Valérie Mitteaux & Anna Pitoun – « 8 avenue Lénine »

Nous avions relayé le crowdfunding pour le documentaire de Valérie Mitteaux et Anna Pitoun, 8 avenue Lénine. Double succès pour les deux réalisatrices, puisque non seulement leur financement participatif a atteint la somme impressionnante de 30 000 euros, appuyé par des associations telles que Amnesty International, Médecins du Monde…, mais surtout, un beau film en résulte, fort et touchant. Vous pourrez juger dès sa sortie le 14 novembre.

Mention spéciale au Budapest International Documentary Festival 2018, sélectionné à DokLeipzig, au Human Film Festival de Berlin, etc… 8 avenue Lénine est le portrait d’une communauté méconnue et rejetée dans toute l’Europe, mais également celui de citoyens français engagés dans une aventure qui les a menés bien plus loin qu’ils ne l’imaginaient.
Les réalisatrices ont suivi sur plus de quinze ans Salcuta Filan et ses deux enfants, Denisa et Gabi, une famille rom roumaine qui vit en banlieue parisienne, à Achères, depuis 2006. Les responsables français et européens affirment aujourd’hui que les roms ont vocation « à rentrer chez eux ». Salcuta fait la preuve que la France et l’Europe ont la capacité d’accueillir les roms dignement et que lorsque c’est le cas, ils peuvent s’intégrer intelligemment.  Les deux cinéastes ont l’habitude de s’attaquer aux clichés liés aux minorités et à évoquer des sujets tabous de façon salutaire : entre autres, Valérie Mitteaux avec son intelligent documentaire sur des F to M (femmes ayant transitionné pour devenir hommes) : Fille ou garçon, le sexe n’est pas mon genre (sortie en salles en 2016  et diffusé sur Arte), Anna Pitoun, son portrait d’un caïd de la cité Smain, Cité Picasso (sortie en salles en 2017).

8 avenue Lénine est une forme de « feelgood documentary » car non seulement, il tord le cou à de nombreux préjugés (nous y reviendrons), mais, en plus, il prouve que ténacité et courage payent. Une persévérance mise en abyme : à la fois celle des deux cinéastes, attachées à cette famille rom depuis 2002  et celle de leur héroïne, Salcuta, modèle d’indépendance et d’intégration. Le force du documentaire d’A. Pitoun et V. Mitteaux c’est qu’il est le portrait d’une femme qui s’émancipe. Opprimée car née rom, femme et en Roumanie. Victime des lieux communs répandus sur les « gens de voyage » (appellation politically correct pour désigner les roms). A ce titre, une scène du film est édifiante : tandis que Salcuta est en vacances dans sa région natale balnéaire, les réalisatrices enregistrent les réactions racistes d’une autochtone d’un certain âge, bourrée de clichés anti-roms. Le prologue est constitué d’images d’archives de leur premier film qui était consacré à Salcuta et à sa famille, en 2003 Caravane 55 (multiprimé et diffusé), nous montrant ainsi l’immense chemin parcouru par Salcuta. Outre sa maîtrise parfaite du français qui était hésitant lors du documentaire précédent, on assiste à la naissance d’une conscience politique et c’est l’un des aspects les plus galvanisants du film. Autre point qui donne à réfléchir et surtout envie d’agir c’est l’implication exemplaire du maire d’Achères et d’une institutrice.
Le talent des deux cinéastes est de réussir à nous brosser un portrait euphorisant d’une femme libre et de quelques personnes à l’engagement hors pair, sans faire l’économie de la montée fascisante du monde, ni occulter certains aspects sombres du quotidien de Salcuta et les siens. Vers la fin du film, alors qu’on s’achemine vers une forme de happy-end, un violent incident réveille les vieux
démons racistes.

8 avenue Lénine est un documentaire engagé qui a une valeur universelle, à l’instar des propos du tandem de réalisatrices :
« On est tous racistes, on est élevés comme ça. C’est le travail d’une vie que de se libérer des idées préconçues. D’être capable non plus de regarder la vie “d’une Rom”, mais celle d’une femme, européenne, une mère, fière et courageuse, qui cherche simplement à construire une vie meilleure pour elle et ses enfants. » Par l’acuité du regard porté et la singularité de leur héroïne, Salcuta, 8 avenue Lénine est un film indispensable en ces temps de replis nationalistes, de xénophobie, homophobie croissante et de la peur de l’Autre : l’étranger, le migrant, le rom, l’inconnu, celle ou celui qui échappe à la norme… Le film généreux de Valérie Mitteaux et Anna Pitoun apporte de l’espoir, tout en donnant à réfléchir.

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