Le festival War on Screen a lieu chaque année sur la première semaine d’octobre à Châlons en Champagne. Comme son nom l’indique, l’événement s’intéresse au traitement de la guerre au cinéma. Voici quelques mots de chacune des séances auxquelles j’ai eu la chance d’assister.

Jour 2 – 6 octobre

La journée démarre dans une jungle moite et touffue, invitée de bon matin à garnir les murs du théâtre de la Comète avec la projection des Derniers Hommes, long-métrage en compétition retraçant l’odyssée de soldats de la Légion Étrangère en Indochine fuyant l’arrivée des Japonais en 1945. Si le festival accueille en son sein toutes les formes pour évoquer la guerre ou ce qu’elle induit, ici le spectateur retrouve la forme la plus traditionnelle qui soit pour la raconter. D’ailleurs, le film de David Oelhoffen se distingue presque en répondant aux codes du genre. Le spectateur y retrouve un regard familier, celui du cinéaste sur le paysage, avec cette forêt omniprésente – dans Loin des Hommes déjà, le désert était un véritable personnage – métaphore d’un calvaire dont on ne peut jamais réellement s’échapper. Le film porte en lui toute l’énergie d’un tournage dantesque, à hauteur des personnages, perdus dans une nature dont ils ignorent tout. Si les protagonistes sont hantés par les fantômes des compagnons disparus, ils semblent porter avec leur barda tout un pan d’héritage, cinématographique pour le coup. Cette colonne de Légionnaires a été oubliée, de même que ce que le film de guerre a à dire aujourd’hui. La caméra ne s’intéresse qu’à cette communauté humaine à l’abandon, faite d’alcooliques et de malades, liés seulement par une langue qui n’est pas la leur (le Français), d’où il résulte une impression d’amertume et de mélancolie, ainsi que des images formidables, chargées d’une dimension épique. Pour conclure sur cette projection, le film se termine sur un troublant regard caméra. Une façon de regarder le public, de le prendre à témoin de ce qu’il vient de voir que l’on retrouvera – curieux hasard – dans toutes les séances de la journée.

Les Derniers Hommes

Bien représentés au festival, quelques court-métrages, parmi ceux que j’ai pu voir, sont à souligner. A commencer par ce 45th parallel où l’on retrouve ce fameux regard caméra du narrateur, ici pour interpeller directement le public. Le film Britannique déploie un dispositif autour d’une bibliothèque située à Toronto dont la particularité est de présenter une sortie côté Américain et une autre côté Canada. Le point de départ idéal pour réfléchir à la notion juridique de frontière et à la responsabilité des USA vis-à-vis des victimes collatérales des guerres menées par drones interposés. A voir aussi, Holy Cowboys, film indien glaçant sur les sauveurs de vaches, considérées comme sacrées par les hindous. On y voit des enfants succomber à un véritable endoctrinement extrémiste. It is quiet pourrait être un document de première main sur la situation en Ukraine. Le surréalisme d’une situation absurde y décrit, entre une guerre toujours hors champ, que les protagonistes veulent mettre à distance sans jamais y parvenir, et leur lieu de refuge, une station balnéaire où règne un faux air de vacances. Des films français étaient présents aussi, comme Code Rose, habile film d’école qui oppose des flamands roses à des engins de guerre, ou Vercors qui mêle prises de vue réelles et graphisme pour raconter une histoire d’héroïsme impossible dans le maquis du massif éponyme durant la seconde guerre mondiale. S’il est difficile de faire émerger un sentiment général sur une telle sélection, c’est qu’en dépit des qualités intrinsèques de chacune des productions projetées, paradoxalement l’hétérogénéité des films est grande. Tous les styles, du documentaire dépeignant une réalité crue au film d’animation façon Pixar, se retrouvent juxtaposés. Ce qui est une vraie richesse, soit une sélection diverse et variée, se révèle être peut-être un piège lorsque le thème n’est pas libre ou le cinéma de genre, mais la guerre justement. Peut-on mettre sur un même plan un film de fin d’école (aussi drôle et qualitatif soit-il), affichant des intentions aussi louable que convenues et un témoignage direct filmé près d’une zone de guerre, évoquant des horreurs auxquelles personne n’a envie d’être confronté ?

Fremont de Babak Jalali, en compétition long-métrage, tranche avec le reste de la sélection par son formalisme. Annoncé comme un film « Jarmushien », son esthétique s’impose effectivement lourdement, avec ce noir et blanc et ce cadre en 4/3. Le cinéaste choisit pour raconter le déracinement de son personnage des plans fixes, souvent de face, ou de côté, invitant parfois le spectateur à être à la place de l’interlocuteur. Surtout, le cinéaste excelle dans l’art du portrait dont le sujet est Donya, que l’actrice Anaita Wali Zada incarne parfaitement, dans un jeu fait de retenue et de pudeur. Ayant servi d’interprète pour l’armée américaine pendant la guerre en Afghanistan, la jeune femme est contrainte de quitter sa famille, menacée par les Talibans. La voici donc en Californie, à Fremont, employée dans une fabrique de gâteaux Chinois contenant des messages porte-bonheur, qu’elle va finir par rédiger elle-même. La forme utilisée par Jalali ne semble pas toujours rendre justice au ton et au propos du film, parsemé de délicates petites touches d’humour et de sensibilité. Le cadre figé semble trop étriqué vis-à-vis du parcours psychique de Donya. Face à une culpabilité écrasante – on retrouve ce fameux regard caméra, plein de détermination, lorsqu’elle l’affronte d’ailleurs -, la jeune femme doit se pardonner pour s’autoriser à vivre. Malgré une très belle galerie de personnages et des plans toujours (ostensiblement ?) composés avec soin, l’émotion ne parvient pas toujours à trouver son chemin.

C’est un comble de reprocher à un cinéaste une trop parfaite maîtrise ou la précision chirurgicale de ses plans. Certes Babak Jalali évite le piège du mélo, mais à l’inverse ne semble pas donner toute la mesure du déchirement vécu par son personnage. Le spectateur reste au seuil de la psyché de Donya, à l’image du psy qui semble plus ébranlé par l’histoire personnelle que lui raconte sa patiente qu’elle-même. Dès lors, quelques moments de poésie, voire de comédie (à l’image des petites prédictions porte-bonheur contenues dans les biscuits) illuminent une copie certainement trop sage, finissant par susciter un ennui aussi coupable que poli.

Fremont : Photo Anaita Wali Zada

Anselm (Le Bruit du temps) : Photo

En dehors des compétitions et des cycles (nous évoquions Volker Schlöndorff lors de la première journée), un focus particulier appelé Perspectives 2023 met en avant une programmation singulière, osant le pas de côté. Dans ce cadre, la projection du film de Wim Wenders Anselm, le bruit du temps constitue en soi une expérience sensorielle très étonnante et unique. Anselm Kiefer, filmé par Wenders, est un plasticien Allemand qui, à l’instar du réalisateur d’ailleurs, est né en 45 et a grandi au contact de la génération précédente, celle qui était adulte au moment du nazisme. Si Schlöndorff n’a cessé de s’interroger à travers ses films, Anselm Kiefer a choisi lui de bousculer ses contemporains par ses œuvres. A l’aide d’une 3D exceptionnelle, le spectateur découvre une œuvre pour laquelle les qualificatifs – monumentale, fascinante, majestueuse, dérangeante voir gênante – s’accumulent et ne suffisent pas à traduire le spectre des sensations ressenties. Il faut se laisser porter par cette quête sans fin autour des mythes fondateurs (dont ceux repris par les nazis dans leur propagande), de son enfance (c’est l’artiste enfant qui fixe le spectateur dans les yeux, comme pour lui demander des réponses), du média mystérieux entre la terre et le ciel (l’Art donc)…

Assurément, la diversité des formes (fiction, documentaire, court ou long-métrage, 3D…) mise en avant par le festival n’est pas un vain mot. Au-delà de cette évidence, cette journée permet d’approcher au moins une réponse lorsqu’on évoque le geste artistique qui veut comprendre quelque chose de la guerre : qu’il s’agisse de transmettre l’histoire d’une colonne de soldats oubliés de tous, de sensibiliser sur l’impunité d’une armée, d’être témoin de la culpabilité d’une réfugiée ou de combler les vides de l’Histoire, la guerre engendre des formes filmiques qui ne peuvent pas être anodines et qui ne peuvent être vues sans y être impliqué, en tant que spectateur. Ces successions de regards caméras ne sont peut-être pas un hasard après tout.

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A propos de François ARMAND

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