Xabi Molia confirme sa singularité et son talent avec son deuxième film, après le très réussi Huit fois debout qui comptait les mésaventures de deux chômeurs, « sept fois à terre, huit fois debout ».

Là encore, deux anti-héros au bout du rouleau et marginalisés par une société sclérosée, prennent la tangente dans la forêt. Sauf que Molia monte ses ambitions d’un cran en épousant plusieurs genres : comédie, drame, conte initiatique, aventures… et en jouant en permanence sur de truculents et subtils décalages, rappelant la formule d’Andy Warhol «  J’ai toujours été la bonne personne au mauvais endroit ou la mauvaise personne au bon endroit ».

Ainsi, le film démarre sur la route, mais point de road movie, les deux demi-frères,  solidement campés par Denis Podalydès et Mathieu Demy, sont plutôt du genre à faire du surplace. En rade de voiture, ils sont contraints de pratiquer l’auto-stop pour se rendre à l’enterrement de leur père. Le ton très particulier est tout de suite donné : un collectionneur d’art richissime leur vole la vedette, accaparant le temps de parole pour évoquer le défunt, un explorateur excentrique. Les funérailles et le misérable pot qui s’ensuit font mouche : le duo gentiment à côté de la plaque est éclipsé par ceux-qui-ont-bien-connu leur-père, un « salopard » dixit Galaad et Noé, le seul point sur lequel ils s’accordent.
A priori, le tandem illustre une dichotomie classique : la tête  et les jambes.
La « tête », Galaad (Podalydès) est un acteur tourmenté. Sauf que, l’amoureux des textes doit se contenter de pièces de seconde zone ; le cadet, Noé, est entraîneur de foot dans un club de 4éme division mais, trouvaille hilarante  de la part de Molia : il plombe le moral de ses troupes par des formules hermétiques aux footballeurs comme « l’être ensemble » ou une citation de Marcel Gauchet !
Galaad a la poisse et charge ses rôles comiques d’une aura morbide. Ce qui est hélas ! probablement lié à l’avancée  impitoyable de sa maladie.  Persuadé qu’il a hérité de la même malédiction que son père depuis qu’il a dérobé une relique – le Graal, ni plus, ni moins! – il décide de la voler au riche collectionneur qui l’a rachetée. Le paternel est mort de façon foudroyante, ruiné, sa maison a pris feu… La liste de ses malheurs est longue.
Galaad serait-il prédestiné, ne serait-ce par son prénom ? Il est le plus jeune chevalier de la Table Ronde, non seulement celui qui  réalisa la quête du Saint Graal, mais aussi, le seul, à pouvoir regarder à l’intérieur du Graal. Léger bémol : la légende arthurienne dit qu’il mourut sitôt après, ayant contemplé quelque chose qui le dépassait. Or le Galaad 2.0 est travaillé par sa mort future et pas aussi athlétique que son demi-frère.  Noé l’envoie paître, refusant d’appartenir au club des bras cassés. Car le coach ne veut faire partager ses ruminations qu’à des sportifs, peu réceptifs, plutôt qu’à sa voisine, trop attentionnée, ou à son demi-frère.

C’est sans compter l’imagination réjouissante du réalisateur qui va embarquer le duo non pas, dans la quête du Graal –ils l’ont déjà !- mais dans sa restitution, suivant les dernières volontés de leur retors père qui aurait dérobé le calice, à la Roche aux Croisés, un lieu chargé des montagnes basques.

Nos deux perdants  vont alors partir déjouer la malédiction familiale, apprendre à se connaître et … des événements plus surprenants vont advenir, le cinéma de Molia étant libre et fantaisiste, hors des sentiers battus d’un simple récit initiatique.

Il nous narre cette quête du Graal à rebours, avec une ironie mâtinée de tendresse, Demy/Noé s’avérera moins doué avec les animaux que son prédécesseur biblique.

Si le tempo de la comédie est donné dès le début,  on peut  regretter un léger ventre mou dans la partie bucolique, la collision entre les idéaux de ces personnages blessés et la réalité étant plus pittoresque quand ils sont confrontés à des gens « normaux » et insérés dans le système : le capitaine de l’équipe et les joueurs pour Noé ; le directeur de théâtre et la troupe pour Galaad, que quand ils croisent la route de personnages moins enfermés dans des rôles sociaux : les deux sœurs, puis les guides et les touristes norvégiens. Car, le réalisateur excelle dans ce genre de « culture clash », bousculant avec tendresse des univers antinomiques.  L’intrigue esquissée autour des trois sœurs est prometteuse et aurait pu être davantage creusée. En substance, elle rend hommage aux femmes, ici plus chevaleresques  que les deux « conquérants ».  Un des atouts indéniables du film est sa faculté à nous présenter des personnages complexes, avec un point de vue bienveillant et critique, à la différence  de nombreux films français où la mise en scène et la volonté de mener un récit linéaire prennent le pas sur la caractérisation des protagonistes. A ce titre, le moment où Noé chantonne un air de Rio Bravo, est exemplaire : il est à la fois dans le cliché du héros Hawksien, du musicien charmant les groupies et dans une maladresse touchante, dévoilant une de ses failles ; enfin et surtout, le jeu prime comme si Demy effectuait un zoom arrière sur lui-même et n’était pas dupe.

  Xabi Molia dit avoir voulu « faire un film joyeux sur des gens qui vont mal ». En ce sens, Les Conquérants nous ont conquis, d’autant qu’avec une humilité qui n’empêche pas l’ambition (oscillation permanente d’un ton à l’autre : burlesque, drame…), le film soulève avec délicatesse la question de la transmission, de l’ « être ensemble », d’une certaine quête existentielle, nous embarquant avec des personnages avec qui il fait bon vivre. En cela, le cinéma de  Molia a d’indéniables vertus thérapeutiques, un antidote solaire à un monde parfois malade.

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