Auteur de longs-métrages chocs à haute teneur sociale, n’hésitant pas à s’emparer des codes du cinéma de genre (comme le polar avec The Major en 2013) afin de poser un regard acerbe sur la Russie contemporaine, Yuri Bykov signe après quatre ans d’absence, un retour fracassant avec Factory. Le film conte l’histoire d’un ouvrier, surnommé « Le Gris », réunissant cinq de ses collègues afin d’organiser le kidnapping de leur patron, juste après l’annonce par ce dernier de la fermeture de leur usine. Entre maladresses et trahisons, l’opération ne se déroulera pas comme prévu…
Un plan large sur un champ désert à perte de vue, au loin les néons d’une ville sous la lumière froide du petit matin et la silhouette massive d’un homme qui marche seul sur une route en direction de la caméra (image qui trouvera son négatif bouleversant lors des derniers instants du film). En quelques secondes, Bykov iconise son héros borgne et charismatique (interprété par Denis Shvedov, fidèle du cinéaste), en l’inscrivant dans une imagerie issue du western, dont les motifs imprègnent tout le long-métrage. L’usine, massive, dominant le paysage et écrasant tous les personnages lorsque sa façade est dans le cadre, évoque un Fort Alamo moderne, le protagoniste taiseux et mystérieux (dont le passé n’est abordé qu’à travers ses cicatrices), solitaire et presque misanthrope (il refuse de prendre le bus avec les autres ouvriers, qu’il juge trop bruyants), se révèle un « homme sans nom » parfaitement Léonien. Ses complices quant à eux (appelés seulement par leurs pseudonymes au départ), scrutant Kalouguine, leur patron, lorsqu’il pénètre les lieux comme si un pistolero ennemi avait poussé la porte du saloon, se posent en Horde Sauvage revue et corrigée par Ken Loach. L’ombre du chef-d’œuvre de Sam Peckinpah se faisant également sentir lors d’un final au nihilisme désespéré dans lequel seuls demeurent les cris des corbeaux. Si Rio Bravo est cité lors d’une ultime scène d’assaut, le réalisateur ne se cantonne pas à l’Ouest sauvage mais nourrit Factory de diverses influences, le faisant sortir des ornières du drame social pour se frotter aussi bien au film de braquage, qu’au thriller urbain cher à Michael Mann, comme en témoignent ces scènes de suspens en huis clos autour du payement de la rançon demandée.
Enfermant ses personnages dans l’incroyable décor de béton et de métal de l’usine, qu’il révèle à travers de longs plans à la steadycam, baignant le tout dans une photographie grise et froide, Yuri Bykov ne cède pourtant pas à un cynisme et un détachement facile. Ainsi le gang des « six mercenaires » (dont les noms sont révélés au fur et à mesure, comme pour leur rendre une humanité méritée) est introduit via des dialogues quotidiens et banals (infidélité, problèmes de voisinage), avant que leurs vies misérables soient exposées dans un émouvant montage en parallèle. Un procédé qu’il utilise de nouveau tel quel pour introduire l’équipe de sécurité (censée faire office de bande de « méchants » au récit) envoyée pour récupérer Kalouguine, eux aussi ne disposant que de pseudonymes. Lors d’un cut brutal, le cinéaste présente leur chef, « La Brume », dans son quotidien peu enviable, assistant à la souffrance de sa femme malade en phase terminale, lors d’un très beau travelling arrière, isolant sa silhouette au centre du cadre. Ce soin de briser tout manichéisme (dont le point d’orgue est atteint lors d’une discussion entre le patron et « Le Gris ») et de faire de tous les personnages de simples travailleurs essayant de survivre au sein d’un système inhumain qui les dépasse, rendant même impuissante la police, non plus rattachée à l’État mais aux ordres de groupes privés, élève le film au-dessus de son statut de série B rugueuse. S’il a parfois tendance à surjouer de son sérieux papal, Factory se révèle d’une efficacité exemplaire, son réalisateur jouant de gimmicks sonores stressants (le son évoquant celui de la trotteuse d’une montre accompagnant les tensions apparaissant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’usine), et de ruptures brusques dans le montage, à l’instar de cette évocation du plan de kidnapping, directement enchaînée à la scène de sa mise à exécution, filmée intégralement depuis l’habitacle d’une voiture. Assumant une gestion de l’espace digne d’Assaut de John Carpenter (l’influence du western est encore omniprésente), il offre un climax spectaculaire, faisant de la manufacture une véritable zone de guerre plongée dans la pénombre, filmant l’action caméra à l’épaule, multipliant les niveaux et les étages afin de rendre palpable le danger menaçant à chaque recoin. Une mise en scène nerveuse et alerte qui s’accompagne d’un propos bien moins simpliste qu’il n’y paraît, faisant de Bykov l’un des cinéastes russes à suivre de très près.
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