Il était était évident que Faux semblants (1988) s’affirmait pour David Cronenberg comme son œuvre de transition. Même s’il avait affleuré la tragédie avec La mouche, l’aventure des deux jumeaux Beverly et Elliot Mantle actait la naissance d’un nouveau Cronenberg où l’organique s’enfouirait plus que jamais dans les labyrinthes mentaux et intimes, jusqu’à parfois feindre d’y disparaître. Dès lors, le cinéaste arriverait là où on ne l’attendrait pas et trois ans après se donnerait pour défi d’adapter une première fois l’inadaptable (la deuxième serait Crash en 1996) : Le Festin nu, chef d’œuvre maudit du pape de la beat generation, William S. Burroughs, publié en 1959 en France et interdit de 1962 à 1966 dans certains états des USA pour obscénité.
Rétrospectivement le film de Cronenberg apparaît comme un chef d’oeuvre à l’égal de son matériau d’origine qui réussit à imposer à la narration la même destructuration que le roman autobiographique de Burroughs, à égarer son spectateur, le surprendre comme le faisait le romancier, sans pour autant le mettre de côté. Mieux, il traduit à merveille toute cette confusion entre fiction et réalité que délivrait l’auteur sous l’emprise de la drogue, ne sachant lui même plus où il se trouvait lorsqu’il assassina sa femme (jouée par la géniale Judy Davis) par mégarde en jouant au jeu de Guillaume Tell.
Peter Weller EST l’interprète idéal William « Bill » Lee, son interprétation est au delà de toute espérance, tout en subtilité, qu’il soit sobre ou halluciné. La géniale partition d’Ornette Coleman et Howard Shore donne le ton, le saxo free jazz attaquant de manière stridente les harmonies symphoniques élégantes comme pour témoigner à la fois d’une forme de romantisme contaminé par Eros et Thanatos, par la putréfaction et la transformation. On ne se lasse pas de l’histoire de cet écrivain junkie reconverti en exterminateur d’insectes nuisibles parti en mission en Interzone, telle une autre dimension pas très éloignée de Tanger. De l’espionnage nébuleux, des machines à écrire transformées en cafards sur lesquels on tape les textes, de l’insecticide injecté en intraveineuse… tout dans Le Festin Nu incite à la perte de repères et à s’y laisser aller avec délice … jusqu’à l’addiction.
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