« Le style, c’est d’être soi-même »
A 29 ans, Xavier Dolan a déjà réalisé sept films. En moins d’une décennie, de J’ai tué ma mère ( 2009) à Juste la fin du monde ( 2016), le cinéaste s’est toujours jeté dans ses films avec toute sa jeunesse. Une jeunesse libre de barrières et de scrupules, inventant alors une langue cinématographique, débordée de toute part et d’une intensité absolue. Son septième long-métrage, The Death and Life of John F. Donovan, est aux premiers abords plus en retrait, sa « charge » affective plus contenue alors même qu’il est le film peut-être le plus intime de Xavier Dolan. Et un très beau film.
Dix ans après la mort de John F. Donovan, célébrité d’une série américaine, un jeune acteur Rupert Turner se remémore la correspondance secrète qu’il a entretenue autrefois, alors qu’il n’était qu’un enfant, avec cette star de la télévision. Plus encore il se souvient de l’impact que ces lettres ont eu sur leurs vies respectives.
The Death and Life of John F. Donovan se déroule parallèlement aux Etats-Unis et en Angleterre, mais est raconté depuis l’Europe. C’est dans un café de Prague que Rupert Turner retrouve une journaliste « sommée » par le Times de l’interviewer suite à la publication de ses lettres avec John F. Donovan. Aussi le film est éclaté en réminiscences, et en trois lieux différents, autour de l’enfance de Rupert, de la célébrité et de la déchéance de John F. Donovan. Mais le récit de Rupert adulte ( récit dans le récit) condense ces deux temporalités qui alors se superposent en un « éternel présent » réunissant passé, présent et avenir . Si le premier plan du film absorbe par le flou la mort de John F. Donovan, c’est justement parce que cette mort ouvre à la clarté du dernier plan, celle de l’acceptation du tragique au sens nietzschéen : un oui à la vie.
Cette joie affirmative n’a rien de fade ou de niais, car elle est une adhésion au devenir. Elle est un oui affirmant toute différence, toute multiplicité, toute pluralité. John F. Donovan n’a pas pu vivre sa vie mais seulement la jouer. Pris au piège de sa notoriété et du conformisme imposé par l’industrie cinématographique aux Etats-Unis, il n’a pas assumé son homosexualité et a renoncé à être ce qu’il était.
© mars film
© mars film
John F. Donovan, incarné par Kit Harington, paraît absent à lui-même, et ses sourires seuls, avec pudeur, en sont l’aveu impuissant. Son immobilité constitue d’ailleurs un écart par rapport au mouvement qui aurait dû être la « règle » pour une célébrité. Cette échappée d’un mouvement fantasmatique se trouve contrariée par une mise en scène de l’immobilité qui certes accentue l’aura du personnage mais aussi l’effet dramatique. La mise en cadre du personnage, à travers ses nombreux regards hors-champ et les gros plans sur son visage, montre à quel point il trouve peu de place pour exprimer ce qu’il est.
Mais ce sont ces confidences de John, faites à travers les lettres, qui permettront à Rupert d’être lui-même. D’ailleurs même enfant, Rupert ( interprétation exceptionnelle de Jacob Tremblay) tient tête à ses camarades, affirme sa différence dans toute son impertinence. Rupert est fasciné par John F. Donovan, son « modèle », celui à qui il voue une admiration sans faille. La séquence où il regarde un épisode de la série avec « son » héros, sous le regard attendri de sa mère, est d’une justesse irrésistible.
Mais ce qui intéresse Xavier Dolan, ce n’est pas le rapport intellectualisé qu’une personne peut avoir aux œuvres, mais un rapport émotionnel. Et c’est justement là et paradoxalement l’extrême intelligence de son film. Ce rapport que l’on a d’ailleurs avec son cinéma, et que lui-même entretient avec sa propre cinéphilie. Ce qui fait qu’une rencontre est vraiment possible avec un artiste n’est pas l’expression intrusive et souvent superficielle de son admiration pour lui, mais celle pour son travail, qu’il soit d’ailleurs de qualité ou non. Le lien épistolaire entre Rupert et John F. Donovan témoigne d’ une relation unique et singulière parce qu’elle est aussi fondée sur un partage du sensible, loin de tout intérêt, de toute forme d’opportunisme. Une relation sincère entre deux êtres dont les trajectoires entretiennent des résonances, se répondent et s’interpellent.
C’est aussi en cela que The Death and Life of John F. Donovan est peut-être le film le plus intime du cinéaste. Xavier Dolan, qui « à l’impossible toujours est tenu », au talent incontestable, inventif, d’une générosité incroyable est à tort souvent décrié, critiqué. Pourquoi à tort ? Parce qu’on lui reproche davantage ce qu’il est, ou plutôt faudrait -il dire ce qu’on croit qu’il est en tant qu’homme plus qu’en tant qu’artiste. Les dons souvent attisent la jalousie. Et pourtant aucune prétention dans son geste cinématographique, bien au contraire. Xavier Dolan assume tout ce qu’il fait, là où certains cinéastes se censurent volontiers par opportunisme ou par crainte. L’audace n’est-elle pas d’affirmer, comme le dit le personnage du film : « le style, c’est d’être soi-même » ? Et avec elle, cette liberté d’esprit, qui est aussi une liberté du faire dont témoignent tous ses films?
The Death and Life of John F. Donovan est un film plus délicat peut-être, mais comme tous les précédents, d’une sincérité désarmante, à travers ses obsessions et à travers sa forme. Un film qui dit les émois souvent informulables, par lesquels les personnages font l’expérience du monde, et sont, l’air de rien, la voix de ceux qui manquent.
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