Dire que nous n’attendions plus grand chose de Tim Burton tient de l’euphémisme, tant ses derniers films s’avéraient plutôt décevants (le très raté Alice au pays des merveilles, l’anodin Dark shadows…) Sans nous extasier sur un Burton majeur qu’il n’est pas Big eyes reste un opus un peu plus palpitant …

On voit immédiatement ce qui a pu plaire au cinéaste dans ce « biopic » relatant l’étrange histoire de Margaret Keane, peintre spécialisée dans les portraits d’enfants aux yeux énormes, qui se fait « voler » son œuvre par un mari mythomane et fanfaron qui s’attribue la paternité de ses tableaux. Comme une évidence, ce côté « biopic » d’une artiste plutôt kitsch nous renvoie aux beaux jours du magnifique Ed Wood, d’autant plus que l’héroïne (incarnée par la belle Amy Adams) a un côté excentrique et anticonformiste très « burtonien » : elle est séparée d’un mari étouffant à une époque (début des années 60) où c’était très mal vu, elle fuit – en ouverture du film- un univers pavillonnaire aux couleurs pastel qui évoque furieusement Edward aux mains d’argent

Le personnage du mari avait également tout pour éveiller l’intérêt de Tim Burton. Interprété par un Christoph Waltz en roue libre, Walter Keane est un mythomane et un bateleur de la même trempe que le père fantaisiste de Big Fish. Son existence ne repose que sur des mensonges et une manière de mettre en scène sa propre vie qui pourrait être amusante si elle ne finissait pas par annihiler la présence de ceux qui le côtoient.

BIG EYES

Enfin, les enfants aux yeux tristes que peint Margaret rappellent bien évidemment les créatures qui peuplent les films du cinéaste : solitaires, hors-normes et marginales.

Tous les éléments était donc réunis pour que Big eyes renoue avec panache avec un univers en voie d’essoufflement. Si le cinéaste n’y parvient pas totalement, le film se suit sans déplaisir et est sans doute le plus réussi depuis Charlie et la chocolaterie. Les étapes de ce « biopic » sont orchestrées avec célérité et suffisamment d’humour pour séduire le spectateur le plus réticent. Burton s’amuse à recréer un tableau kitsch des années 60 avec des couleurs acidulées et des personnages semblant sortir des magazines féminins de cette époque. En prenant comme héroïne Margaret Keane, le cinéaste semble vouloir réfléchir sur sa pratique de cinéaste et analyser ce qui fait le succès ou pas d’une œuvre, raillant ici le critique austère qui méprise « ce qui marche », égratignant là le caractère marchand d’un mari sans scrupule qui n’y connaît rien en peinture. Margaret, d’une certaine manière, c’est Tim Burton confronté aux grands studios (on se souvient de la malheureuse aventure du retour chez Disney pour Alice) qui s’accaparent sa marque de fabrique pour en faire une marchandise aseptisée.

BIG EYES

Malgré cela le cinéaste peine à retrouver l’inspiration d’Ed Wood. Big eyes est un film qui ronronne un peu, peut-être parce que Burton a justement trop conscience de ses effets et qu’il n’a plus la croyance qui animait sa biographie du « plus mauvais cinéaste au monde ». Le personnage d’Ed Wood avait une foi en son art et une naïveté (il était persuadé d’être un génie) qui font défaut à Margaret Keane. Le cinéaste ne croit pas trop en son talent et se contente de sa dimension « kitsch » pour faire du kitsch.

C’est sans doute le principal défaut de Big eyes qui revisite les figures connue d’une œuvre mais avec une conscience trop aiguë de « faire du Burton ». Il manque cette fraîcheur, ce doux anticonformisme qui faisait le prix d’Edward aux mains d’argent ou d’Ed Wood.  Il en résulte donc un Big Eyes un peu anodin, mais porté par un parfum suranné qui fait aussi son charme.

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A propos de Vincent ROUSSEL

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