Le désir ou le manque.
J’ai, par amour, et cherchant à remédier à un sentiment d’imposture, fait un fou de moi plus souvent qu’à mon tour. Le succès s’accompagne d’isolement et avant que j’aie pu m’en rendre compte j’étais, après avoir franchi mon premier quart de siècle, seul, les trois quarts du temps.
Xavier Dolan, 9 avril 2019
De solitude, il est beaucoup question dans Matthias et Maxime, le nouveau film que Xavier Dolan a présenté au festival de Cannes (sélection officielle) cette année. En la diluant dans une bande d’amis drôles et vanneurs, le jeune réalisateur va la faire apparaître progressivement pour mieux l’infliger à ses personnages et — peut-être — les en libérer. Du titre aux premières scènes du film, tout nous indique que la vie des joyeux trentenaires que Dolan filme est grégaire et tranquille. Ils discutent, s’amusent, semblent bien logés, bien nourris, bien accompagnés. Même si l’image est emprunte d’une certaine mélancolie propre à la réalisation de Dolan, l’amitié et l’humour de ce groupe semblent inaltérables.
Quel est le mythe fondateur de Matthias et Maxime ?
Pourtant, ce joli tableau va lentement se fissurer. La sourde lame de fond qui va emporter les deux protagonistes, Matthias (Gabriel D’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan), trouve potentiellement sa source dans deux événements. D’une part, il y a un baiser de cinéma que vont s’échanger Matthias et Maxime, dans le vacarme et l’embarras, à la demande de la soeur d’un de leurs amis pour un projet de court métrage. En clin d’oeil très appuyé à Jacques Rivette (la réalisatrice en herbe s’appelle Erika Rivette), les deux amis découvrent le scénario quelques minutes avant de commencer le tournage et doivent largement improviser un baiser face caméra. D’autre part, il y a l’annonce beaucoup plus discrète du départ de Maxime pour l’Australie pendant deux ans.
La question que pose le réalisateur est la suivante : l’événement fondateur du mythe de Matthias et Maxime est-il le désir né d’un baiser (trahissant possiblement un refoulé de leurs orientations sexuelles) ou le manque que va créer l’absence de l’être aimé en secret ? Au regard de nos histoires personnelles, de nos imaginaires, de nos frustrations et de nos amours passées, Xavier Dolan nous demande subtilement de choisir, en longeant les propres choix de ses personnages, entre le désir et le manque comme fait révélateur de l’objet amoureux. Parce qu’il n’y a pas de doute, Matthias et Maxime s’aiment.
Xavier Dolan prend le parti du manque
En nous plaçant face à ce dilemme, Dolan élargi considérablement la portée de son film et évacue possiblement la question de la sexualité pour aller sur un terrain plus universel qui est celui de l’amour latent révélé par le départ — et donc l’absence — de l’être aimé. En cristallisant ironiquement la narration autour de la mise en abyme du baiser de cinéma, Xavier Dolan s’amuse avec les spectateurs. Le cinéaste donne, par l’intermédiaire de scènes comiques et de gènes, de l’importance à un événement aussi mineur que le court métrage issu de ce baiser. Nous sommes à Montréal en 2018, ce baiser entre deux hommes n’a évidemment rien de subversif. De surcroît, il semble que Matthias et Maxime ont déjà échangé quelques années auparavant un baiser qui n’a eu apparemment aucune conséquence. C’est donc bien du côté du futur manque, et non du désir, que nous oriente Dolan. C’est d’ailleurs le plus stable des deux, Matthias, celui qui reste, celui qui a une trajectoire de vie toute tracée, une petite amie, une famille solide et bourgeoise, un travail à responsabilités, qui va vaciller plus fort que celui qui part, Maxime, le cabossé, le tâché, le sans père, le tuteur réticent d’une mère alcoolique et aigrie. La seule scène charnelle du film est succincte, chirurgicale, froide. Dans Matthias et Maxime, à l’image des réseaux sociaux sur lesquels va certainement se retrouver le court métrage du baiser, le désir est immédiat, distant, éphémère ; le manque lui est plus profond, plus long, plus épais et se révèle de façon éclatante dans la solitude qui habite, même avant la séparation, les deux garçons. Le cinéaste prend largement le parti du manque, celui de la pensée, du temps long, plutôt que celui du désir, de l’immédiat.
En revenant, par la forme et le fond, à ses premiers films, Xavier Dolan nous livre un film humble et touchant, dans lequel il interprète avec une tendresse infinie un personnage instable et luttant contre un déterminisme social foudroyant. Grâce à une mise en scène précise et des dialogues délicats et inspirés, le cinéaste nous interroge sur notre propension à aimer et sur la manière dont sont fabriqués et viennent à la lumière les objets amoureux. En nous emportant, par le vertige, dans cette histoire d’amour gardée trop longtemps à l’étroit, il nous confronte à nos propres choix et à la solidité des sentiments. Matthias et Maxime est un diamant brut qui va continuer à rayer et embellir nos souvenirs et nos rêves pendant longtemps.
Matthias et Maxime de Xavier Dolan (Canada — 2019 — 119 minutes)
Date de sortie : 16 octobre 2019
Interprètes : Gabriel D’Almeida Freitas, Xavier Dolan, Anne Dorval
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