Avec son titre aguicheur de djeuns potaches, son affiche interchangeable et son propos à base de rap, de cité et de conflits entre policiers plus ou moins intelligents et de petits mecs de banlieue maladroits, La Gardav semblait sur la papier arborer les plus beaux atours de cette « comédie à la française » en soins palliatifs depuis des décennies (longue période pour acter sa mort !) et, soyons francs, effrayait grandement. Résultat : si le film des frères Lemoine (Thomas et Dimitri) ne révolutionnera pas le cinéma français, s’il ne fait pas montre d’une virtuosité formelle époustouflante et ressemblerait plutôt à une sorte de téléfilm cocasse, il contient en lui quelques éléments qui charment et surprennent, alliant à sa légèreté un propos gentiment politique aussi discret que réel et nuancé sur le rapport de la population à la police française.
Tout le film se fonde sur un quiproquo, comme souvent : le clip d’un rappeur de type Damso est tourné en toute clandestinité dans une banlieue francilienne, avec force émeutes de jeunes cagoulés mises en scène pour l’occasion et amis du petit mec réalisateur dudit clip interprétant avec conviction les flics embarquant les émeutiers. Sauf que les habitants des tours de la cité, souffrant d’un fort déficit de communication autour de ce tournage, appellent de vrais policiers pour venir en renfort aux faux. Et les premiers de trouver dans la voiture de l’un des seconds une quantité conséquente de poudre suspecte, ainsi que de la coke dans la sacoche prêté à l’un des acteurs, Mathieu (Thomas Lemoine, l’un des co-réalisateurs, donc), pour qu’il fasse plus crédible dans son rôle de « bacqueux ». Direction commissariat du quartier et cellules de garde à vue pour ces trois policiers aussi factices que les armes qu’ils trimballent.
L’atout premier de La Gardav, ou tout du moins le plus évident, reste le personnage de Mathieu : comédien adepte de la Méthode mais incapable d’obtenir un rôle tant son énergie mal canalisée navre les directeurs de casting (de ce point de vue, la première séquence du film est assez drôle), suintant l’arrogance et la bêtise benoîte, perclus de principes et étalant sa petite gloriole en se vantant sans lassitude de sa « fiche Allociné », Mathieu est un « emmerdeur », au sens où l’amateur du cinéma de Francis Veber peut l’entendre. Un néo-François Pignon voué à casser les pieds de tout le monde dans le contexte explosif du film, de ceux qui l’entourent sur le tournage à ceux qui tentent de lui faire cracher les réponses qu’il n’a pas dans le commissariat. Cela semble anodin mais ce type (au sens presque théâtral du terme) d’imbécile heureux permet au film des Lemoine de renouer avec une certaine gourmandise à une tradition de cinéma comique plus ou moins disparue depuis que Veber a perdu son inspiration d’écriture (c’est-à-dire depuis vingt-cinq ans). On a le droit absolu de trouver cela vieillot et/ou convenu ; on peut aussi se réjouir de voir ce genre de personnage aussi attachant qu’insupportable, inadapté au monde, grain de sable générateur de burlesque et de chaos par la pure force de sa bêtise, actualisé dans une contemporanéité elle-même plongée dans le désordre (social, sécuritaire…).
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Car La Gardav, sans ostentation, dissimule un vrai discours sur la France contemporaine derrière le paravent de ses allures de petit film du dimanche soir télévisuel. Les frères Lemoine tendent à se faire contempteurs des apparences, d’où leur appétence constante pour le quiproquo, exemple même de l’illusion qui pose problème et ici tout autant déclencheur de comédie que d’un véritable discours sur la police et le lien effiloché qu’elle entretient avec le peuple (d’autant plus si ce dernier est issu de l’immigration). Le film met en scène un vrai clivage entre une force de l’ordre blanche (et franco-française : le flic à accent du sud interprété par Pierre Lottin en est un signe patent) censément brutale et une population de banlieue censément délinquante, et s’obstine à renvoyer dos à dos ces deux caricatures ridicules. En cela, les Lemoine, portant pourtant la comédie à bras-le-corps, développent également une tonalité mélancolique liée au dispositif comique même : si l’idée de quiproquo comique s’alimente des angles morts du réel, les illusions caricaturales, fantasmatiques et essentialistes se nourrissent aux mêmes râteliers avant, au mieux, de faire passer les uns ou les autres pour des imbéciles (les scènes dans le bureaux du divisionnaire interprété par Lionnel Astier sont de ce point de vue sans ambiguïté), ou, au pire, de mettre le pays à feu et à sang.
Sans ne jamais quitter son sourire, La Gardav reste lucide : si les jeunes de cité ne sont pas tous des dealers, si les flics ne sont pas tous des nervis assoiffés de violence, les frères Lemoine pointent cependant le caractère systémique d’une police qui donnera toujours plus crédit à ceux qui ne sont issus des diverses vagues migratoires qu’a connues le pays, et l’inéluctable presque tragique d’une jeunesse que les contingences économiques et sociales ne permettront jamais vraiment de sortir de la panade (la trajectoire du personnage d’Ousmane, interprété par Gaël Tavares). Ou quand, pour résumer à gros traits, le cinéma de Francis Veber croise une certaine forme de réalisme social. Film faussement anodin, La Gardav s’avère bien plus intéressant et intelligent que les airs nigauds sur lesquels il semble pourtant s’appuyer pour exister aux yeux du monde.
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