L’exigence du texte aurait sans doute suffit à une mise en scène fluide de ce duo en plein air, sans que nul piano, nul jukebox ne vienne perturber ce coït verbal, ce que les dix dernières minutes seulement des « Beaux jours d’Aranjuez » lui laissent pour nous émouvoir et rappeler le talent de conteur de Wim Wenders.
Il n’est plus besoin de faire preuve que Wim Wenders est un cinéaste pionnier en son genre. Aucune trouvaille scénaristique ou technique ne le rebute ni le dissuade dans son désir de cinéaste et c’est désormais la marque de fabrique de ce « touche à tout » parce que tout le touche. L’utilisation pertinente de la 3D dans « Pina » donnait chair à celle qui venait de disparaître. De même, l’utilisation heureuse du noir et blanc dans Les Aîles du désir s’accordait à un goût du verbe qui y était célébré dès les premiers plans.
Dans son dernier opus Les Beaux jours d’Aranjuez, adaptation libre de la pièce éponyme de Peter Handke, ce sont ces mêmes procédés – la 3D et un film exclusivement parlé aux accents rhomériens – que Wim Wenders met en œuvre pour servir un beau texte, ardu et hermétique auquel il ne rend, malheureusement pas service. Wim Wenders comme à trop vouloir enserrer son sujet, un dialogue sur l’amour, le broie et livre un film totalement désincarné et dispersé où seul demeure dans un jardin d’été, un texte « obscur » que ni le piano de Nick Cave ni l’introduction d’un écrivain-narrateur ne viennent éclairer. Dommage.
Des vues désertes de Paris baigné de soleil au mois d’août ouvrent Les Beaux jours d’Aranjuez sur « Just a perfect day » de Lou Reed avant de plonger dans un jardin sur les hauteurs de la capitale. Là, un homme (Reda Kateb) et une femme (Sophie Semin) assis devant une limonade à la terrasse d’un jardin luxurieux bavardent, dans une langue chaste et métaphorique, de leurs premières expériences amoureuses, sexuelles. En arrière-plan de ce huis-clos extérieur, dans la maison, un écrivain (Jens Harzer) se tient devant sa machine à écrire dans une pièce jonchée de livres.
Avec une telle ouverture qui sent immédiatement le verbe des « Fragments d’un discours amoureux » ou « Conte d’une nuit d’été », l’intime est d’emblée campé dans les multiples références à la littérature que Wim Wenders accumule et accompagne ici d’une 3D surlignant ce que l’image et les dialogues devraient nous laisser deviner, savourer de ce rapport intime. Dès lors s’amorce un échange ou plutôt deux soliloques entre Reda Kateb qui, plus habitué à la caméra, joue son texte de manière remarquable et Sophie Semin qui le déclame de manière théâtrale. Ce couple hétéroclite (amis, anciens amants ?) l’est surtout par cette manière décalée d’interpréter sa partition qui obscurcit, brouille l’intention de Wim Wenders mais surtout un texte où l’un parle au masculin du féminin, et l’autre parle au féminin du masculin. Le troisième personnage qui ne figurait pas dans le texte originel, joue lui aussi indépendamment sa répartie, celle du narrateur-créateur amorçant ici un autre angle de vue, une autre perspective à ce qui continue de se dire dans le jardin : celle du processus de la création dont il nous faut deviner qu’il échappe à son auteur tout comme ce dernier s’efface de l’écran, ce qui amené de la sorte se réduit ici à un lieu commun de la création.
Ainsi, pris entre tant d’angles et de références multiples, on ne sait où donner de la tête, de l’œil et de l’ouïe, et loin de nous faire chavirer par le propos du film – quand le verbe s’épuise à dire, faire l’amour ce qu’Anne-Marie Miéville était parvenue à réaliser dans Après la Réconciliation – c’est bien péniblement qu’il faut se livrer in vivo à un travail d’exégèse du texte, des plans, de l’apparition soudaine de Nick Cave, l’ensemble simultanément au milieu d’une caméra 3D pour tenter d’extraire un fragment de cinéma, un moment d’extase devant lequel s’émouvoir.
L’exigence du texte, au demeurant admirable, aurait sans doute suffit à une mise en scène fluide de ce duo en plein air, sans que nul piano, nul jukebox ne vienne perturber ce coït verbal, ce que les dix dernières minutes seulement des Beaux jours d’Aranjuez lui laissent pour nous émouvoir et rappeler le talent de conteur de Wim Wenders, lorsqu’il sait ne pas se laisser dominer par son sujet.
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