Vahid Jalilvand – « Cas de conscience »

Alors qu’il rentre chez lui à la nuit tombée, le docteur Nariman est impliqué dans un accident de la route. Obligé de se déporter pour éviter des chauffards, le médecin provoque la chute d’une moto et de ses passagers sur le bas-côté. Nariman s’arrête et découvre, affolé, que la frêle mobylette transportait une famille entière. Furieux, le père de famille veut appeler la police, ce dont le médecin le dissuade car son assurance n’est pas à jour. Pour se dédouaner, il donne à l’inconnu à moto de l’argent, s’assure que personne n’est blessé, et prend le temps d’examiner le petit Amirali, âgé de 8 ans. Avant de reprendre le volant, il obtient du père de famille qu’il fasse un détour par l’hôpital qui se trouve à deux pas. Le lendemain, en arrivant à la morgue où il travaille comme médecin légiste, Nariman découvre que le corps d’un garçon de 8 ans y a été admis pendant la nuit.

Film à suspense, Cas de conscience prend la forme d’une enquête, suivant en cela un schéma classique mais particulièrement efficace. Le suspense est d’autant plus intense qu’à l’enquête personnelle du docteur Nariman, qui cherche à démêler les circonstances de la mort du petit garçon, s’adjoint à mi-parcours une seconde enquête, policière et judiciaire, portant sur un autre décès intimement lié au premier. Le traitement elliptique des relations entre les personnages contribue encore à cette atmosphère de mystère, tout en renforçant l’impression de solitude qui entoure les personnages.

Copyright Damned Distribution

L’intensité dramatique du film, dont le rythme est tenu de bout en bout, s’explique aussi par le choix d’un décor proprement spectaculaire, la morgue. Dans cet espace tragique fusent les cris et les insultes des familles ravagées par le chagrin. Le réalisateur fait également de ce théâtre d’opérations un terrain de conflits : le docteur Nariman, très attaché à la loi, renvoie régulièrement en commission les dossiers qu’il estime bâclés d’un de ses collègues, ce qui n’est pas sans créer de fortes tensions. A cet espace morbide répond comme en miroir l’abattoir où se déroulent de nombreuses séquences dans la deuxième moitié du film. En mettant symboliquement en regard ces deux lieux, le réalisateur souligne l’inhumanité du sort de ses personnages et désigne à demi-mots les véritables coupables, une société dysfonctionnelle où règnent le dénuement, le sentiment d’insécurité et les interdits.

Deuxième long-métrage de Vahid Jalilvand, Cas de conscience possède une dimension réaliste et sociale, à l’instar du premier film du réalisateur, encore inédit en France. Réalisé en 2015, Mercredi 9 mai se déroulait déjà dans le milieu carcéral et hospitalier et abordait la question de la pauvreté en Iran. Le scénario de Cas de conscience réinvestit ces motifs d’une façon originale à travers la confrontation de personnages que tout oppose, l’un d’origine populaire, l’autre issu d’un milieu plutôt aisé et éduqué. Cette rencontre entre les deux personnages principaux, résultant d’un hasard malheureux, n’aurait jamais dû avoir lieu et constitue une vraie trouvaille scénaristique. Le docteur Nariman, sorte de double du spectateur, découvre au fur et à mesure de son enquête un quotidien sordide et désolant, à l’image de cette atroce scène d’enterrement au micro, en bordure d’autoroute. Le film donne ainsi à voir une réalité austère, renforcée par une palette monochrome où règnent les couleurs sombres, les éclairages crus et les surfaces froides – marbre, béton, bitume… Empreint de pathos, Cas de conscience n’est jamais complaisant et s’il traite d’un sujet mélodramatique par excellence – la mort d’un enfant innocent – c’est toujours avec une distance et un ton qui sonnent justes.

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Dans un bref entretien, Vahid Jalilvand avait pu résumer les enjeux de son précédent film en évoquant la qualité « chevaleresque » de ses personnages. Il semble que la question du courage soit plus difficile à trancher dans son nouvel opus. Certes le docteur Nariman incarne la figure d’un médecin humaniste et vertueux, soucieux des autres, d’un professionnalisme exceptionnel. Si le personnage principal de Cas de conscience, du reste brillamment interprété par Amir Aghaei, représente une forme de droiture extrême, ses motivations profondes restent finalement assez troubles : son acharnement fait-il de lui un médecin irréprochable ou révèle-t-il une forme de masochisme ? Est-il poussé par son sens des responsabilités ou bien par un sentiment de pitié déplacé ? Du reste, l’orgueil n’est pas l’apanage du docteur Nariman et semble toucher tous les hommes. A y réfléchir, les figures féminines qui apparaissent à l’arrière-plan de Cas de conscience, personnages de femmes fortes et puissantes, pourraient bien constituer un modèle d’héroïsme alternatif.

Durée : 1h44

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