Woody Allen – « Coup de chance »

Précédé par une rumeur peu flatteuse après sa présentation au festival de Venise, pâtissant sans aucun doute de polémiques aussi stériles que confusionnistes (trompetons une bonne fois pour toute que le cas Woody Allen n’a strictement rien à voir avec ceux de Polanski et Besson qui présentaient également leurs derniers films à la Mostra), Coup de chance est le cinquantième long-métrages du cinéaste à débarquer sur nos écrans.

Disons-le d’emblée, car vous le lirez sans doute beaucoup ailleurs, ce n’est pas un grand cru de l’auteur d’Annie Hall et Manhattan. Mais une fois ce constat posé, on peut se demander si l’opprobre qui l’a frappé est justifié. La réponse est bien évidemment négative.

Comme tous les films qu’il a tournés loin de Manhattan (exceptons néanmoins ses succulents opus londoniens : Match Point, Scoop et Le Rêve de Cassandre), Coup de chance débute de manière un peu pépère. Woody Allen porte sur Paris le regard d’un touriste américain émerveillé par les beaux quartiers de la ville. Alain (Niels Schneider) et Fanny (Lou de Laâge) se rencontrent par hasard rue de Montaigne, pas loin du théâtre des Champs-Élysées, se baladent au Jardin des plantes et les personnages mangeront par la suite au Flore et fréquenteront des cafés typiquement parisiens. De la même manière, Alain est écrivain et vit sous une mansarde comme au temps de La Bohême. Ces clichés peuvent agacer et le film nous donne d’abord l’impression de chausser une paire de pantoufles, avec ce que cela peut avoir de péjoratif (un côté un brin désuet, pas très original et un peu plan-plan) mais aussi de confortable : la photographie mordorée de Storaro est agréable à l’œil, les acteurs se débrouillent plutôt bien et, mine de rien, Woody Allen n’a rien perdu de son sens du romanesque et nous prend délicatement par la main pour nous embarquer dans son récit.

On le sait, Coup de chance est le premier film que Woody Allen a tourné directement en langue française. Et c’est peut-être le plus gros bémol du film. Non pas tant pour la direction d’acteur qui, je le redis, est bonne mais pour la perte de cette « petite musique » qu’il a su imprimer dans ses dialogues depuis plus de 50 ans. On ne retrouvera donc pas ici son art de la réplique percutante ou du trait d’esprit réjouissant qui nous enchantent généralement.

© Metropolitan FilmExport

Alain et Fanny se rencontrent donc en pleine rue. Autrefois, ils étaient au lycée ensemble et le jeune homme était très amoureux de sa camarade, sans avoir jamais osé se déclarer. Des années plus tard, leurs vies ont pris des directions opposées : tandis qu’Alain peine à se fixer quelque part et vit comme un artiste, Fanny a épousé le richissime Jean Fournier (Melvil Poupaud) et mène une existence à l’abri du besoin. Elle a néanmoins le sentiment de n’être qu’une « femme trophée » et s’ennuie généralement au milieu d’un univers superficiel où le fric est roi.

Le temps d’une belle scène située dans la maison de campagne des Fournier, la caméra effectue un léger mouvement sur le visage de Fanny qui regarde par la fenêtre son mari et ses amis s’éloigner pour aller à la chasse. Qu’il s’agisse de la surface vitrée de cette fenêtre et du cadre où son visage s’inscrit, le plan isole la jeune femme de son environnement et l’abandonne à ses rêveries et sa mélancolie. D’une manière assez classique mais efficace, Woody Allen oppose un univers creux et toc (celui des affaires, de l’argent qui ruisselle…) à celui de l’art, de la poésie et de l’amour sincère. Un amour qui poussera d’ailleurs Alain et Fanny à devenir amants.

A partir de là, le rythme s’accélère un peu et un événement (que nous nous garderons de dévoiler) fait basculer le film vers l’univers du cinéma policier. Woody Allen peut alors à nouveau développer les thèmes qui lui sont chers : le destin (que serait-il arrivé si Alain et Fanny s’étaient rencontrés avant ?), la chance et l’ironie cruelle du sort. Comme dans Crimes et délits et Match Point (toutes proportions gardées), le cinéaste montre des personnages d’arrivistes qui ont bâti leurs fortunes sans scrupules et ont su « provoquer la chance » (c’est ce que répète souvent Jean qui ne croit qu’à la volonté). Il croque avec une verve sarcastique plutôt bien sentie le ridicule d’une classe sociale qui vit sur les apparences et masque les pires turpitudes sous le vernis des conventions.

Plus l’intrigue se resserre autour de ce nœud criminel, plus le film devient intéressant. Poupaud campe avec beaucoup de talent un millionnaire au passé trouble et capable de tout pour asseoir sa puissance. Mais à la noirceur de Match Point ou du Rêve de Cassandre qui pointe çà et là succède ici la fantaisie policière avec la mère de Fanny, incarnée par une Valérie Lemercier en grande forme, qui entre en scène et mène l’enquête. Grande lectrice de Simenon et de polars, elle interprète (ou devine ?) la vérité du monde à l’aune de ses lectures. En ce sens, elle vient s’inscrire dans la longue tradition des enquêtrices obstinées qu’affectionne Woody Allen, qu’il s’agisse de  Diane Keaton dans Meurtre mystérieux à Manhattan ou Scarlett Johansson dans Scoop.

La fin nous réserve une belle surprise et achève de nous convaincre que si ce dernier (on n’espère qu’il ne s’agit pas de l’ultime) Woody Allen a beau être un exercice de style mineur, il est néanmoins constamment plaisant, bien joué (je n’ai pas fait l’éloge de Lou de Laâge mais elle les mérite) et prouve une fois de plus que la veine romanesque du cinéaste n’est pas encore tarie.

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Coup de chance (2023) de Woody Allen avec Melvil Poupaud, Lou de Laâge, Niels Schneider, Valérie Lemercier, Elsa Zilberstein

Sortie en salles le 27 septembre 2023

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A propos de Vincent ROUSSEL

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