Comme chaque année, les vedettes se pressaient à Cannes 2021, pour présenter des films, monter les marches et se faire photographier. Mais la plus insolite de la quinzaine était sans nul doute la bien nommée Vedette , une imposante vache noire dont les documentaristes français Claudine Bories et Patrick Chagnard ont fait l’héroïne de leur dernier film. Évidemment, pour plein de raisons, Vedette n’était pas là en chair et en os ; seulement sur les écrans, perchée entre ciel et terre, dans une petite vallée suisse, au milieu des montagnes. Car c’est dans cet endroit retiré du monde qu’on trouve cette race extraordinaire de vaches, noires et puissantes.
Chaque année, dans une fête agricole aux airs de corrida -mais sans torero- ces vaches s’affrontent. Celle qui parvient à soumettre toutes les autres devient Reine pour un an. Plusieurs années de suite, ce fut Vedette et son n°146, l’élue. Désormais vieillissante, celle-ci ne peut plus concourir bien qu’elle ait conservé un caractère ultra-dominant et une envie d’en découdre.
Finalement, elle est hébergée pour sa retraite dans une étable par une mère et sa fille attendries, qui se trouvent être les voisines de la maison où le couple de réalisateurs passe leur été. Eux aussi tombent à leur tour sous le charme de Vedette la dominante.
Comme toutes les stars, Vedette a quelque chose de magique et d’insaisissable. Filmée par les deux documentaristes, elle semble se métamorphoser sous nos yeux : l’imposante vache noire ressemble tour à tour à un ours, un chat, un hippopotame. Pure altérité animale qui se fond dans nos désirs. Cette opération magique trahit en même temps notre insatiable pulsion anthropomorphique : Vedette est l’héroïne de son film, un personnage qu’on ne comprend pas vraiment mais que, à la suite de ces maîtresses d’adoption, on se prend à aimer, à admirer, et dont on redoute la solitude…
Parmi les passages bouleversants du film, il y a ceux où la maîtresse de Vedette va dans l’étable pour lui lire des textes de Descartes ou de Kundera sur les rapports de l’homme et de l’animal… On est révolté par la morgue du discours humain, celui d’un Descartes qui fonde le sujet humain en le dissociant de l’animal-machine. Notre empathie se déchaîne et, dans le décor grandiose des Alpes Suisses, que Rousseau décrivait comme un berceau de nature, nous rêvons un monde où l’on traiterait les animaux avec le même égard que les humains, sans maltraitance, sans abattoir.
Et pourtant, on aurait tort de voir Vedette comme une fable vegan. La quiétude apparente du film, la contemplation induite ne signifient pas niaiserie altruiste. Le film suggère aussi que la nature est un chaos, dans lequel le métissage et l’incorporation sont à la source de la mémoire et du renouvellement …et comme un ultime coup de sabot à la croisette, le film conclut : rien de mieux que lorsque la Vedette est en nous.
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