Goodnight Mommy, de Veronika Franz et Severin Fiala, est de ces films qui vous font vivre une véritable expérience qu’on sent jusque dans sa chair. D’emblée magistralement esthétique quoiqu’étrange, il se meut en un objet froid, malsain et manipulateur qui finit dans une implosion terrifiante, à couper le souffle. C’est bien simple : c’est un film qui se voit sur votre figure ! Quand le public de la Mostra de Venise l’a découvert l’été dernier, dans la section Horizons, après la séance, sur la Promenade Marconi du Lido, on pouvait dire, aux visages hallucinés ou pas des festivaliers, lesquels parmi eux venaient d’assister à la projection de Goodnight Mommy (dont le titre original est Ich seh Ich seh, litt. « je vois je vois », un redoublement loin d’être innocent – au-delà des deux regards des co-réalisateurs, qui se montrent en effet impitoyablement précis et intelligents).
Attention spoilers
Veronika Franz et Severin Fiala prennent plaisir à brouiller les pistes : entre leur approche visuelle toute de netteté et l’atmosphère de songe trouble qu’ils créent, ils placent Ich seh Ich seh sous le signe de la dualité. Pendant les deux premiers tiers de ce film autrichien (produit, il faut le signaler, par le cinéaste Ulrich Seidl, l’auteur de la trilogie Paradis), on assiste à un film d’une facture impeccable, superbement photographié, calmement étrange. Pas un instant ne se doute-t-on qu’on va, en fin de séance, s’agripper à son siège, pétrifié, le visage crispé par toutes sortes de rictus à la perspective de ce qui reste encore à voir.
Les images du début sont si paisibles, si bucoliques. On y suit deux petits garçons presque identiques tandis qu’ils jouent à cache-cache dans un décor idyllique qui semble venir tout droit d’un conte fabuleux illustré par Yann Arthus-Bertrand, avec ses champs infinis, ses forêts immenses, ses lacs scintillants et ses grottes mystérieuses. Quel plaisir alors que de profiter de la splendeur de cette photo non pas numérique, mais en 35 mm, avec son grain, ses lumières et ses ombres, et cette capacité qu’elle a à nous prendre la main sur les chemins forestiers, comme Hansel et Gretel. Goodnight Mummy s’approche bel et bien de la perfection, dans cette fusion du fantasme de conte de fée et d’un réalisme glacé, glaçant, valsant sans arrêt d’une aspiration à l’autre, du poétique au clinique. Clinique est le mot qui convient, car il se trouve que les garçons habitent une grande maison au design tellement impeccable qu’on croirait du Pei, avec une mère fragile et effrayante au visage couvert de bandages. Cette dernière ne s’adresse qu’à l’un d’entre eux, Elias, comme si Lukas n’était pas là. On soupçonne quelque tragédie, mais la dureté et l’égoïsme de la mère sème le doute, dans cette grande villa à l’esthétique trop nette qui n’est pas faite pour un enfant. Pour échapper à la cruauté de cette mère froidement monstrueuse, Elias, toujours seul, accompagné de son jumeau invisible, joue avec d’énormes cafards, dignes d’un cauchemar kafkaïen, et cherche de cette maison les recoins. Il tente de recueillir un chat aussi, mais il le retrouve mort par la suite, ce qu’il décide de faire payer à la mère en exposant sa dépouille raidie dans un grand aquarium rempli d’alcool à brûler, sur la belle table basse, au milieu des murs blancs et lisses (sauf celui où sont accrochées de vieilles photos d’Elias et Lukas).
Les mauvais traitements qui s’ensuivent prennent une dimension presque irréelle. De sa chambre, où cette femme-sorcière qui ne peut être sa mère l’a enfermé, Elias se met à l’espionner au moyen d’un écoute-bébé. À peine libéré, toujours flanqué de ce Lukas que personne d’autre que lui ne voit, il n’y tient plus et s’enfuit vers l’église la plus proche. C’est quand le prêtre le ramène, en une seule phrase d’explication de la mère que son fils ne reconnaît plus, que soudain, on comprend tout.
À ce moment précis, la dynamique construite s’inverse : la cruauté change de camp, et le thriller psychologique glisse vers l’horreur, à la limite du soutenable, avec flammes, tortures et enfant(s) démoniaque(s) à la clef. Le choc des images qui se succèdent pendant les vingt dernières minutes du film est difficile à décrire, mais il est certain que personne ne peut en ressortir intact, à l’instar de cette mère plongée littéralement en enfer, sans merci, par son propre enfant.
Dans ce premier long métrage de fiction, Franz et Fiala accomplissent un véritable tour de force, et de passe-passe. Ils déploient plusieurs motifs de manière stupéfiante, puis les font basculer dans leur contrepoint absolu, avec la même perfection. Car il en faut, de la dextérité, pour parvenir à nous faire observer pendant la majeure partie du film deux enfants comme s’il n’y en avait qu’un et faire en sorte, au moment même où on a la confirmation qu’Elias est tout seul, que ne puisse plus ne pas voir le jumeau qui le pousse à la fureur.
En outre, tout se passe comme si Elias était manipulé par cette présence dont lui-même se sert, et comme s’il torturait sa mère par amour pour elle. On note cependant, dans ce psychotique brouillard de contradictions, qu’on ne quitte jamais l’univers affabulé, à mi-chemin entre rêverie et cauchemar, de ce garçon qui habite seul avec maman. Cet univers, dont beaucoup d’yeux adultes ne pourront soutenir la vue, ne cesse malgré tout jamais d’être celui d’un petit enfant, et c’est cette clarté dans la totale brutalité qui fait de Goodnight Mommy une oeuvre unique, d’une élégance, d’une violence et d’une complexité diaboliques.
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Bénédicte
En tout cas, merci de votre fidélité à Cineuropa comme à Culturopoing et de votre attention à mes articles, vous êtes un vrai nami 😉 . Bénédicte
Olivier ROSSIGNOT
… mais écrite par la même journaliste. L’honneur est donc sauf !
Nami
Cette critique est à quelques paragraphes près un copier coller d’une autre critique faite sur un autre site…