Yves-Marie Mahé, activiste émérite au sein d’un cinéma engagé et expérimental, raconte avec Jeune cinéma, l’histoire explosive et fascinante du festival éponyme créé à Hyères dans le Var de ses débuts en 1965 jusqu’en 1983, avec une petite parenthèse Toulonnaise dans les années 70 suite à des imbroglios politiques. Oubliée aujourd’hui, cette manifestation coup de poing était le festival le plus important dans l’hexagone après Cannes, son rival direct, perçu alors par les programmateurs comme le parangon de la bourgeoisie et du cinéma académique.
Dans cette ambiance pré et post-soixante-huitarde, soufflant le chaud et le froid d’une révolte contenue, le film dessine les contours d’un évènement dominé par la présence dans un premier temps de quelques grands noms du cinéma français de Claude Lelouch à Claude Chabrol en passant par Philippe Garrel ou Werner Schroeter mais n’oublie pas d’évoquer quelques frondeurs aujourd’hui disparu comme l’iconoclaste Jacques Robiolles, réalisateur de Les yeux de maman sont des étoiles, auréolé en 71 le prix du jury.
Progressivement, le festival s’est détourné de l’entre-soi ; d’une sélection globalement très franco-française pour s’ouvrir vers d’autres contrées européennes comme l‘Allemagne et aussi vers une féminisation de cet évènement, symbole d’une forme de contre-culture. Lors d’une séquence mémorable, la présence de Chantal Akerman au côté de Bob Swaim, futur réalisateur de La balance et l’un des rares à critiquer le festival pour ces choix autocentrés, symbolise, d’une certaine manière, tous les enjeux à venir d’un cinéma avançant dans l’ère des années 80 et n’ayant pas vu venir l’hégémonie du divertissement de masse. Tous ses passionnés de la pellicule affichaient un mépris -compréhensible mais contestable – du cinéma de consommation. Marguerite Duras, lors d’une intervention qui n’avait rien de provocatrice à l’époque, déplore l’appellation de cinéma parallèle ou « différent », puisqu’il n’existe pas d’autre cinéma, seulement des produits publicitaires. Cette affirmation de la réalisatrice d’Indian Song résonne comme une forme de mépris de classe, ou du moins résulte d’une vision élitiste et condescendante du septième art. Néanmoins, pris dans un contexte bien précis, les propos de Duras relèvent d’une herméneutique purement théorique, à l’image de la pensée d’un Deleuze ou d’un Baudrillard pas toujours très tendre envers le peuple.
Pour les néophytes, qui ne sont pas allergiques à la nouvelle vague et à ses descendants, Jeune cinéma est un formidable voyage culturel, politique et sociologique au cœur d’un univers bouillonnant, peuplé de figures ubuesques, d’intellectuels décalés, de créateurs dandys et de virulents militants débattant autour du septième art comme s’il s’agissait d’une question de survie. Comme si l’avenir du monde en dépendait. Cette émulation dans des débats houleux mais stimulants peut paraître dérisoire, voir prêter à sourire, mais elle renvoie par un effet de miroir inversé à une époque contemporaine marquée par l’inertie, le consensus mou autour des films, particulièrement dans les festivals où il n’y a quasiment plus d’interactions musclées entre le public et les créateurs. La frontalité des échanges a laissé place aux petites querelles sur les réseaux sociaux par écrans interposés.
D’une durée ramassée d’une heure quinze à peine, Jeune Cinéma passionne de la première à la dernière image par la vivacité de son montage, l’intérêt constant de son sujet et la forme choisie qui a l’intelligence de se débarrasser de toute intervention contemporaine. Constitué uniquement de voix off d’époque, d’enregistrements sonores collectés par l’INA, de vidéos et d’images d’archives, d’extraits de films qui ont l’air d’avoir plus ou moins bien vieilli, le documentaire de Yves-Marie Mahé, n’est pas seulement un témoignage crucial d’une époque révolue mais une œuvre vivante et pleine d’enseignement pour le présent où la culture a plus que jamais besoin d’un coup de fouet pour avancer. C’est au fond la bonne nouvelle du film, de ne pas nous servir la soupe du « c’était mieux avant » en préférant nous inviter à réfléchir sur l’objet même d’un film, son importance ou non, dans la société et ce rapport triangulaire entre le public, la critique et les cinéastes.
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