Festival d’Angoulème 2012 : nos lectures ont-elles été primées ?

Notre espièglerie n’est plus à démontrer, vous ne vous attendiez quand même pas à un commentaire sage et précis du palmarès du Festival d’Angoulème 2012 ? A la place, nous vous proposons de revenir sur quelques ouvrages de l’année passée en BD, dont nous ne vous parlons décidément pas assez souvent… Mais avec notre générosité habituelle, nous vous informerons au passage des prix remportés par ces albums à Angoulème, le cas échéant.

 

portugal pedrosa dupuisUNE EXPLOSION DE COULEURS ET D’EMOTIONS

Cyril Pedrosa – « Portugal » (Ed. Dupuis)
Fauve d’Angoulème : Prix de la BD Fnac 2012

Si l’on a déjà vanté les mérites de Cyril Pedrosa pour ses « Trois Ombres » en noir et blanc, « Portugal » s’en distingue radicalement par une explosion de couleurs ouvrant la voie à un traitement de la lumière simplement étourdissant. Dessinées au stylo bille et colorées à l’encre ou à l’aquarelle, des planches au minutieux réalisme cotoient des parenthèses épurées et graphiques tandis que quelques pleines pages convoquent un brin de fantastique. C’est l’histoire de Simon Muchat, dessinateur en panne d’inspiration, qui part à la rencontre de ses racines familiales dont une partie est restée ancrée au Portugal. Entre cheminement et farniente, il voyage en quête d’inspiration et d’ancrage sur les traces de son grand-père, emportant ses lecteurs dans un tourbillon d’atmosphères et d’émotions. A chaque page, c’est un nouvel émerveillement visuel et à la fois un sens profond qui se développe au gré des réflexions du personnage, ponctuées de quelques mots en portugais entourés de bulles jaunes telles des lampions dont on suit la lueur. La magie sensorielle de cette bande-dessinée implique que, comme la quête de Simon Muchat, sa lecture est un véritable retour aux sources, un dépaysement et un hymne aux plaisirs simples de la vie : une famille, un jardin, du soleil. (Sarah Despoisse)

 

pour en finir avec le cinéma blutchPEUT-ON APPRENDRE À VIVRE GRACE AU CINÉMA ?
Blutch – « Pour en finir avec le cinéma » (Ed. Dargaud)

Depuis combien de temps entend-on parler, avec plus ou moins d’intensité selon les saisons, de la « mort du cinéma » ?… Ce discours vient d’ailleurs quasi exclusivement de l’intérieur, de critiques mais surtout de cinéastes eux-mêmes (Godard est leur prophète mais Godard EST un prophète, ce n’est pas le récent naufrage du Concordia qui prouvera le contraire). Mais c’est un outside man qui a décidé d’accélérer la prédiction et de donner le coup de grâce. Tout à fait métaphoriquement, bien sûr : Pour en finir avec le cinéma. Beau titre pour une bande dessinée riche en digressions et divagations où Blutch semble moins régler ses comptes avec le septième art lui-même qu’avec sa propre cinéphilie. Son livre répond un peu à la question du que reste-t-il de cinéma quand on a oublié les films. Des bribes, des atmosphères, des anecdotes, quelques images, des visages. Et de vieux fantasmes. Comme celui d’être un nouveau Burt Lancaster, ce qui vaut à Blutch de nous offrir la plus belle page de son livre, une idée toute bête, sa propre vision d’une « politique des acteurs » encore à construire : un petit portrait de Lancaster illustrant la cinquantaine de ses rôles les plus marquants, chacun symbolisant le regard que peut porter un cinéaste sur un comédien.Blutch est comme beaucoup d’entre nous : le cinéma l’a construit, a contribué à créer l’homme et l’artiste qu’il est aujourd’hui. Il a sans doute cru qu’il lui apprendrait à vivre ; ça n’a peut-être pas été complètement le cas. Il lui aura en tout cas offert la possibilité d’une des plus belles BD de 2011. (Cyril Cossardeaux)

 

soldats de sable susumu Higa le lézard noirUN CATACLYSME VU DE L’INTIME
Susumu Higa – « Soldats de sable » (Ed. Le Lézard Noir)Dans ce bouleversant manga, Susumu Higa retrace en plusieurs histoires le sort réservé aux civils pendant la bataille d’Okinawa qui dura jusqu’à fin 1945, avant l’ultime assaut des forces alliées américaines. Après la défaite nippone, Okinawa fut occupée par l’armée américaine avant d’être restituée en 1972. Higa rend hommage à cette population prise en étau entre les bombardements américains et l’extrême violence de l’armée japonaise à leur égard.(…) « Soldats de Sable » fait revivre le souvenir sous nos yeux, nous invite à partager les angoisses, les tourments de ses personnages. Nous sommes avec eux, atteints par ce cataclysme vu de l’intime. Rarement l’absurdité de la guerre n’y aura été abordée avec autant de tact, sans avoir recourt à une mécanique lourdement symbolique et même les instants les plus dramatiques, bien que révoltants, n’y revêtent aucun pathos. Lorsque les militaires abattent froidement les habitants considérés comme des traitres alors que, la défaite annoncée, on leur demande de continuer à « repousser l’ennemi », transparaît le sentiment d’un terrible engrenage, et ce sera toujours le regard pur de ces protagonistes qui primera sur la violence de l’acte fou et véhément, comme une victoire intime au-delà de leur mort. De ceux qui dans les temps de barbarie élevaient au rang d’acte de résistance la nécessité de rester humains, il restera ces pages. Ici, la guerre est plus encore vue du cœur que du corps. D’où une persistante douceur, une lutte par la bonté comme une exigence de (sur)vie. Peut-on rêver plus émouvant paradoxe qu’un livre de guerre qui parle de beauté humaine ? (Olivier Rossignot) => lisez l’article dans son intégralité ici.

 

chroniques de jérusalem guy delisle delcourt

 

UNE DRÔLE DE GEOPOLITIQUE
Guy Delisle – « Chroniques de Jérusalem » (Ed. Delcourt)
Fauve d’Or : Prix du meilleur album 2012

Après la Chine, la Corée du Nord et la Birmanie, le dessinateur canadien Guy Delisle s’est attelé à l’effervescence de Jérusalem, une mission dense et périlleuse. Au programme, l’imbroglio des communautés religieuses coexistantes, la mélasse de l’emploi du temps et des frontières, le provisoire qui tutoie le permanent ou l’inverse, l’état d’alerte, la rigueur militaire, et toujours la tendre curiosité de l’auteur. Son but n’est pas de comprendre ni d’expliquer, mais comme il dit lui-même de « traiter le petit quotidien et le mettre en parallèle avec ce qui s’est passé dans l’année ». Installé là-bas le temps de la mission de Nadège, sa compagne qui travaille pour MSF, Guy Delisle s’occupe des enfants, profite du paysage et aime à traduire les contrastes parfois absurdes de son quotidien au moyen d’anecdotes dessinées. Ses « Chroniques de Jérusalem » recèlent la distance et l’esprit qu’on lui connaît déjà, tenaces face à un lourd dossier dont il y a tant à dire, plus proche de nos sociétés que ses précédents récits. En regard de l’indispensable cartographie, son dessin prend de l’ampleur et du détail devant les pierres, anciennes ou récentes… Un rythme d’almanach aide à la fluidité du livre et on y trouve toujours beaucoup d’humour. Ce nouveau volume n’est peut-être pas dans le fond le plus léger de ses parutions, mais il constitue néanmoins un ouvrage remarquable par son audace qui évite les partis pris politiques ou religieux sans perdre de mordant. (S.D.)

journal d'un journal mathieu sapin delcourt

UNE CRITIQUE EMPATHIQUE
Mathieu Sapin – « Journal d’un journal » (Ed. Delcourt)

Très remarqué en 2010 pour son journal d’un tournage (sur celui du Gainsbourg de son confrère Joann Sfar), Mathieu Sapin s’est attaqué en 2011 au journal d’un journal, et pas n’importe lequel. Depuis sa création, il y aura bientôt quarante ans, dans la mouvance de la Gauche prolétarienne maoïste post-68, Libération est probablement le quotidien généraliste français à la plus forte identité et celui qui nourrit la plus forte adhésion affective de son lectorat (ou ce qu’il en reste, même si son érosion s’est arrêtée depuis trois ans). Mais également le journal qui, depuis longtemps, entretien les liens les plus étroits avec le milieu de la création et des artistes. Peut-être un choix trop évident, du coup, pour Mathieu Sapin, que l’on sent lui-même en empathie avec son objet d’étude, même s’il admet ne pas connaître tous les détails de son histoire atypique et mouvementée. Pas grave, il y a encore à Libé quelques survivants des temps utopiques qui sont la mémoire du journal et ont manifestement parfois un peu de mal à se reconnaître tout à fait dans ce qu’il est devenu. Sapin rend bien compte de cette dualité de Libération, partagée entre la normalité d’une entreprise de presse (presque) comme une autre (financée par un richissime mécène – Edouard de Rotschild – et dirigée par un mercenaire de l’info – Nicolas Demorand – arrivé, hasard, pratiquement en même temps que Sapin débutait son « stage » de diariste) et l’ambition de faire de l’info autrement. Curieux et malicieux, « Journal d’un journal » reste néanmoins prisonnier de la limite de son regard bienveillant et n’est pas la radioscopie de l’intérieur d’un exemple emblématique des écueils du journalisme français dont on aurait pu rêver, mais sans doute sous une autre plume… (C.C.)
freud corinne maier anne simon dargaudUNE NAÏVETÉ CONVAINCANTE
Corinne Maier & Anne Simon – « Freud » (Ed. Dargaud)

L’historienne et psychanalyste Corinne Maier et l’auteure graphique Anne Simon ont collaboré pour proposer cette étonnante biographie dessinée, idée un peu provocante mais très enthousiasmante. En réalité, le dessin est idéal pour illustrer les rébus que sont les rêves, pour tricoter les mots et associer les idées – ce que fait d’ailleurs la psychanalyse. Et puis comme le disait Freud lui-même, « de quelque manière qu’on s’y prenne on s’y prend toujours mal ». Corinne Maier a pris le parti de conserver les grands moments de la vie de Sigmund Freud, en les infusant dans la recontextualisation historique de  l’époque. Sont évoqués sa femme Martha et leurs six enfants, la rencontre avec le Professeur Charcot et l’hypnose, le complexe d’Œdipe, les névroses et le sexe refoulé, le rêve et l’inconscient. La première moitié du XXème siècle est terrible, Sophie la fille de Freud meurt de la grippe espagnole, et la montée des idéologies se fait dans la violence. Au tournant du nazisme, Freud, qui se définit comme un pisse-copies, sera victime d’autodafés. Son père l’avait prévenu, « il n’est pas facile d’être juif, mon fils ». Il n’est pas non plus facile d’être une femme dans cette société-là, d’être l’enfant de ses parents, et Freud le dit bien, « nous sommes tous malades ». Corinne Maier rappelle d’ailleurs que, si Freud est médecin, la psychanalyse ne guérit pas. Un ouvrage entre légèreté apparente et point de vue affirmé. (Lu) => lisez l’article dans son intégralité ici.

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A propos de Sarah DESPOISSE

A propos de Cyril COSSARDEAUX

A propos de Aline SMITHEE

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