Cocaïne Prison est le troisième long-métrage documentaire de Violeta Ayala, cinéaste et productrice bolivienne, d’origine quechua.
Les films de la jeune et courageuse réalisatrice dénoncent l’esclavagisme, la corruption. Tourné dans son pays, juste avant Cocaïne Prison, son court métrage The Fight a causé de fortes frictions entre Ayala et le président Evo Morales. Son documentaire portait sur une manifestation d’un groupe de personnes handicapées qui traversent les Andes en fauteuil roulant et à pied pendant 35 jours jusqu’au siège du gouvernement à La Paz , demandant à parler au président, à propos d’une pension d’invalidité et fortement réprimés par la police. Le film a été diffusé dans le monde entier par The Guardian en mai 2017.
Violeta Ayala creusait déjà la problématique de la drogue dans The Bolivian Case qui se focalisait sur une affaire très médiatisée concernant trois adolescentes norvégiennes prises avec 22 kg de cocaïne dans un aéroport de Bolivie.
Son dernier documentaire qui sort en France le 27 novembre après avoir essaimé de nombreux festivals ( Cinelatino – Rencontres de Toulouse où il a remporté le Prix du Public en 2018, Toronto International Film Festival, IDFA…) a été interdit dans les cinémas boliviens et uniquement projeté dans des écoles et prisons. C’est dire combien il dérange le gouvernement car Cocaïne Prison met à jour de terribles réalités politiques et économiques.
Avant d’aller plus loin, une précision s’impose : malgré cette introduction et son sujet que le titre résume (d’ailleurs, il est amusant de relever l’hypocrisie de Facebook qui a refusé que la page du film s’appelle ainsi, lui préférant comme titre Coca prison…), très cinématographique, Cocaïne Prison est tout sauf un documentaire « Dossiers de l’écran » programmatique et à thèse. Ce qui fait la valeur singulière de Cocaïne Prison est son mélange de romanesque, servi par un vrai regard de cinéaste et d’actualité brûlante.

Copyright Sepia/Just Doc

À l’intérieur d’une prison bolivienne, Hernan un tout petit trafiquant de 20 ans – “mule de la drogue” – et sa sœur cadette, Daisy, s’interrogent sur les relations du monde avec les stupéfiants. Mario y croupit aussi, accusé d’être ingénieur alors qu’il n’était qu’un « pisa coca » (piétineur de feuilles de coca). Sachant que la moitié des prisonniers en Bolivie sont incarcérés pour des infractions mineures en matière de drogue, dans un pays où la feuille de coca est la culture nationale comme la vigne l’est en France, les histoires de Daisy, Hernán et Mario nous montrent que l’hypocrisie dans la guerre contre la drogue a un prix. Mais qui paie ?

Le film ouvre (et se referme) sur une séquence édifiante : une fourmilière, filmée en macro, transportant minutieusement des feuilles de coca. Plante très répandue en Amérique latine, la coca s’utilise fréquemment comme feuille à mâcher, pour faire le maté et sa macération produit de la cocaïne. Ce plan, simple et beau, constitue une épatante métaphore de ce que le documentaire raconte. Etant donné qu’il est quasiment impossible de filmer dans ces prisons surpeuplées et chaotiques, Ayala a confié des caméras à des prisonniers. A ce filmage « in situ » brut s’adjoint des scènes romanesques où la cinéaste s’attache à la trajectoire de l’étonnante, Daisy, décidée à sauver son benêt de frère aîné. Voyage en car dans le pays, suivi du quotidien de la toute jeune femme ; en prison, anniversaire joyeux et touchant de son frère, échanges avec Mario qui veut se racheter… Violeta Ayala parvient à retranscrire le redoutable système carcéral bolivien (cellules à louer, geôles surpeuplées : 7 WC pour 800 taulards !) sans jamais basculer dans le glauque ou le pathos. A ce titre, son film est exemplaire. Il informe et instruit avec intelligence. Comme les propos de la réalisatrice à un débat : quelle est la frontière entre la légalité et le trafic en Bolivie ? Quand vous êtes attrapé par la police, ça devient illégal ! Paradoxe suprême : la production de coca est légale, chaque famille a droit à un hectare. Un kilo de coke coûte 500 dollars en Bolivie, 150 000 en Australie et 70 000 en Europe.

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Ce documentaire nécessaire et dur donne la parole aux laissés pour compte du système, à ceux tout en bas de la redoutable échelle économique. Avec pudeur, intelligence et talent. A ce titre, il est salutaire.

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