Zheng Lu Xinyuan – « The Cloud In Her Room « 

Dès les premiers plans de The Cloud In Her Room perce cette sensation de débarquer au sein d’un univers sous cloche, auquel, dans un premier temps, nous ne sommes pas conviés, trop étrangers à la situation. Il est nécessaire de s’acclimater à l’intimité dévoilée, de prendre le temps de (re)composer l’arc narratif, comprendre ce qui se joue à l’écran. Les petites saynètes qui s’enchainent, comme autant de fragments de vie volée peuvent paraitre absconses. L’audace de ce premier film fragile signé d’une jeune réalisatrice chinoise, Zheng Lu Xinyuan, n’est pas tant de tenir le spectateur à distance ce qui serait facile et inutile, mais de l’amener progressivement à s’immiscer à l’intérieur d’un film qui donne l’impression d’avoir commencé depuis une heure. On s’y perd d’abord d’autant plus que le parti pris formel n’aide pas,  la cinéaste multipliant les plans larges avant d’abandonner ce dispositif au risque de nous égarer, de nous perdre dans la reconnaissance et perception des personnages, non pas interchangeable mais pris dans une intrigue floutée. Pourtant, petit à petit, le récit se dessine, s’attarde sur un personnage qui va se révéler central et justifier les confusions apparentes. L’action – si l’on peut dire – se déroule à Hangzhou, petite ville, pendant un hiver pluvieux. Muzi, étudiante, rentre pour le nouvel an lunaire. L’ancien appartement de ses parents, légèrement abandonné, est toujours là. Il reste quelques souvenirs ici et là : une table, des chaises, un volet cassé.  Son père a fondé une nouvelle famille. Il a une petite fille, demi sœur de Muzi. Tandis que sa mère est en couple avec un étranger. Ils n’habitent pas loin les uns des autres. Muzi renoue avec ses parents -ou peut-être pas car rien n’est dit sur les relations qu’elle entretenait avec eux -, replonge dans ses souvenirs et tente de retrouver des repères dans cette ville de son enfance et adolescence, si proche mais si loin en même temps. La jeune femme est tiraillée entre nostalgie du passé et fuite en avant, désir de rester et envie de partir, au gré de rencontres insolites ou familières.

The Cloud in Her Room

Copyright Norte Distribution

Le récit se construit selon une composition impressionniste en collages faits de ruptures, d’images mentales, de scènes du quotidien qui ne s’articulent pas entre elles, de plans fixes ultra léchés sur la topographie de la ville … Tout une esthétique se déploie à l’écran, riche mais parfois antinomique où le naturalisme se mêle à un formalisme assez fort, tel ces étonnants plans sous l’eau dans une piscine où l’on perd nos repères spatiaux. Ou encore cette scène de bain où la caméra capte en gros plan le pubis de l’héroïne. Cela pourrait être racoleur mais c’est très beau, étrange et poétique. La cinéaste tente des effets aussi comme ce baiser filmé en infrarouge créant une émotion singulière. Ces éclats purement graphiques, pour la seule élégance du geste, alternent avec une volonté un peu forcée d’injecter de la profondeur, de créer un sens sibyllin qui parfois nous échappe et ne semble pas nécessaire, seulement mue par une vaine justification. Ou qui semble rattraper par la banalité des enjeux d’une chronique sociale déjà-vu.

The Cloud in Her Room

Copyright Norte Distribution

A travers ses parti pris visuels hybrides, embrasant des styles contradictoires et déséquilibrés, mais animés par une envie de faire du cinéma, signe encourageant pour un premier essai, Zheng Lu Xinyuan sonde les états d’âme ambivalents de son héroïne à travers un parcours mental chaotique. Pas toujours évident, pouvant laisser le spectateur à l’extérieur, The Cloud In Her Room est un joli film d’errance, bénéficiant d’une photographie en noir et blanc somptueuse, captant merveilleusement la désolation d’une petite ville de province la nuit, véritable no man’s land dans lequel évoluent des personnages fantomatiques, accentuant l’onirisme du métrage.

Pour sa première apparition à l’écran, la débutante Jin Jing, toute en intériorité, en introspection, parvient à surprendre, créant une émotion au cœur d’un film intimiste, bancal mais touchant souvent grâce à sa seule présence. On espère la revoir très bientôt.

(Chine-2020) de Zheng Lu Xinyuan avec Jin Jing, Zhou Chen, Ye Hongming, Dan Liu

 

 

 

 

 

 

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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