Emballant, malgré et pour ses imperfections, son ambition : faire un thriller engagé, mâtiné d’une histoire d’amour, avec une héroïne forte et fragile, The East fait souffler un vent nouveau sur le cinéma indépendant US, mélangeant les genres, osant surtout. Beaucoup. Se plantant parfois- on y reviendra, mais avec une audace et une ferveur contagieuse.


Sarah Moss (Brit Marling, également co-scénariste et co-productrice du film), ex agente du FBI, travaille maintenant pour une agence de renseignements privée, défendant les intérêts de puissants hommes d’affaire.
Sommée d’infiltrer un groupe d’écolo-terroristes, The East, qui s’attaque directement aux multinationales coupables d’empoisonner les eaux, les gens… Sarah va traverser le miroir, en rentrant dans les activités souterraines du groupe. Comment pourra-t-elle revenir à sa vie « normale », sachant que son quotidien est fait de mensonges ? Comme elle le dit elle-même: mensonges à son compagnon, sa boîte, the East…

Le film ressemble à son démarrage : des images brouillées de l’embrouille internationale avec un retour à l‘envoyeur assez jubilatoire : les écolo terroristes renvoient du mazout jusque dans les conduits des maisons des grands groupes industriels, une voix off qui renverse les rapports de force, l’espionné devenant l’espion. Malgré ses maladresses, de par sa volonté assumée de réveiller les consciences, de se soulever par des actions radicales, préférant la révolte à l’insurrection, The East ne peut que toucher à l’arrivée.

Qui dit « volonté farouche », dit aussi, parfois, didactisme naïf, spécialement lors du dénouement auquel on a envie de croire mais qui paraît nettement en-dessous du reste de l’intrigue, tant sa candeur tranche avec la lucidité implacable qui fait la force du film. On préfère The East quand il est plus complexe et moins simpliste, avec des activistes en proie à des doutes, des groupes industriels plus « gris » que noir ou blanc comme le soulignera Sarah.

Un des grands atouts du film est de montrer une héroïne, à mille lieues d’une Angelina Jolie « bionique ». Marling incarne une infiltrée, certes ultra-débrouillarde et stoïque, tout en nous révélant ses failles, ses doutes. La mise en scène est au diapason de ces contradictions : la belle scène où elle court et s’arrête à bout de souffle, le cadre est tordu, ses perspectives se brouillent au sens littéral et métaphorique.

Skarsgard est magnétique dans son rôle de leader anarchiste, à la lisière du gourou. Le groupuscule the East nous fascine quand il sort des sentiers battus et que son identité échappe à une cartographie sociale : le squatt envahi par les ronces, les arbres, dans cette forêt de conte gothique ; l’opération in situ à la soirée du grand groupe pharmaceutique, filmée comme un James Bond indie. Dès que nos amis anarchistes agissent de façon plus répertoriable, ils y perdent en force : ainsi, ils sont desservis par la scène « action/vérité » autour d’une bouteille; le baptême dans l’eau est à la frontière du crédible et du ridicule, ce qui rend la scène tout autant limite que touchante : tout est question de point de vue. Ce que nous dit le film : de quel côté se ranger ? Quel camp choisir ? Quels intérêts défendre ?

 

 


Tant pis si ces questions de liberté et d’engagement sont parfois abordées gauchement. La générosité et le courage de la démarche des scénaristes, Marling et Bamanglij, transcendent le tout : rendre accessible et divertissante une histoire d’espionnage et d’activisme. Accessible non seulement parce que contrairement à certains films d’espionnage, le contenu est clair et s’adresse au spectateur candide, mais surtout –et c’est un des atouts majeurs du film-, parce que The East nous fait vivre de l’intérieur ces mondes secrets. Les rapports de travail parfois conflictuels et surtout complexes de Sarah et de son employeuse sont passionnants et laisse filtrer une relation filiale, riche et profonde, sans jamais tomber dans le psychologisme. On éprouve avec elle, sa façon d’infiltrer, de questionner, puis de rallier the East, depuis la blessure qu’elle se fait intentionnellement jusqu’aux séquelles plus mystérieuse que cette aventure lui laissera. Ecologiquement conscients, ces terroristes 2.0 essayent de trouver leur rythme dans un monde devenu fou à force de consumérisme forcené, d’hyper-libéralisme et de cynisme à tout crin. Avant le tournage Zal Batmanglij et Brit Marling ont intégré un groupe de « freegans »( « gratuivores », ils ne consomment que ce qui est gratuit et laissé dans des poubelles, luttant contre la consommation et prouvant qu’on peut vivre de façon autonome) pour des raisons idéologiques et ont vécu ainsi de façon alternative pendant plusieurs mois. Un hasard cruel fait qu’ils avaient intégré une catastrophe pétrolière juste avant celle du golfe du Mexique se produite. Batmanglij raconte : « L’économie nationale s’est ensuite effondrée et le pays est entré en récession. La rancoeur envers les grandes entreprises et l’univers de la finance s’est intensifiée. On a commencé à nous dire que notre scénario tombait à point nommé. Enfin, alors que nous entamions la pré-production, le mouvement international de protestation Occupy a fait son apparition ».

Le film occupe un plan particulier sur la carte du cinéma américain, faisant la jonction entre les films politiques d’investigation des années 70 tels ceux d’Alan J. Pakula et un cinéma engagé, mettant en scène des héroïnes tel Zero dark thirty. D’ailleurs, Bit Marling joue la fille cachée de Robert Redford dans son très beau Sous Surveillance– où il incarne un ancien des Weather Underground.

Ambitieux The East l’est aussi non seulement pour ce qu’il dénonce mais aussi dans son choix singulierd’infuser du romantisme dans cette sombre histoire très actuelle.La relation entre Sarah et Benji fait dériver tous les repères des deux protagonistes, jusqu’à aboutir à un dilemme dont on ne dira pas plus…

 

Face à un cinéma américain de moins en moins indépendant et de plus en plus soumis à ses tics auteuristes, en ces temps troubles de crise, d’agissements criminels des politiques et des gros groupes industriels au grand jour, The East apparaît comme doublement salutaire, sur le plan cinématographique et sur le plan éthique. Le film fait mouche en conciliant intelligemment ces deux pôles sans virer dans le bien-pensant gnangnan ou dans le moralisateur conservateur, en laissant au spectateur son libre arbitre et la possibilité d’un éveil.

 

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