Xabi Molia confirme sa singularité et son talent avec son deuxième film, après le très réussi Huit fois debout qui comptait les mésaventures de deux chômeurs, « sept fois à terre, huit fois debout ».
Là encore, deux anti-héros au bout du rouleau et marginalisés par une société sclérosée, prennent la tangente dans la forêt. Sauf que Molia monte ses ambitions d’un cran en épousant plusieurs genres : comédie, drame, conte initiatique, aventures… et en jouant en permanence sur de truculents et subtils décalages, rappelant la formule d’Andy Warhol « J’ai toujours été la bonne personne au mauvais endroit ou la mauvaise personne au bon endroit ».
A priori, le tandem illustre une dichotomie classique : la tête et les jambes.
La « tête », Galaad (Podalydès) est un acteur tourmenté. Sauf que, l’amoureux des textes doit se contenter de pièces de seconde zone ; le cadet, Noé, est entraîneur de foot dans un club de 4éme division mais, trouvaille hilarante de la part de Molia : il plombe le moral de ses troupes par des formules hermétiques aux footballeurs comme « l’être ensemble » ou une citation de Marcel Gauchet !
C’est sans compter l’imagination réjouissante du réalisateur qui va embarquer le duo non pas, dans la quête du Graal –ils l’ont déjà !- mais dans sa restitution, suivant les dernières volontés de leur retors père qui aurait dérobé le calice, à la Roche aux Croisés, un lieu chargé des montagnes basques.
Nos deux perdants vont alors partir déjouer la malédiction familiale, apprendre à se connaître et … des événements plus surprenants vont advenir, le cinéma de Molia étant libre et fantaisiste, hors des sentiers battus d’un simple récit initiatique.
Si le tempo de la comédie est donné dès le début, on peut regretter un léger ventre mou dans la partie bucolique, la collision entre les idéaux de ces personnages blessés et la réalité étant plus pittoresque quand ils sont confrontés à des gens « normaux » et insérés dans le système : le capitaine de l’équipe et les joueurs pour Noé ; le directeur de théâtre et la troupe pour Galaad, que quand ils croisent la route de personnages moins enfermés dans des rôles sociaux : les deux sœurs, puis les guides et les touristes norvégiens. Car, le réalisateur excelle dans ce genre de « culture clash », bousculant avec tendresse des univers antinomiques. L’intrigue esquissée autour des trois sœurs est prometteuse et aurait pu être davantage creusée. En substance, elle rend hommage aux femmes, ici plus chevaleresques que les deux « conquérants ». Un des atouts indéniables du film est sa faculté à nous présenter des personnages complexes, avec un point de vue bienveillant et critique, à la différence de nombreux films français où la mise en scène et la volonté de mener un récit linéaire prennent le pas sur la caractérisation des protagonistes. A ce titre, le moment où Noé chantonne un air de Rio Bravo, est exemplaire : il est à la fois dans le cliché du héros Hawksien, du musicien charmant les groupies et dans une maladresse touchante, dévoilant une de ses failles ; enfin et surtout, le jeu prime comme si Demy effectuait un zoom arrière sur lui-même et n’était pas dupe.
Xabi Molia dit avoir voulu « faire un film joyeux sur des gens qui vont mal ». En ce sens, Les Conquérants nous ont conquis, d’autant qu’avec une humilité qui n’empêche pas l’ambition (oscillation permanente d’un ton à l’autre : burlesque, drame…), le film soulève avec délicatesse la question de la transmission, de l’ « être ensemble », d’une certaine quête existentielle, nous embarquant avec des personnages avec qui il fait bon vivre. En cela, le cinéma de Molia a d’indéniables vertus thérapeutiques, un antidote solaire à un monde parfois malade.
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