Vincent Le Port – « Bruno Reidal. Confession d’un meurtrier »

L’affaire Bruno Reidal se déroule durant l’été 1905, dans le Cantal, où un jeune séminariste de 17 ans décapite de sang froid un enfant de 12 ans. Mais l’affaire ne se résume pas à ce sombre fait divers : il faut faire remonter à plus loin les racines du mal, plonger dans le passé de Bruno Reidal et sa psyché tortueuse pour tenter de comprendre sinon les motivations de son geste, du moins la gestation de sa logique meurtrière.

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Copyright Les Bookmakers / Capricci Films

Autant le dire d’emblée, le film de Vincent Le Port déjoue le voyeurisme et l’émotionnel, préférant la sobriété glaçante et la retenue à la surenchère gore. Il s’ouvre sur la scène de meurtre, pudiquement elliptique, pour suivre le personnage qui se rend de lui-même aux forces de l’ordre. Interrogé par un collège de psychiatres présidé par le Professeur Alexandre Lacassagne, chargé de rédiger le rapport médico-légal, Bruno Reidal remonte dans le temps, raconte ses souvenirs avec une honnêteté et une lucidité déconcertantes et rédige son journal intime. Le scénario, d’une rigueur stupéfiante, suit cet entretien au cordeau, alternant les flash-backs sur l’enfance et la tentative de compréhension du meurtre barbare.

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Vincent Le Port adopte la même approche ethnologique que celle de René Allio dans Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… (1976). Le film suit le mémoire du jeune accusé, qui, bien qu’illettré, sut rendre compte de ses luttes internes. Ce cas de parricide fit d’ailleurs l’objet de l’attention d’historiens et de sociologues, et donna lieu à un ouvrage collectif du même nom, dirigé par Michel Foucault, paru en 1973. Étudiant les rapports entre la psychiatrie et la justice pénale au XIXe siècle, le philosophe s’interroge sur la place réservée par la société à ses fous, dans le droit fil de L’Histoire de la folie. Plus précisément, dans le cas de Pierre Rivière, il met en avant le rapport de pouvoir entre deux discours. La démarche de Vincent Le Port est sensiblement la même, puisque le scénario suit scrupuleusement le journal de Bruno Reidal, qui donne à voir sa propre logique dépassant les techniques coercitives de l’aveu et de la confession. Interrogé sur son onanisme et ses pulsions sexuelles, Bruno Reidal essaie de répondre de ses penchants meurtriers.

Historiquement situé, le film de Vincent Le Port scrute l’âme humaine, dont les soubassements échappent à la maîtrise du sujet. Rappelons la petite révolution anthropologique que fut la découverte de l’inconscient par Sigmund Freud au tournant du XXe siècle. Comment un petit être, chétif et malingre, doté d’impressionnantes capacités intellectuelles, pouvait-il laisser libre cours à ses penchants aussi sadiques ? Comment comprendre  le lien réprimé entre la sexualité et  la destruction ? L’histoire de l’individu et son univers familial sont passés au crible de l’enquête médicale pour mettre au jour l’origine et le destin de la pulsion. Toutefois, délaissant toute prétention à dessiner une herméneutique du sujet, le film se contente de suivre pas à pas la genèse du crime, en prêtant uniquement attention au discours de Bruno Reidal, d’une rationalité sans faille.

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L’histoire est simple : une enfance paysanne et solitaire dans une fratrie de sept enfants, une famille qui loue les services de Bruno aux autres fermes, comme cela se faisait à l’époque, l’alcoolisme et la dureté de la mère, contrastant avec la bonhomie du père, constituent le tableau guère original du roman familial. C’est dans ce décor rustique que naît le déchirement moral d’un enfant obsédé par les tensions mortifères qui l’animent et contre lesquelles il n’a de cesse de lutter. Fervent catholique, le jeune Bruno Reidal oscille en permanence entre la jouissance du mal et la quête de rédemption chrétienne. Entre pénitence et abandon de soi à des visions sanglantes, Bruno Reidal constitue l’exemple d’une douloureuse conscience sadomasochiste, n’éprouvant jamais de répit face aux scénarios meurtriers qui la hantent. Le film montre ainsi le paradoxe d’une incessante conjuration du passage à l’acte, autant que l’espoir et l’attente de sa réalisation, point d’orgue de l’accomplissement de soi.

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Vincent Le Port, dont c’est le premier long métrage de « fiction », recherche un réalisme et un vérisme fidèles au journal intime tenu par Bruno Reidal. Objectivant son sujet comme un cas d’école, sous le regard scientifique des experts, le film fait progressivement découvrir la complexité du personnage et les limites du discours de la médecine. En ce sens, Bruno Reidal touche à des questions humaines essentielles, comme celles de la frontière entre la folie et l’impulsivité, d’une part, et la satisfaction impérieuse et clairvoyante de la pulsion, d’autre part.

Les trois acteurs qui campent le personnage à trois âges de la vie sont stupéfiants de mesure et de justesse, depuis le jeune Alex Fanguin qui interprète le protagoniste enfant, jusqu’à l’intrigant Dimitri Doré, qui joue l’adolescent devenu criminel, en passant par Romain Viledieu, qui prend les traits du communiant en proie à ses fantasmes sadiques. Par le jeu minimaliste de ses acteurs et le style austère de sa mise en scène, le film se situe dans une tempérance qui tranche avec l’horreur du meurtre sans scrupules. Ce choix fait magistralement ressortir le déroulement infaillible d’une existence condamnée à se réaliser dans la destruction orgasmique, autant que son inanité, une fois l’acte accompli. Au-delà du cas Bruno Reidal, se trouve alors posée la question de l’appartenance à l’humanité d’un individu en proie à la banalité du mal.

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A propos de Miriem MÉGHAÏZEROU

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