Mara, artiste de cabaret, s’arrête un soir devant une pharmacie pour s’acheter de l’aspirine. La porte est légèrement entr’ouverte mais une voix lui somme de ne pas entrer, prétextant que la boutique est fermée. Elle ignore qu’elle est le témoin involontaire d’un crime ayant eu lieu à l’intérieur. Dès lors, elle devient la cible d’un tueur craignant qu’elle ne le reconnaisse. Elle se confie à son ami Lukas qui va mener sa propre enquête. Cette situation, vous la connaissez par cœur si vous êtes amateurs de giallos, dispositif idéal pour impliquer le spectateur au cœur d’un whodunit “immersif” qui brille souvent par l’absence et/ou l’incompétence des forces de l’ordre. Il s’agit toujours d’un quidam plus futé que la moyenne qui s’investit pour ce qui ressemble à une aventure souvent excitante, constituant un jeu de connivence avec le spectateur. Très souvent, il/elle se trouve en possession d’un indice ou une partie infime du puzzle, détail obsédant dont le sens demeure cryptique. Mara a entendu une voix et, plutôt que compter sur la police, préfère se confier à son ami ingénieur du son. A l’origine, le scénario ne s’inscrivait pas dans le corpus « giallo », genre pour lequel Antonio Bido, alors âgé de 27 ans, n’était pas familier, envisageant un thriller social et politique. Le réalisateur accepte un travail de réécriture commandé par des producteurs cherchant à orienter leur projet du côté des films de Dario Argento, même si en 1977, le filon commence sérieusement à s’essouffler. Sous influence de la trilogie animalière, Il Gatto Dagli Occhi Di Giadda, qui portait au préalable le titre de Commissione omicidio, prend des allures de giallo archétypal, tellement ancré dans une filiation argentesque qu’il finit par intriguer et même devenir passionnant dans sa manière toute personnelle de décalquer Profondo Rosso.
L’intrigue, à la fois alambiquée et linéaire, comme bon nombre de thrillers transalpins, suit une trajectoire faite de hasards et de coïncidences, pures conventions poétiques qui mènent souvent les personnages à se déplacer d’un environnement urbain à un autre rural, où se cachent les secrets les plus inavouables. En effet, la vérité ne se reflète pas sur la surface d’une architecture moderne mais au cœur même des vieilles bâtisses chargées d’histoires. Dans un tel contexte, Dario Argento ramène naturellement ses récits du côté de l’enfance et de l’art : il faut toujours chercher la solution dans une comptine, un tableau, un livre ou un dessin. La résolution douloureuse, aux réminiscences psychanalytiques, se manifeste en traversant les portes du temps et en revenant à la source, là où tout a commencé. Plus prosaïque, Antonio Bido, délaisse l’art et nous embarque dans une histoire de procès ayant eu lieu quelques années auparavant. Si le chemin qui mène à l’identité de l’assassin est fantaisiste, cette variante, implantée dans un contexte réaliste, crédibilise la narration.
Pour le reste, Antonio Bido a construit un récit en miroir à Profondo Rosso, avec cette même appétence – presque ludique – pour un apprenti détective à la recherche de la vérité. Il suffit de relever un certain nombre de ressemblances ou de légers détournements, pas seulement en tenant compte de la situation initiale similaire. Lukas n’est témoin que par procuration, mais tout comme Mark il devient rapidement obsessionnel dans sa quête. S’il n’est pas musicien, il exerce la profession d’ingénieur du son. Mara ressemble physiquement à la journaliste de Profondo Rosso. Le deuxième meurtre rejoue celui du visage brûlé par l’eau bouillante mais en modifiant l’espace physique. Sans aller plus loin, le film renvoie constamment de façon conscientisée à son modèle sans faire ressentir une impression de déjà-vu. Pourtant, la construction s’avère quasi identique avec comme élément-clé le passé comme catalyseur d’un secret bien gardé. Mais à la première vision, cet aspect ne saute pas aux yeux. La dimension traumatique chère à Argento se substitue à un fond nettement plus politique, ancré dans une part refoulée de l’Histoire de l’Italie de la première moitié de 20ème siècle. A un trauma individuel, Bido répond par un trauma collectif qui ressurgit de la mauvaise conscience du pays et de la lâcheté des hommes. C’est finalement dans son amère conclusion, d’une noirceur singulière pour un pur film commercial inscrit dans le genre policier, que le film parvient à se démarquer et à trouver réellement son identité. L’œuvre respecte l’ossature traditionnelle multipliant les fausses pistes et les suspects potentiels. En revanche, Antonio Bido n’est guère intéressé par l’érotisme, la plupart des victimes étant des hommes, ce qui décevra sans doute beaucoup d’amateurs.
Il Gatto Dagli Occhi Di Giadda bénéficie d’une mise en scène solide marquée par une rigueur esthétique qui se démarque de l’appétence formelle des maîtres du genre. Peu de jeu d’ombres et de couleurs flamboyantes inondent l’écran. Une lumière assez crue et une certaine sécheresse dans le style rapprocheraient le film des thrillers américains, ce qui se révèle pertinent au vu du contenu idéologique. En contrepoint, les origines italiennes sont trahies par intermittences lors des séquences de meurtres opératiques appuyés par un montage multipliant les cadrages audacieux et une bande-son composée par le groupe Trans Europea Express, dans la lignée des Goblin, partition hypnotique emmenée par ses basses bondissantes et ses accords de guitares entêtants (l’un des thèmes sera par ailleurs quasiment repris à une note près dans Mask d’Andreas Marshall).
Antonio Bido, pour son premier long métrage officiel, ne démérite pas et livre un giallo tardif plus singulier que prévu, sa filiation avec Les frissons de l’angoisse n’étant en partie qu’un trompe-l’œil pour mieux fouiner dans la mauvaise conscience de l’Italie de la fin des années 70. L’année suivante, ce jeune cinéaste prometteur continuera sur sa lancée avec l’excellent Solamente Nero, giallo rural retors et pervers qui, cette fois, se fraye un chemin sinueux du côté du Lucio Fulci de La Longue nuit de l’exorcisme. Ces deux coups d’éclats seront sans suite, le réalisateur étant apparu trop tard dans une production cinématographique italienne annonçant les premiers signes de déliquescence artistique avant de disparaître progressivement au cours des années 80/90. Il participe à cette décadence, ne signant que quelques longs métrages peu mémorables, dont le médiocre Blue Tornado en 1991 qui n’a pour seul attrait que la présence de Patsy Kensit.
Changement d’horizon pour Uncut Movies qui délaisse les bandes crapoteuses et les petites séries B horrifiques du cinéma américain. Il s’agit du premier Blu-ray pour les éditeurs indépendants. Doté d’une copie HD remarquable, le combo Blu-Ray/DVD comprend un livret de 32 pages revenant sur le giallo, ainsi que l’intervention érudite et très claire, notamment pour les néophytes, de David Didelot qui revient sur le giallo de ses origines à ses déclinaisons. Belle initiative pour un bel objet limité à 1000 exemplaires (500 pour chaque covers).
(ITA-1977) de Antonio Bido avec Corrado Pani, Paola Tedesco, Paolo Malco, Franco Citti
En partenariat avec Uncut Movies, Culturopoing vous propose de gagner un exemplaire du film si vous répondez à ce questionnaire avant le 8 juin, minuit…
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