Thiên Ân Pham – L’Arbre aux papillons d’or

Le propre d’un mystère au cinéma n’est pas toujours de s’éclaircir, mais parfois de s’épaissir. De nous immerger dans les brumes d’un Vietnam aquatique et touffu. De nous opposer à une muraille de buffles impavides. De nous plonger dans une enquête se muant en quête de soi et en quête spirituelle. Le propre de certains êtres semble de même, par leur opacité aux autres et à eux-mêmes, de personnifier ce type de mystère. Il s’agit alors de s’abandonner aux uns et aux autres, aux rencontres qui font signe. Et délicieusement, infiniment, se perdre.

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Thien, le personnage principal de L’Arbre aux papillons d’or, premier long métrage de Thiên Ân Pham, offre d’emblée quelque chose de la patience et de l’opacité butée du buffle, l’animal emblématique du Vietnam. Cette opacité qu’il va opposer durant les trois heures du film s’avère également celle qui entoure son existence et s’oppose à lui-même, le maintenant à côté du réel, sorte de Meursault asiatique retranché derrière son écran. En retrait dès le départ, prenant un verre en terrasse avec ses amis à Hô Chi Minh-Ville, il ne se prononce guère sur le sujet de la foi alors au centre de la conversation, se cantonnant à pointer l’ambiguïté de cette dernière. Le grave accident où sa belle-sœur va perdre la vie à côté de cette terrasse mettra des heures à l’atteindre, au prix d’un téléphone portable vibrant indéfiniment, obstinément dans le vide tandis qu’une masseuse s’apprête à le masturber : ainsi le réel l’appelle-t-il tandis qu’une main anonyme, une main autre se charge de contenter son corps. Cependant, cet accident qui va l’obliger à prendre en charge son petit neveu Dao va créer la lente et profonde onde de choc se propageant en une sorte de voyage intime qui permettra enfin au réel de le rattraper et le questionner. Qu’est devenu et où vit son frère, disparu après avoir abandonné femme et enfant ? Pourquoi celle qui fut le grand amour de Thien l’a-t-elle quitté avant d’entrer dans les ordres ? En renouant avec son passé, en se reliant avec ce réel dont la grande ville l’avait coupé, Thien s’ouvre à une sorte d’appel du divin — la religion n’est-elle pas ce qui relie ?  — et à une sortie de la maladie du lien qui le coupait des autres comme de lui-même.

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Sous un objectif curieux aux mouvements millimétrés, Thiên Ân Pham laisse se dérouler cette quête erratique imposant un retour aux sources dans le Vietnam profond, ses hauts plateaux majestueux à la mélancolie méditative, nous plongeant lentement dans un espace-temps dilué au fil de longs plans-séquences. À l’image des tours de magie auxquels excelle Thien, le réalisateur excelle à nous faire perdre pied, à laisser se fondre rêve et réalité comme à l’approche du sommeil, à nous faire devenir Thien, montagne, eau, brume. En nous reliant à un monde plus vaste.

Languide et hypnotique, sensoriel et onirique, L’Arbre aux papillons d’or nous rappelle que pour un certain art et à une lettre près, le rêve peut être le réel et inversement. Réalisé « à l’instinct », le film réussit l’étrange prouesse de s’insinuer entre réalisme, onirisme et style documentaire, entre vie et mort, dans un univers flottant qui ne saurait vraiment être comparé à un autre même si le réalisateur confie avoir été impressionné par Buñuel et Bela Tarr. La sensibilité frémissante et l’impressionnante maîtrise formelle au service d’une écriture très personnelle imposent ici une nouvelle vision d’auteur justifiant amplement sa Caméra d’Or au Festival de Cannes 2023.

Thiên Ân Pham ne vient pourtant pas du sérail. Formation sur le tas, petits boulots de vidéaste de mariage à Saïgon et déjà, prix du court-métrage pour Stay Awake, Be Ready lors de la Quinzaine des Cinéastes en 2019, il s’est entouré d’acteurs non professionnels, de résidents locaux, d’un directeur de la photo ami d’enfance en travaillant en lieux réels et en éclairages naturels. Cheminement exigeant qui peut mener loin.

FICHE TECHNIQUE

Pays de coproduction : Vietnam, Singapour, France, Espagne

Auteur-réalisateur-monteur : Pham Thien An

Directeur photo : Dinh Duy Hung

Durée : 2h58

Sortie France : 20/09/2023

Format 4K DCP Son Dolby Atmos

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A propos de Danielle Lambert

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