Rosa Montero – "Instructions pour sauver le monde"

On dit parfois qu’il n’y a qu’un battement d’aile de papillon entre le hasard et la coïncidence, ou on aime à le croire. Lorsque le brouillard est épais, un arbitraire lancer de dés peut aussi sauver la mise. Entre mysticisme et pragmatisme, on accommode l’augure ou on fabrique ses propres signes afin d’ouvrir une brèche et par là rétablir l’ordre de l’instinct rationnel. Il paraît que le monde est petit, mais il forme paradoxalement une toile aux dimensions vertigineuses. Et du général au particulier, le monde va mal, c’est une constatation à la mode.

Il va particulièrement mal pour les quatre personnages principaux du roman, naufragés des temps modernes et échoués à Madrid. Matias vient de perdre sa femme d’un cancer, Daniel vit par procuration dans Second Life, une vieille scientifique déchue se noie dans l’alcool, une belle Africaine a survécu aux horreurs de la guerre civile en se prostituant. D’un concours de circonstances abracadabrant à l’autre, leurs chemins vont se croiser et la vie donnera de nouvelles perspectives à ces quatre solitaires.

Quand d’autres se vautreraient dans les bons sentiments, Rosa Montero propose une épopée captivante où l’intrigue progresse en révélant sa trame, à la lueur de théories scientifiques comme la loi des séries, les atomes ou encore les vases communicants du Bien. S’ajoutent à cela un humour décapant qui passe par la dérision, et des personnages aussi charismatiques que tendrement ridicules. Avec pour postulat la noirceur du monde et l’égalité des souffrances, Rosa Montero s’amuse avec les degrés de la fable pour mettre en évidence les glissements du sort et la prise de chacun sur celui-ci : "nous portons tous à l’intérieur de nous une ombre d’atrocité et une aspiration à la beauté, et certaines personnes marchent sur le bord même du précipice sans savoir de quel côté elles finiront par tomber."

Le récit est ponctué de clins d’œil malicieusement tournés, préférant ouvrir des fenêtres plutôt que d’enfoncer des portes ouvertes, quitte à jouer sur l’excès : "pendant tout ce temps, Daniel s’était cru pris au piège dans une maison qui, en réalité, s’ouvrait de l’intérieur en tournant simplement la poignée". Au bon sens populaire qui vante les mérites de la communication de proximité ("si les gens parlaient à leurs voisins…"), la romancière offre un pied-de-nez tragique. Au dénouement, un partout la balle au centre. Il y aura donc peu d’instructions à la clé pour sauver le monde, aucune prétention et peu de morale, si ce n’est l’éveil individuel et la bonne humeur, par le plaisir simple d’un bon roman.

 

Publié aux Editions Métailié.

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