accompagné humoristiquement du chant patriotique de Pat Bonne, porté par la voix profonde d’Angus Williams. This land is mine est une parodie les conflits qui ont baigné de sang la terre de Judée, des origines à nos jours. This is my land est, quant à lui, une histoire d’école et de territoires, une histoire millénaire qui n’en finit pas d’être prisonnière de ses mythes et de son passé.

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Tamara Erde choisit d’observer l’école pour se tourner vers l’avenir. La réalisatrice israélienne enquête sur les rouages des systèmes éducatifs palestinien et israélien en se demandant comment ils pourraient faire évoluer le conflit. Si l’apprentissage de l’histoire relève d’idéologies partisanes, le roman national à tendance propagandiste s’inscrit dans la nécessité, pour chaque peuple, de consolider son identité. Pour les Israéliens, il s’agit d’une part de trouver une terre où vivre en sécurité après la Shoah, d’autre part d’accomplir un destin lié à la terre d’élection du peuple juif. L’historienne Nurit Elahd Elahan voit en cela une impasse, une approche qui ne permet pas de vivre avec le voisin arabe. L’école arabe a, quant à elle depuis 1995, centré ses programmes sur l’identité du peuple palestinien. Pour le Professeur Mohamad S. Dajani Daoudi, qui y voit les bénéfices pour la structuration du peuple arabe, il faut encore aller plus loin pour que les deux populations puissent se construire une histoire commune.

Tel est donc le problème soulevé par ce documentaire : partiale et lacunaire, l’histoire officielle est sous-tendue par le conflit et contribue à entretenir une constante méfiance de l’Autre. Mais il n’est pas seulement question des programmes scolaires dans This is my land. Les enseignants prennent aussi des libertés vis-à-vis du ministère de l’Education, se nourrissant de leurs expériences et se heurtant parfois à leurs propres empêchements. Tamara Erde recueille leurs récits singuliers, vigoureux, parfois résignés, mais tous ont à cœur l’avenir des enfants qu’ils ont entre leurs mains. Les élèves, eux aussi ébranlés par les traumatismes de cette guerre, veulent bien confier des bribes de leur personnalité. Sentiment d’humiliation pour les Arabes maltraités, colonisés ou chassés de leurs terres ; sentiment d’insécurité pour les Israéliens qui se sentent menacés : les paroles âpres des adultes comme des enfants laissent peu de place à l’espoir d’un avenir meilleur. En écho à cette violence intime, qui ébranle les murs de l’école, les images tournées à l’extérieur choisissent de montrer un territoire lui aussi chaotique. Sans commentaire, la voiture de la réalisatrice se déplace d’une école à l’autre, roulant le long du mur de séparation et de ses barbelés, traversant des paysages arides et des villages en territoires occupés. Il y a, dans This is my land, une atmosphère pessimiste, qui s’étoffe à mesure que se déploie le discours amer des intervenants.

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Le contraste des lieux de tournage est saisissant. Tamara Erde a choisi d’entremêler les séquences : d’une école publique israélienne de Haifa à une école publique palestinienne de Ramallah, d’une école non gouvernementale mixte en Israël à une école juive orthodoxe en Judée Samarie, les tenues, les propos et les conditions de travail diffèrent. Les murs délabrés de l’école de Ramallah n’ont rien de commun avec les moyens dont dispose l’école mixte située en Israël. Sans conteste, l’école religieuse est la plus fermée, la plus tournée vers un nationalisme de combat, alors que l’école mixte permet la confrontation des points de vue arabe et israélien. Cependant, là encore l’espoir d’une coexistence reste mince. Une enseignante arabe prend certes la liberté de critiquer les programmes israéliens, mais elle ajoute que si chacun tient à son discours, alors il n’y a plus de possibilité commune d’avancer.

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C’est effectivement ce qui se dégage de This is my land, quand on prête attention aux désignations de l’altérité. L’Autre, dans la bouche des enfants, c’est le Juif ou l’Arabe, c’est toujours un ennemi. Pour tenter de dénouer les crispations, le professeur de Ramallah invite ses élèves à rédiger une lettre à élève juif de France et à un élève juif d’Israël. Il leur permet ainsi de dégager une altérité multiple, pour échapper aux représentations monolithiques. Effectivement, les écoliers ne vivent pas dans l’innocence et la quiétude. Certains parlent de la Shoah, de leurs grands-parents qui leur ont légué la responsabilité de veiller sur leur terre chérie. D’autres racontent des traumatismes plus récents, comme cet enfant que sa mère tenait dans ses bras quand elle a été frappée d’une balle mortelle, tirée par un soldat israélien. Il y a aussi ce lycéen, incapable de s’emparer de la signification du mot « shalom », parce que, nous dit-il, la paix est quelque chose qu’un adolescent de 17 ans ne peut pas définir.

Tamara Erde considère les positions de chacun avec respect, mais on sent chez elle un regard plus critique vis-à-vis de l’orthodoxie des programmes israéliens. En suggérant que les représentations du territoire sont le fruit des idéologies, des fantasmes et des guerres, elle offre à voir l’école comme une terre inclusive, pour peu que les enseignants sachent s’emparer à bon escient de la liberté qui leur est donnée en son sein. Il est là le message d’espoir de This is my land.

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A propos de Miriem MÉGHAÏZEROU

1 comments

  1. PAULHAN

    L’article m’a beaucoup intéressé car je suis à la recherche d’informations et de commentaires qui nous permettent d’échapper au manichéisme et au simplisme, d’autant plus choquants que leurs tenants sont rarement exposés.
    Il faut espérer que le film sera présenté à la télévision (ce serait la mission d’Arte ou de la 5). Certaines parties de l’article m’ont rappelé l’impressionnant documentaire IZKOR, le film d’Eyal Sivan (1990).

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