Le nouveau film du cinéaste autrichien, Ulrich Seidl, bête noire de la critique institutionnelle, traumatisée par Dog Days et Import/export, ces joyeuses friandises qui feraient passer le cinéma de Michael Haneke ou de Ruben Oslund pour des feel-good movies, débarque dans quelques salles – très peu en réalité – avec un malentendu majeur impossible à passer sous silence.

En effet, un article du journal allemand « Der Spiegel », sur de témoignages anonymes, accuse Ulrich Seidl de maltraitance  psychologique et physique des enfants sur le tournage et surtout d’avoir dissimulé la teneur du sujet aux parents. Après une enquête du Film Industry Support Austria, aucune preuve de violence n’a été trouvé. Fin du débat et place à Sparta, qui n’est pas une variation austère du 300 de Zack Snyder, même si, à un moment crucial, les jeunes garçons, munis de casques et affublés de costumes d’époque, simulent des combats de gladiateur lors d’une séquence de mauvais goût aussi provocatrice que drôle. L’humour  – très noir – s’intègre admirablement avec la dimension déprimante du récit qui ne caresse jamais le spectateur dans le sens du poil.  Ewald, autrichien installé en Roumanie depuis quelques années, la quarantaine passée, souffre d’un mal-être existentiel. Il tente un nouveau départ. Il quitte sa petite amie avec qui il n’arrive plus à faire l’amour et part vivre dans l’arrière-pays où il ouvre un centre de judo  gratuit pour les jeunes. Premier malaise, le réalisateur nous met la puce à l’oreille. Si les enfants ont l’air heureux avec leur nouveau mentor, les autochtones assez primaires se révèlent rapidement méfiants. Ewald est tiraillé entre son attirance envers les enfants et une conscience qui l’interdit de franchir un cap. Entre la pensée et l’action, une ligne rouge se dessine.

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Sparta, second volet du diptyque commencé par le beau et quasiment ignoré Rimini, avec pour personnage central, Rochie Bravo le frère d’Ewald, est le portrait lucide et dérangeant d’un pédophile en puissance, qui souffre de sa déviance. Consciemment ou non, lié à l’héritage de son père, nostalgique du nazisme, il entreprend également un programme de rééducation des enfants, ce qui est la part la plus trouble du film. Trouble parce que Seidl se garde bien d’expliciter le comportement de son protagoniste, figure étrange avec son physique massif et sa voix fluette, sa douceur inquiétant incitant d’emblée au malaise admirablement interprété par Georg Friedrich. De même, aucune explication n’est donnée sur son exil. Est-ce pour des raisons judiciaires ? Ou pour effacer de son esprit un passé nauséabond lié à sa maladie mentale ? Ne rien savoir ne fait que renforcer la position ambivalente du spectateur, entre le dégout et l’empathie, face à la farce cafardeuse imaginée par un un artiste polémiste dont le gout pour la provocation et la manipulation n’a pour seul limite que son intelligence. Faut-il pour autant rejeter une proposition aussi radicale, qui flirte avec l’innommable ? La transgression, même dans ses pires retranchements, n’est-elle pas le refuge de l’art ? D’autant qu’un gouffre sépare l’histoire racontée telle quelle et le traitement par l’image. Rien de réellement scabreux n’est montré à l’écran. A moins de trouver vomitif un homme nu qui joue avec des enfants qui eux sont toujours habillés, le choc n’est pas provoqué par des scènes trash mais par un discours plus insidieux, une réflexion qui nous interroge sur l’origine du mal en miroir du mal-être.

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Seidl a un peu la main lourde dans la caractérisation des parents, prototypes un peu trop appuyés d’alcooliques violents, ce qui lui a valu d’être accusé de racisme par la presse, ce qui n’est finalement pas si justifié tant il participe surtout d’une humeur générale du cinéaste.  Le film cultive une certaine misanthropie en revanche, fidèle à la tradition du cinéma  autrichien qui n’en finit pas de régler des comptes avec son histoire.

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Certes, la démonstration manque parfois de subtilité, répétant ad nauseum les mêmes situations ambivalentes. Peu importe, Sparta reste un film âpre et pas aimable, qui explore des zones taboues guère fréquentables, mais remarquablement mis en scène, alliance réussie d’un style documentaire né de l’observation du quotidien et d’une rigueur visuelle absolue, privilégiant les longs plans fixes parfaitement cadrés dans des décors flippants. Une grande réussite.

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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