Neuf ans que nous n’étions pas venus au Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand, autant dire une éternité. Un réveil aux aurores, puis la prise d’un train dès le lever du jour afin de pouvoir assister aux premières séances du samedi matin, le lendemain de l’ouverture, et ainsi profiter pleinement de ce premier week-end festivalier. Objectifs affichés : voir le plus de films possible en moins de 48h et prendre la température de l’état d’un format filmique passionnant.
Bilan factuel, trente-deux films vus en six programmes (quatre samedi, deux dimanche) ainsi qu’une projection VR. Trois séances de la compétition Labo, deux de la compétition Française et une de la compétition Internationale. Un infime échantillon de la programmation d’un festival qui sait s’adresser à de larges pans de la population sans baisser en exigence dans ses choix. Avant d’entrer dans les détails, disons en préambule que c’est du côté du Labo que les propositions nous ont le plus excité et parlé, tant sur le plan de l’expérience que du plaisir de spectateur. Saluons également la qualité du niveau général, l’efficacité de l’organisation et la ferveur sur place : voir des séances complètes de bon matin dans des salles aux jauges très élevées, permet de souligner un engouement inaltérable pour la manifestation. Trêve de généralités, évoquons nos différents coups de cœur et mentions à travers ce week-end intense.
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Augure : Infinite Trolling © Caviar Brussels
C’est soufflé par une première séance Labo (L2) que les hostilités ont débuté. Un programme qui s’est conclu par un premier choc, Augure : Infinite Trolling de Baloji, artiste multifacette dont nous avions découvert le travail en 2023 avec le long-métrage Augure. Ce maelström d’images stylisées et chaotiques, insolent et malicieux, remixant partiellement des travaux antérieurs du cinéaste nous a impressionné et enthousiasmé. Se voulant une réponse aux flux d’images qui nourrissent les réseaux sociaux, ce collage filmique se mue peu à peu en état des lieux du Congo d’aujourd’hui, entre évolutions, révolutions, traditions et mondialisation. Sans chercher une forme militante au sens strict, Baloji invente un langage poétique et éminemment politique, plaçant l’expérience sensorielle et la puissance des images au-dessus de toutes les considérations.
Rebattre les cartes, les représentations et les narrations classiques pour retranscrire le réel ou son allégorie, c’est peu ou prou un leitmotiv au cœur de plusieurs courts-métrages de la compétition Labo (mais pas seulement) qui auront su nous émerveiller ou a minima nous intriguer. Dans Club Bunker (L4), une caméra 3D macroscopique observe différents espaces clos évoquant par alternance, un bunker ou une boîte de nuit, avec pour personnages principaux, des mantes religieuses. En découle, un objet très étrange qui ressemblerait à une sorte de croisement entre Microcosmos et le cinéma de Gaspar Noé, cherchant le plaisir trouble et la sidération avant le sens direct, l’interrogation éventuelle avant la réponse arbitraire. Sur La voix des sirènes (L2), Gianluigi Toccafondo, à l’aide d’une animation mutante mêlant techniques de peinture et relents photographiques, nous plonge au cœur des fonds marins, entre les rochers et les coraux, des algues primitives ondulent, bercées par le son feutré et vrombissant des courants. Là-haut, à la surface de l’eau, quelque chose d’extraordinaire vient d’apparaître : une voix. Une splendeur esthétique au service d’une proposition inquiétante et obsédante, dont la beauté première est contrariée par un travail sonore volontairement rugueux et déstabilisant. A Memories of an unborn sun (L2) de Marcel Mrejen, part quant à lui d’une situation concrète et dramatique. Des milliers de Chinois viennent chaque année travailler sur des chantiers en Algérie, résidant dans des bases-vie isolées dans le désert. Certains y meurent sans être rapatriés. Le réalisateur en tire une œuvre versant dans l’abstraction progressive tout en cherchant l’universalité, refusant systématiquement une approche théorique de son sujet. Dystopie ultra-réaliste (on pense notamment à District 9) conçue en longs plans-séquences ralentis et déformations des perspectives pour se poser en dénonciation feutrée d’un colonialisme qui ne dit pas son nom. Exigeant mais intéressant.
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Lamento © Demian Wohler
En apparences plus légers, Lamento (L4) de Jannick Giger & Demain Wohler et Ni Dieu ni Père (L5) de Paul Kermarec, furent avec Augure : Infinite Trolling, nos autres grands chouchous du Labo. Le premier déploie une atmosphère allant subrepticement de la la rêverie au cauchemar dans une logique lynchéene. Un décor unique, un homme et une femme qui ne communiquent que par un seul et même langage : des extraits de chansons. Cette dichotomie entre une angoisse latente et un référentiel pop très consensuel (Mariah Carey, Justin Bieber, Whitney Houston,…) ajoute une couche d’étrangeté supplémentaire. Les cinéastes créent une langue exprimant ce que les personnages ne parviennent à exprimer l’un à l’autre, créant inattendu et inquiétude, tirant presque vers les images impressionnistes de Possession et Smile. Objet d’invention et de réinvention, Lamento est immédiatement excitant et durablement passionnant. Comment faire tenir un film se déroulant sur le fond d’écran d’un ordinateur, raconter une histoire, être inventif et procurer des émotions ? C’est le défi impossible et pourtant superbement réussi par Paul Kermarec qui signe un court-métrage très malin, drôle et touchant. Exploration du rapport d’un jeune homme à internet et de sa construction par ce médium tandis que son père était absent, Ni Dieu ni Père, derrière son caractère ludique et potentiellement anodin, dit quelque chose de la banalité du virtuel dans nos vies et en même temps son caractère exceptionnel que l’on ne souligne même plus. Il dit quelque chose d’un monde désormais double, réel et virtuel, avec une modestie, une intelligence et une audace remarquables.
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Généalogie de la violence © Division
Autre très gros morceau découvert, Généalogie de la violence (F7) de Mohamed Bourouissa, fiction expérimentale partant d’un fait divers tristement courant, le contrôle au faciès zélé d’un jeune homme physiquement typé par un policier. Ce qui pourrait être un énième film à sujet, se transforme en pure expérience dépassant sa condition première, à la faveur d’une mise en scène sensorielle et psychique. Le réalisateur opère un effacement progressif du réel pour mieux le faire ressortir par l’image et le son. Le virtuel s’immisce progressivement dans l’ultra-réalisme pour brouiller les frontières. Pour Mohamed Bourouissa comme pour plusieurs auteurs cette année, dire ne suffit pas ou présente une portée limitée, l’enjeu est le ressenti, le partage avec le spectateur d’une sensation, d’une idée, d’une intuition. Assez impressionnant.
Sur un mode nettement plus écrit, Amarela (I2) d’Andre Hayato Saito peut partiellement se rapprocher de la démarche de Bourouissa. Il se déroule en 1998, le jour de la finale de la Coupe du Monde qui opposait le Brésil à la France, aux côtés d’une adolescente nippo-brésilienne qui va faire l’expérience d’une violence indicible : celle du rejet lié à ses origines. Ce contrechamp brésilien d’un événement bien connu ne se laisse pas écraser par son postulat et son décorum pour tendre à nous faire ressentir simultanément de manière physique le rejet et le désir d’appartenance à une histoire collective d’une jeune femme en quête de repères.
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Mort d’un acteur © Punchline Cinema
Dans un tout autre registre, même s’il intègre à son postulat la technologie et le poids des réseaux sociaux (de manière plus classique que Ni Dieu ni Père), Mort d’un acteur (F7) d’Ambroise Rateau s’avère aussi réjouissant que grinçant. Philippe Rebbot est annoncé mort par les médias et les réseaux sociaux. Premier problème : il va très bien. Second problème : la rumeur prend de l’ampleur, malgré ses tentatives de démenti. Léger mais pas seulement (le spectre de Grosse Fatigue plane quelque part), porté par des numéros d’acteurs irrésistibles, Philippe Rebbot évidemment mais aussi Finnegan Oldfield (dont le potentiel comique avait déjà été entrevu dans Coupez !), le film se fait la peinture d’un monde sans boussole. L’air de rien, derrière le rire, il parle avec ses armes d’une ère de la post-vérité où la rumeur se transforme en information et où l’opinion remplace la certitude, où finalement plus rien n’a de valeur effective ou scientifique.
En vrac, on a également apprécié Iko Meykyū de Boris Labbé en séance VR. Expérience déstabilisante et fascinante à mi-chemin entre le jeu vidéo, l’escape game et le cinéma où le spectateur est partiellement acteur et metteur en scène, du moins se découvre ce pouvoir au fur et à mesure. Les Talons de ma mère (F2) de Lili Cazals, n’est pas esthétiquement ce qui nous excite le plus. En revanche, à travers cette relation mère-fille fragile toujours à deux doigts de vriller pour de bon, il y a de vraies scènes de comédies, un duo d’actrices qui fonctionne et une dimension gentiment amorale. L’Homme de merde (F2) de Sorel França a pour lui une idée originale ainsi qu’une manière tour à tour drôle et tendue de l’exécuter, en plus de bénéficier d’une très bonne actrice principale (Camille Constantin Da Silva) et de la présence toujours appréciée de Fred Blin.
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