Après les Apaches, premier long-métrage remarqué et sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2013, Thierry de Peretti revient avec un film coup-de-poing absolument nécessaire, à mi-chemin entre le film d’action et le documentaire. Le réalisateur, qui est né et a grandi en Corse, se penche dans Une Vie Violente sur une période trouble de l’île, entre la fin des années 90 et le début des années 2000, marquée par les luttes armées, les règlements de compte et les meurtres. Si l’on peut regretter une certaine sécheresse dans le traitement de son film, le réalisateur a le mérite de mettre en lumière des enjeux historiques et politiques tout à fait passionnants, majoritairement inconnus du grand public, et de poser la question de l’action légitime et juste, même quand elle est illégale.

Copyright Pyramide Distribution

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           Le prologue du film, percutant et efficace, nous fait pénétrer dans un univers de vendetta dominé par une extrême violence. Grâce à un montage alterné, on découvre d’abord un appartement parisien où règnent le silence et une douce pénombre. Stéphane, jeune Corse dont la tête est mise à prix, y a trouvé refuge. Mais à ce décor feutré succède brutalement une scène éclairée par une lumière crue, dans la campagne corse : un meurtre expéditif est perpétré sous les yeux de journaliers agricoles impuissants. Un corps est criblé de balles, une voiture incendiée. En apprenant le meurtre de son ami d’enfance, Stéphane décide de retourner en Corse assister à l’enterrement de ce dernier, au péril de sa vie. Le film déroule alors, dans un long flashback, l’itinéraire funeste du jeune héros et de sa bande d’amis.

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          Dans Les Apaches, Thierry de Peretti faisait le portrait de la jeunesse corse contemporaine, une jeunesse paumée, à l’image d’une société inégale et foncièrement raciste. A nouveau, la jeunesse est au cœur d’Une Vie Violente, mais la génération dépeinte est celle du réalisateur lui-même et le film prend en cela une tournure plus personnelle. Thierry de Peretti a d’ailleurs pensé Une Vie Violente comme « un hommage à tous ces jeunes gens perdus ou assassinés » au tournant des années 2000. Il y retrace la trajectoire de ces jeunes devenus militants et cherche à comprendre comment d’inoffensifs garçons, dont certains se livraient à de petits trafics, ont pu s’embarquer aux côtés des nationalistes et mourir sous les balles des organisations rivales. Le personnage principal a été inspiré au réalisateur par Nicolas Montigny, jeune militant nationaliste assassiné à Bastia en 2001 alors qu’il avait 27 ans. Thierry de Peretti donne à voir le destin fulgurant et tragique d’un groupe armé formé sur le modèle d’Armata Corsa. Cette branche, qui voit le jour en 1999 et qui est composée de nationalistes dissidents, dénonce les complicités du mouvement nationaliste avec le grand banditisme et avec l’état français. Le réalisateur d’Une Vie Violente suggère comment Armata Corsa, sorte de mafia contre la mafia, a pu à un moment donné dessiner un idéal utopique. Mais il montre aussi que l’on ne s’attaque pas impunément au milieu.

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          Le montage rapide et le traitement froid de l’action contribuent à insister sur l’engrenage implacable dans lequel sont pris les personnages. Dans le film, la terreur naît par moments davantage du sentiment de fatalité et d’absurde qui pèse sur les vies que des crimes eux-mêmes. La violence est sourde, à l’instar de cette conversation glaçante entre mères, à l’occasion d’un déjeuner entre amies. L’une d’elles est dans une détresse absolue, la vie de son fils étant sérieusement menacée, mais aucune compassion, aucun réconfort n’est possible car « la règle, c’est la règle ».

          Si l’on peut reprocher au réalisateur sa manière naturaliste, anti-spectaculaire, il faut lui reconnaître un talent, celui de filmer la Corse comme un espace à la beauté équivoque, mystérieuse et menaçante. La maison de François, mentor et chef du héros, y est ouverte à tous les vents, comme pour matérialiser le danger qui pèse sur sa tête et figurer la présence d’ennemis invisibles. Thierry de Peretti excelle ainsi à montrer la Corse comme un espace sacré, aux dimensions quasi mythologiques, mais aussi comme un territoire mental à l’histoire douloureuse, peuplé de fantômes.

Durée : 1h47

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