Le Mainstream, cet « art du bon boulot (parfois très) bien fait »…
Big bad wolves. Aharon Kkeshales & Navot Papushado (Israël).
… S’appuie sur l’écriture ciselée et efficace du duo Kkeshales / Papushado qui avait déjà fait honnête impression avec Rabies en 2010, Big bad Wolves est un contre cruel sur fond de vengeance et de torture, un beau film de « sous-sol », ce nouveau lieu désormais incontournable du torture-porn, espace de claustration idéal forcément mal éclairé ou sera sommé de se manifester la cruauté parfois illimitée de nos contemporains. Prévisible, le film de Kkeshales et Papushado respecte les règles du genre – violence frontale allant crescendo – avec une délicieuse perversité qui offrira son lot de sensations fortes aux spectateurs attentistes. Egrainant de-ci de-là quelques messages bienvenues et ironiques sur les problématiques liées au territoire, aux rapports juifs/arabes – une hilarante scène de téléphone portable -, le duo soigne son travail d’écriture qui se distingue par un jeu risqué mais ici parfaitement géré d’équilibristes : parfois très drôle, souvent très cruel, la mécanique narrative est parfaitement huilée, parfois brillante. C’est déjà beaucoup pour un genre souvent galvaudé, habitué à naviguer dans les eaux troubles du grotesque et du vulgaire, au risque du spectacle obscène et inoffensif car sans véritable enjeu si ce n’est réduire ses efets à force d’un trop plein de monstration. Une question de dosage que Big bad wolves gère parfaitement, avec de grands éclats de rires qui savent soudainement se figer dans l’effroi, pour ne jamais céder à la gratuité du geste de trop, au grand-guignol spectaculaire qui s’autodétruit dans ses effets escomptés. Film saignant mais surtout film violent, Big bad wolves est une brillante mécanique qui en révèle aussi la limite : réalisé « à l’internationale », le film de Kkeshales et Papushado souffre d’une mise en scène pachydermique qui écrase cette belle tentative, à grand renfort de bande-son et d’effets de caméra stylisés mais inutiles. Une volonté de faire un cinéma « passe-partout » qui s’inscrit en faux d’une audacieuse narration : une tentation du gommage et de la conformation qui réduit Big bad wolves au très honnête produit manufacturé, au film malin mais totalement impersonnel. Dommage. (B.C)
Wasteland. Rowan Athale (Angleterre).
… Est un agréable film de casse, un caper movie « so british » sur fond de vengeance personnelle. Prévisible mais assez bien emballé pour susciter un confortable intérêt, c’est un petit film du dimanche soir qui ravira l’horizon du spectateur : montage alterné et alerte, construction chronologique alambiquée et twist final sont dans la parfaite lignée du déjà-vu auquel on se laisse facilement prendre. La réalisation, fluide et élégante, fait bien son boulot et on retrouve quelques gueules au « capital sympathie » vérifié – notamment le très grand Timothy Spall. Ne pas oublier l’indispensable bande-son faite de la meilleure pop-rock anglaise. Indépendante, forcément. Une oeuvrette pas désagréable, reflet d’un certain savoir faire, Wasteland est vite vue et vite oubliée comme un tube de pop. (B.C)
Ghost graduation. Javier Ruiz Caldera (Espagne).
… Est une mignonne bluette adolescente – suis-je vraiment à l’étrange festival? -. Ghost graduation tisse un réseau de bons sentiments – paternalisme joyeux, complicité intergénérationnelle – entre les vivants et les morts dans un lycée espagnol. Une comédie transparente, voir insipide, qui respecte rigoureusement le cahier des charges des « ventes à l’international ». On ne sera pas étonné que Will Smith ait acheté les droits pour un futur remake : quelque part la mission est réussie. Amusante mais innofensive, Ghost graduation est une œuvre impersonnelle, une sucrerie sans saveur mais à l’emballage agréable : un pur produit de consommation auquel il manque une vraie personnalité, le regard d’un réalisateur qui vise un peu plus haut que la promotion de son savoir-faire et de son savoir raconter. Film hanté par les comédies teens américaines du début des années 80, le spectateur nostalgique fantasmera d’emblée un tel sujet réalisé par Joe Dante ou John Hugues. Pour l’un d’eux il est trop tard… Mais pour l’autre : sait-on jamais? (B.C)
Tore Tanzt. Katrin Gebbe (Allemagne).
Un sujet ambitieux – le parcours sacrificiel d’un illuminé qui tombe entre les mains de la barbarie quotidienne – et quelques plans à la beauté froide : nous sommes bien en territoire cinématographique germanique. Rigidité et austérité font très vite émerger le spectre « Hanekien », pour le pire – le regard de la moral porter avec une évidence parfois trop lourde et qui dévore le film – et le meilleur – un académisme parfois libre et lumineux qui se révèle plus ambitieux que prévu. Pourtant, sur ces chemins bien balisés – et pourtant glissants! -, le film de Katrin Gebbe se faufile habilement, évitant chausse-trapes et écueils, pour se dessiner une trajectoire finalement toute personnelle. Si le cinéma d’Haneke est devenu un cinéma de choix – moraux, esthétiques…-, celui de Katrin Gebbe vibre encore des doutes de la première œuvre : malgré la rigidité du style, une fébrilité habite chaque image qui est d’une humanité fragile. Si c’est une œuvre froide, Tore Tanzt est aussi une œuvre solaire qui privilégie l’individu à son propre dispositif filmique, évitant l’assurance nombriliste de l’œuvre très – trop? – maitrisée. Place donc à des personnages complexes et flous qui participent d’une ambiguïté bienvenue, dont la caméra caresse les fragilités mais dont le montage sait saisir, à l’occasion d’un cut audacieux, l’ambiguïté de gestes qui trahissent une sauvagerie naissante. Film lumineux – très belle photographie – mais remplit d’individus pas très clair, Tore Tanzt est une œuvre frontalière : un statut qui lui permet d’échapper au regard moral et au message stricte. Plus « monstration » que « démonstration », sans postulat de départ, le film de Katrin Gebbe trouve un bel équilibre qui en fait une œuvre singulière. Œuvre de jeunesse imparfaite, un brin académique, corsetée mais intéressante, Tore Tanzt marche encore sur les pas d’illustres prédécesseurs mais on attend avec impatience une deuxième œuvre qui révélera la direction de sa réalisatrice. Croisons les doigts pour être surpris, espérons que l’académisme germanique et le souci du « message » n’aient pas le dernier mot… (B.C)
Le Mainstream, cet « art de la tâche répétitive et (parfois) sans saveur »
Belenggu. Upi Avianto (Indonésie).
Thaïlande, Inde, Indonésie, Malaisie… Pour le cinéphile un peu averti, cela fait quelques années que l’Asie du Sud-est envoie les signes forts d’un renouveau cinématographique qui fait le grand écart entre vocation auteuriste (Apichatpong Weerasethakul) et série B artisanale mais efficace (Joko Anwar et son brillant Modus Anomali).
On était donc curieux de découvrir le nouveau film d’Upi Avianto, réalisatrice appliquée et habituée aux budgets confortables. Fidèle, donc, à sa filmographie, Belenguu est une œuvre « mainstream », bien éxécutée mais parfaitement inodore. Film exagérément tortueux, Belenguu mise l’essentiel de sa réussite sur son décorum : couloirs aux murs décrépis et éclairages vacillants participent d’une litanie du « glauque et du flippant » malheureusement trop démonstrative pour créer l’adhésion du spectateur. Upi Avianto oublie son sujet en cours de route – la plongée dans un esprit malade – au profit de multiples mises en abîme et de twists trop alambiqués : le film pourrait être, au mieux, joueur mais il se prend les pieds dans le tapis de l’incompréhension, mixant, comme bon lui semble, autant Caligari que Identity… A jouer de ses multiples strates sans rigueur et sans raison, le film rate l’essentiel de son sujet : se focaliser sur un esprit malade dont l’auscultation se suffisait à elle-même. Finalement, le film se révèle plus juste lorsqu’il se focalise sur des relations simples, réellement troubles. On pourra néanmoins en retenir ce qui semble devenir la maxime d’un nouveau cinéma de genre de cette région d’Asie : le fantastique est un jeu de l’esprit, un genre qui évolue dans des espaces mentaux et qui a choisi la forêt indonésienne comme territoire d’excellence. On parie qu’elle regorge encore de nombreux secrets. (B.C)
Wrong cops. Quentin Dupieux (France).
Personnage iconoclaste dans la généalogie du cinéma français, Quentin Dupieux intrigue. Après quelques belles réussites (Steack) et au moins un coup de maître (Rubber), chacune de ses nouvelles productions, qui détonent dans le morose paysage audiovisuel français, charrie son lot d’espoirs, suscite un intérêt certain et fonde de nouveau espoirs. Au risque d’un double échec : celle d’un auteur – qui se refera rapidement une santé – et celle du spectateur – créature bipède parfois vacharde et à l’excellente mémoire. C’était dire la fébrilité qui régnait dans la salle au lancement du générique. Que pensez de l’amusant Wrong Cops? On a bien ri. Certes. Il est vrai que tout fonctionne à merveille : la peinture de personnages atypiques, l’enchainement des gags. Wrong Cops est un film d’une totale maitrise narrative qui fait allégeance au burlesque de très belle manière. Si le film déçoit, c’est que, bien que parfaitement huilée, la mécanique de Wrong Cops souffre d’un systématisme qui, une fois l’effet de surprise passée, a du mal à faire sens : il dure 90 minutes… il pourrait en faire 180 (pitié!)… ou 30 (mieux). Malgré un certain talent à capter l’univers urbain et sa faune délirante, Wrong Cops manque cruellement d’un vrai point de vue, d’une obsession, d’une certaine idée de l’Amérique. Tandis que Rubber était la peinture fascinée d’un européen de l’un des grands thèmes américains – la route, les espaces sauvages -, Wrong Cops semble en panne obsessionnelle : peut-être trop habitué à son nouveau territoire d’accueil, moins sensible aux particularités locales, Quentin Dupieux semble moins impliqué dans son sujet. Après l’appétissante exploration, le cinéma de Quentin Dupieux rentre en phase de digestion dans un ronronnement tranquille mais pas désagréable. Espérons que la sieste ne soit pas, pour son cinéma, la phase suivante. (B.C)
Confession of a murder. Byeon-Gil Jeong (Corée du sud).
Confession… Corée… Murder : comme un air de déjà vu. A défaut d’originalité, on pourra toujours apprécier la vivacité de chaque instant d’un cinéma qui, à défaut d’innovation narrative, saura insuffler dans ses productions une inventivité formelle ébouriffante et salvatrice : le haut du panier d’un cinéma de divertissement « qualité extra + ».
Dans ce registre, Confession of a murder commence très bien : une trépidante poursuite urbaine jusqu’à l’essoufflement, comme un tour de grand huit magistral d’une précision diabolique et tout semble réunit pour passer un bon – voir excellent – moment coréen… On connaît déjà mais ça n’a jamais fait de mal. Si le premier film de Beyon-Gil Jeong recèle de beaux moments d’actions pures, il est fortement pénalisé par les intentions de son auteur. A vouloir séduire en permanence, à trop regarder l’autre Mecque du cinéma « mainstream » qu’est l’Amérique, Confession of a murder compile rapidement, sans recul, les meilleurs mauvaises idées d’un certain cinéma d’action : troubles identitaires révélés en de nombreux twists, sentimentalisme et pathos assénés sans aucune subtilité. Du tout-venant qui est aussi du déjà-vu et qui finit d’achever le peu d’intérêt que suscite une œuvre déjà bien balisée. C’est le « bas du tableau du haut du panier d’un cinéma de divertissement qualité extra + » qui s’enlise dans le conformisme. Un premier film comme une carte de visite « internationale » d’un réalisateur que l’on découvre plus stratège que cinéaste. (B.C)
Dark touch. Marina de Van (Grande-Bretagne / France).
Dernière œuvre d’une réalisatrice atypique, Dark touch est une œuvre bancale, entre peinture de l’intime, assez réussie, et fantastique spectaculaire au bord du ridicule, entre toc et chic. Tandis que ses précédentes œuvres flirtaient avec l’horreur tout en se refusant aux effets faciles, Marina de Van décide, pour cette fois, de donner à voir. Œuvre plus « incarnée » et frontale, Dark Touch échoue malheureusement à susciter le rejet viscéral tant attendu, le frisson organique des plaies et des blessures, la faute à une imagerie éculée de l’horrible qui pioche allègrement dans les visions ensanglantées de Dario Argento et le torture porn. Déchirée entre esthétique délicate et vision gore, l’horreur de Dark touch ne trouve pas son camp et doute en permanence de son effet : faut-il choquer? Faut-il fasciner? Provoquer l’insoutenable? Jouer de la beauté ou du dégout? Marina de Van ne choisit pas vraiment. Un doute que la direction artistique finit d’achever à grand coup d’éclairages dignes d’une série télévisée et qui donnent à l’œuvre un côté « cheap » pas forcément de bon aloi. Sans véritable mystère et inconfortable, Dark Touch est la tentative ratée d’une cinéaste à renouveler son approche intime de l’horreur. Restera le souvenir d’une belle prise de risque et la singularité d’une personnalité « à part » qui nous autorise à espérer que la prochaine fois pourrait être la bonne. (B.C)
Amplitude narrative vs. Sécheresse stylistique
Ugly. Anurag Kashyap (Inde).
Le nouveau film de l’auteur du déjà très ambitieux Gang of Wasseypur est un monstre imposant, une œuvre démesurée. A partir d’un postulat simple – le rapt d’un enfant -, Anurag Kashyap tisse un réseau de relations complexes entre des individus tourmentés par le secret, l’échec et les doutes. D’une amplitude narrative rare, l’argument de départ est un prétexte pour dresser le portrait paranoïaque d’une société en plein délitement. Ressentiment, désespoir, jalousie, tromperie : un empire du mal se dresse, le vice s’immisce partout, nourri d’une galerie de personnages aux abois. Si le trait est parfois un peu trop appuyé, la démonstration – brillante et sous tension permanente – emporte l’adhésion. Il faudra revoir Ugly plusieurs fois tant le message politique est imposant, égratignant nombre de problématiques qui agitent le pays : trafic d’organes, enjeux de pouvoirs et système des castes. Tout y passe dans une tentative impressionnante de « film-somme » qui échappe – de justesse – à l’indigestion. Si Ugly fascine tant c’est dans la peinture d’une pandémie du vice : plus qu’un constat amer et définitif d’une société qui s’écroule, le film d’Anurag Kashyap préfère une lente désagrégation, la révélation de côtés sombres parfaitement distillée. Plus qu’un film noir, c’est une litanie de la noirceur – naissante, révélée – qui n’oublie jamais sa trame classique – la recherche d’un enfant disparu et le système de rançons qui en découle – et Ugly est en parfait équilibre entre les évènements et les personnages : les faits emportent les âmes. La réalisation, sèche, furieuse et stylée, et le montage, alterné et concentrique, sont à l’unisson pour parfaire la sensation de vertige d’un univers au bord du gouffre. La plus belle griffe d’un auteur à suivre désormais de très près. On en reparlera très prochainement. (B.C)
The major. Yury Bykov (Russie).
The major, comme son titre l’indique pourrait être l’histoire d’un homme. Il commence d’ailleurs comme ça : le parcours d’un homme contrarié par un imprévu, un accident presque trop idiot qui pousse le premier domino d’une longue chaîne qui s’emballe et inaugure la chute annoncée d’un destin. Quelques chose des frères Coen qu’un certain talent à saisir les paysages et les espaces semblent corroborer. Pourtant le film de Yury Bykov prend vite ses propres marques et se dessine un tout autre dessein car son personnage principal n’est pas celui que l’on croit : il est partout et nulle part, il est une menace permanente dont l’identité glisse perpétuellement entre les doigts, il suinte des murs ou semble resté tapi dans cette usine désaffectée qui apparaît, régulièrement, en arrière plan. Il est « celui qui décide et tient les destins ». Et The Major devient une grande œuvre paranoïaque : la peinture d’une administration trouble et tentaculaire qui broie les individus et ordonne. Cette peinture d’une société « orwelienne » dans des décors délabrés d’un autre âge transforme un simple polar, sec et très efficace, en œuvre de science-fiction visionnaire, en monde sous « haute surveillance ». Le film de Yuri Bykov – produite hors des circuits russes classiques – s’impose dès lors comme un brûlot politique qui fait la peau au système politique russe actuel, démiurge et terrorisant. Une tension s’installe et la réalisation millimétrée de l’auteur ne lâche jamais la pression : les corps morts et les coups de feu sont relégués au « hors-champs » et échouent à finir « une bonne fois pour toute » un système qui s’emballe. Pas de résolution, pas d’échappatoire et les traces d’une force ordonnatrice persistent comme une présence qui sonne fatalement la fuite absurde d’individus esseulés vers un ailleurs qui est un nulle part : un petit point noir perdu dans un grand blanc. Ce n’est pas grand-chose dans un film gigantesque. (B.C)
Le boss est en ville…
Why don’t U play in hell?. Sono Sion (Japon).
Le boss est de retour. Avec Why dont’t U play in hell, Sono Sion veut mettre tout le monde à l’amende, comme un retour aux affaires après un magnifique Land of hope qui semblait bien sage aux habitués monomaniaques de l’auteur. Ce sera donc une œuvre accessible et populaire qui vous « en donnera pour votre argent ». Définitivement et sans demi-mesure. Mais pas sans talent.
Objet pop généreux, le dernier film de Sono Sion est un chant d’amour au cinéma, une tentative d’œuvre somme qui résume en un peu plus de deux heures plus de 40 ans de cinéma populaire asiatique : Wakamatsu, Fukasaku, la femme-scorpion. Ils se sont tous donné rendez-vous pour une grande noce que l’on devine rouge. Sono Sion assume totalement la démarche avec un excès jubilatoire qui est une réponse amusée – par le détournement notamment de son main title – au Kill Bill de Quentin Tarantino. « Toujours plus » semble l’idée fondatrice d’une œuvre qui est un pied de nez plein de tendresse. Grand film coloriste et baroque, Why don’t U play in hell emporte l’adhésion dans un grand éclat libérateur malgré une réflexion sur le cinéma un peu trop démonstrative. Une jubilation qui sait se transformer en une émotion très juste lorsque Sono Sion revient à l’auscultation de l’intimité de personnages qui se révèlent d’une belle mélancolie – entre blessures et regrets.
Derrière la grande éclaboussure potache, Why don’t U play in hell dessinait finalement le dernier tour de piste de nos héros. « Mélancolique pop ». Chapeau l’artiste. (B.C)
Le transperceneige. Bong Joon-Ho (Corée/Etats-Unis/France).
Avec Le Transperceneige, Bong Joon-ho s’affirme une fois de plus comme le cinéaste de blockbuster idéal, conciliateur de l’intime et du spectaculaire, de la réflexion et du divertissement. Dans cette adaptation du roman graphique français de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, tous les survivants d’un cataclysme qui replonge la terre dans l’ère glacière sont montés dans une machine miracle qui ne cesse de se charrier ces ultimes êtres vivants dans un monde mort, ses wagons reconstituant le monde, de la queue à la tête, de ses classes sociales esclaves à ses dominants privilégiés. Le transperceneige est loin d’être un film parfait, la faute probablement au roman graphique lui-même qui souffre d’une lourdeur de son symbolisme et de ses figures archétypiques de méchants, surlignées, faisant parfois plus que frôler la caricature : la dimension parabolique de l’œuvre est tout de même parfois dure à avaler. Mais grâce à la maestria de la mise en scène de Bong Joon-ho, Le transperceneige finit par emporter tout sur son passage, par fasciner son spectateur, jusqu’à un final ouvert et mélancolique. C’est bien le cinéaste de The Host qui œuvre ici, ne reculant pas devant une violence parfois inouïe, et s’attendrissant sur les exclus métamorphosés en héros ; il faut bien le dire, malgré sa distribution internationale, c’est le duo père-fille reconstituant la même magnifique paire de The Host avec Ko Ah-sung et l’indétrônable Song Kang-ho qui étouffe tous les autres, constituant les vraies figures héroïques. Au-delà des quelques réserves d’écriture, on retiendra parmi les magnifiques idées du Transperceneige, l’évolution narrative faisant evoluer l’intrigue de wagon en wagon, le temps s’accélérant au rythme des espaces parcourus. (O.R)
Haunter. Vincenzo Natali (Italie).
Le cinéma de Vincenzo Natali fait rarement l’unanimité et ça n’est sans doute pas Haunter qui permettra d’inverser la position de ses détracteurs. Pourtant, chaque nouvelle œuvre reste fascinante dans sa manière d’aborder un sous-genre (la SF dickienne pour Cypher, les expériences à la Frankenstein pour le sous-estimé Splice, et la Ghost Story pour Haunter), pour injecter sa propre griffe. Et son classicisme apparent – modestie de la forme – le ferait passer souvent, à tort, pour impersonnel. Pourtant, le cinéma de Vincenzo Natali porte l’empreinte émouvante de la tristesse et des troubles identitaires : en cela, Haunter est peut-être le plus significatif de toute sa filmographie. Partant de l’argument final des Autres d’Amenabar, dont Haunter est une belle variation, Vincenzo Natali évoque la solitude de Lisa, fantôme perdue dans un espace temps qui affronte une journée qui, inlassablement, se répète : à l’intérieur de la cellule familiale, elle seule sait. C’est une très belle idée que d’inverser le processus classique du fantôme, d’imaginer un spectre terrifié par son sort, aspiré par l’ennui à l’intérieur d’une maison qui l’emprisonne. Celle qui hante les nuits de Lisa est vivante, une autre jeune fille qui risque de subir le même sort que l’héroïne et vient lui demander de l’aide : l’occasion pour V.Natali et son scénariste de multiplier les possibilités de connexion entre les époques et les héroïnes qui ne se rencontreront jamais vraiment, avec des idées parfois magnifiques telles cet extrait de Pierre et le Loup que Lisa à la clarinette joue pour appeler son « double ». Vincenzo Natali n’oublie pas combien le fantastique reste le genre le plus à même d’exprimer les angoisses humaines, ce temps bloqué, cet ennui de l’adolescente dont elle seule à conscience de sa mort, face à l’incompréhension des parents constituant une magnifique correspondance avec les tourments du réel. Haunter est loin d’être parfait et souffre des même faiblesses que des métrages précédents de l’auteur, notamment cette difficulté à terminer ses films : alors qu’il jouait la carte du classicisme pour mieux nous surprendre ailleurs, la résolution s’avère, une fois de plus, plus convenue. Certaines maladresses et autres effets de saturations sonores et visuelles viennent parfois gâcher l’élégance de l’ensemble mais Haunter reste une des œuvres les plus attachantes et les plus troublantes de ce festival. (O.R)
Sur quelques OFNIS (Objets Filmiques Non Identifiés)…
English Revolution. Ben Weathley (Grande-Bretagne).
Surprenant Ben Weathley. Après la terreur sociale et occultiste (Kill List) et la comédie noire (The tourists), le nouvel espoir du genre britannique nous emmène en territoire chamanique. Une nouvelle fois, l’auteur brasse le meilleur des influences d’une horreur britannique aujourd’hui disparue : les réminiscences de the wicker man laissent place au Grand inquisiteur. Mais à grand coup de champignons hallucinogènes, English Revolution interroge le mécanisme de leur résurgence qui, d’influences, les transforment en traces subliminales. Ainsi, English Revolution est un grand trip on l’on croisera : Shakespeare et le théâtre élisabéthain, John Donne et la guerre civile, les alchimistes, de la poudre à canon et des champignons. Il faut avoir une foi indéfectible en le cinéma pour oser une œuvre aussi belle qu’opaque et qui lorgne avantageusement vers Jodorowsky tout en brassant une mythologie lié au territoire national.
Cette histoire qui met en jeu trois hommes et le diable dans un champ hors du monde et du temps est un bel hommage aux fonctions imaginatives du cinéma et à son histoire, à l’écran sorcier qui envoute et possède le spectateur.
Nous en reparlerons plus longuement.
The taking. Lydelle Jackson & Cezil Reed (Etats-Unis).
Le cinéma expérimental a toujours suscité un brin de méfiance chez les amateurs du genre. Cinéma dit « élitiste », un peu trop regardant sur son auto satisfait dispositif , hermétique, il bute et échoue parfois devant la raison d’être du genre : mettre le spectateur dans tous ses états et créer absolument du lien, que ce soit par les tripes – horreur viscérale – ou la peur – horreur cérébrale. Mais l’amateur de genre est aussi ce grand rêveur qui croit en certaines puissances imaginaires du cinéma, a besoin d’expériences nouvelles qui rediscuteront ses habitudes fétichistes et questionneront son horizon d’attente parois trop facilement comblé. En cela, The taking est un petit miracle à la fois très fier de sa trouvaille plastique et qui n’oublie jamais le spectateur. Bien que parsemée de digressions plastiques, l’œuvre maintient son trame narrative simple – la séquestration de deux futures victimes d’un rite sataniques – et assume son appartenance au genre. Voir un peu plus. S’invitant dans une forêt pas très vierge, peuplé de démons, The taking participe d’une véritable histoire du genre et de l’un de ses lieux de prédilection. Et, au détour de certaines images semblent s’élucider le mystère épais d’une forêt que l’on aura déjà croisé dans Rendez-vous avec la peur et Twin peaks. Cette plongée cauchemardesque dans un lieu emblématique du fantastique est une grande frousse – la vraie, celle qui pourrait vous arracher un cri – et ce n’est pas le moindre pour redorer le blason d’un cinéma « autre » qui semble reconquérir un public trop souvent abandonné. Secoué et effrayé, on ébauche un semblant de raisons qui expliquerait pourquoi le secret des forêts ait été si bien gardé et occultés par nombre de réalisateurs : trop effrayant à montré. Si The taking est un film dit « expérimental », il est surtout une tétanisante expérience : celle d’un sabbat cinématographique. (B.C)
Worm. Andrew Bowser (Etats-Unis).
On est méfiant : habilité du dispositif annoncé comme un truc « séduisant » qui pourrait être vain et sens du « buzzz » d’un auteur rompu au mécanises attractifs du clip. Et pourtant.
Contre toute attente, Worm est le portrait juste et sensible d’un perdant magnifique, un beau personnage à la Coen dépassé par les évènements dont l’histoire – grâce au procédé – devient un bel éloge de la fuite. Car l’utilisation d’une Gopro harnachée au personnage aura eu au moins deux « effets » auxquels l’histoire est un parfait terreau fertile. Avant tout, cette sensation de défilement perpétuel d’un monde que l’on laisse constamment derrière soi et qui traduit bien l’état d’un homme qui ne cesse de fuir. Une fuite vaine, presque tragique : notre personnage reste toujours à la même distance de l’écran et d’un spectateur dont on soupçonne qu’il aimerait le rejoindre. Dans cette malheureuse aventure qu’est Worm, faite de trahison, de dupe et de coup bas, on préfèrerait – et on le comprend! – être spectateur plus qu’acteur. Ce déchirement entre immobilisme et mouvement perpétuel participe de beaucoup à l’aura d’un film qui s’annonce noir, qui conçoit le monde comme un vertige qui pourrait s’annoncer fatal. Enfin, ce « fatum » avait besoin d’une « gueule » pour imprimer ses stigmates et Andrew Bowser porte à merveille la détresse, la peur et l’excitation d’un homme prisonnier d’un engrenage narratif et filmique. En suggérant le portrait émouvant d’un éternel prisonnier du cadre, l’auteur a transcendé une idée maligne en petite merveille sensible. On attend la suite avec impatience. (B.C)
Miss Zombie. Hiroyuki Tanaka (Japon).
Miss Zombie pourrait rebuter plus d’un amateur de film de zombies par son rythme languissant et son noir et blanc stylisé. Mais le dernier film de Hiroyuki Tanaka alias Sabu, est une belle variation sur le mythe du mort-vivant qui puise dans l’esthétique du cinéma japonais des années 60-70 (Kaneto Shindo et le clair obscur d’Onibaba) pour mieux installer sa tragédie. Loin des archétypes du genre, le zombie selon Sabu prend le mythe à contresens, devient une figure de douceur dans un japon aseptisé et froid, un symbole maternel qui offre la vie à des humains exsangues. Catalyseur de toutes les frustrations dont la présence fait exploser la cellule familiale, la Miss Zombie reproduit le Théorème pasolinien au pays des morts. Et Sabu, offre à ce beau mélodrame une héroïne sacrificielle, doloriste, quasiment en état de sainteté. (O.R)
The voice thief. Alan Jodorowsky(Chilie/ France).
On est vraiment curieux de voir comment évoluera le travail d’Adan Jodorowsky : son court-métrage The Voice Thief – prix du meilleur court métrage au Palmarès – présage d’un univers aussi fou que celui de son père. C’est peut-être là que le bât blesse : la griffe Jodorowsky y est présente de bout en bout, bariolée, vive, blasphématoire, peuplée de nains et d’autres difformités, de déesses des rues pissant de l’or, de rencontres nocturnes toutes plus déconcertantes les unes que les autres : un rêve coloristes aux teintes très latines. L’esthétique est si proche de Santa Sangre – dans lequel Adan jouait Fenix jeune – qu’il pourrait presque servir d’annexe au chef d’œuvre d’Alejandro, comme un hommage du fils au père. Difficile, dès lors, de savoir si Adan Jodorowsky élabore un univers de symbole ésotérique aussi précis que son père ou s’il installe un monde de pur fantasme baroque, de folie visuelle et d’ironie surréaliste. En tout cas, telle qu’elle, cette histoire d’un homme fou d’amour prêt à tout pour remplacer la voix de sa diva capricieuse en volant celle d’une autre est un délire fétichiste de tous les instants, porté par une Asia Argento survoltée. Quand à la superbe partition de Rob (elle-même très inspirée par celle de Simon Boswell pour Santa Sangre) elle confirme, après celle de Maniac, qu’il est LE compositeur français de musique de films sur lequel il faudra compter. Même si tout est affaire de famille chez les Jodorowsky et si leur monde s’étend comme une vague – avec ses mouvements, ses codes et ses visions – on compte sur Adan pour rompre avec les influences paternelles et laisser émerger une fibre plus personnelle et affranchie d’auteur. (O.R)
De l’art de pondre un joyeux nanar… au risque du navet…
De The station (Marvin Kren, Allemagne) à Omnivores (Oscar Rojo, Espagne) en passant par Contracted (Eric England, Etats-Unis).
On s’est bien amusé… ou pas. Trois films pour peut-être mieux en dire sur le nanar, cet objet de culte qui a son site Internet et ses séances absurdes.
1. Faire la guerre au sérieux : si Omivores échoue là ou The station réussit, c’est sans doute dans la prétention d’un sérieux presqu’intolérable qui conjugue le grotesque à l’ennui. Mal joué, mal écrit, mal éclairé et très pompeux, Omnivores enterre en moins de 90 minutes (Ouf!) quinze ans d’une très attachante vague du cinéma fantastique espagnole qui, à défaut de chefs d’œuvres systématiques, nous aura toujours fait le coup du « bon petit film bien troussé » : bien joué, bien éclairé, identifiable et plutôt plaisant. Omnivores est un film amnésique qu’il sera juste de reléguer en deuxième partie de soirée d’une navrante chaîne du câble. Il vaut peu, ne ce sera pas acheté cher et sera vite oublié selon le principe d’une autre amnésie : celle du spectateur de télévision noctambule qui n’y trouvera ni d’horribles scènes de tortures mal faites, ni une bonne blague bien déplacée ou ringarde. Tout ce qu’a compris l’autrichien Marvin Kren avec son jubilatoire The Station. A partir d’une histoire déjà bien épuisé et qui flirte allègrement sur les ambiances polaires à la The Thing (On y revient toujours…), Marvin Kren, dans un scope bien cadré et assez stylé, vous présentera : un clone de Merkel qui bute des monstres à la perceuse, une invasion de mouches totalement foireuse et un bébé hybride à fort coefficient lacrymal. Très prévisible mais emballé avec le soin du travail bien fait, mal dialogué mais porté par un jeu outrancier de bon aloi, The Station nous aura fait bien rire. Le film de minuit idéal, un concentré de culture-pop coincé entre pop-corn, cocas et petite minette. A voir en VF absolument, The station est le film que l’on rêve d’avoir en VHS.
2. Aller à l’essentiel : Dans The contracted, il y avait peut-être matière à une belle variation sur le Rage de Cronenberg matinée de zombies romériens. Après une bonne première partie – belle gestion de la tension que génère l’apparition des premiers symptômes -, le film oublie son postulat de départ pour devenir un film de vengeance inattendu mais vain. A vouloir donner du sens à son zombie naissant, Eric England entère le genre sous la gangue d’une lourdingue explication psycho-oedipienne qui vide d’une part de son essentiel le mythe du zombi : une errance sans but vouée aux besoins vitaux. A ne pas choisir, l’auteur s’enlise et sombre dans un ridicule génant après tant de sérieux. « Pourquoi voir des films qui te montrent un zombi au bout d’une heure alors que tant en sont remplis depuis le début ? »… Une intéressante remarque lâchée de façon hasardeuse par un compagnon cinéphile, tard dans la nuit (teint blafard et yeux rougis le zombi, c’est lui!) et qui résume parfaitement le film : »Tout ça pour ça »… (B.C)
Pépites et retrouvailles…
Docteur Jeckyll et Sister Hyde. Roy Ward Baker. 1972 (Grande-Bretagne).
L’hommage rendu à Martine Beswick nous aura permis de revoir le superbe Docteur Jeckyll et Sister Hyde, production Hammer de 1971, dans laquelle le scénariste Brian Clemens mélange allégrement stéréotypes et mythes de l’épouvante londonienne, entre crimes dans les ruelles embrumées, tripots enfumés et mystères à résoudre, comme un intermédiaire entre L’impasse aux violences, Docteur Jeckyll, et Jack l’éventreur, le héros de Stevenson devenant un criminel qui prélève des organes féminins. A l’écriture du génial créateur de Chapeau melon et bottes de cuir s’ajoute la réalisation d’un autre collaborateur régulier de la série et de la Hammer, Roy Ward Baker, qui signe peut-être là sa meilleure réalisation. Commençant de manière relativement classique Docteur Jeckyll et Sister Hyde finit par exceller dans l’ambiguïté, notamment sexuelle, en abordant avec pertinence le thème de genre et de sa part féminine. Tandis que le docteur et sa sœur ne font qu’un, chaque combinaison de couple symbolise des tendances homosexuelles refoulées et le film se construit autour de cette dualité comme un jeu de miroirs troublants, porté par le jeu rigoureux et précis de Martine Beswick qui, bien plus qu’une scream queen (elle en est tout le contraire) imposait là la subtilité et la teneur érotique de son jeu. Docteur Jeckyll et Sister Hyde, qui s’inscrit dans la période d’une Hammer essoufflée, n’en demeure pas moins l’un de ses meilleurs opus. Une merveille qui n’aura d’égal que le bonheur d’une rencontre avec son actrice, pleine de modestie et d’humour, évoquant sa carrière et sa conception hors-norme du féminisme, considérant que l’exposition du corps participait de sa féminité dans toute sa vigueur. Aux regrets de ne plus la voir au cinéma, elle répond le plaisir de sa vie actuelle, de participer à des festivals et nous remerciait de la « maintenir ainsi en vie ». Exemplaire. (O.R)
La tour des 7 bossus. Edgar Neville. 1944 (Espagne).
La tour des 7 bossus est une très belle découverte de l’Espagne de 1947 et malgré la mise en garde de Gaspard Noé sur la lecture franquiste qu’on pourrait faire du film de Neville, il n’en demeure pas moins un très beau conte fantastique plongé dans une esthétique expressionniste, particulièrement réussie lorsque film plonge dans sa ville souterraine digne des Indes Noires. On suit avec un plaisir ludique les aventures d’un héros superstitieux ouvert sans le savoir au surnaturel et suivant les conseils d’un sympathique fantôme pour sauver sa nièce d’une mystérieuse confrérie. Quelque part entre les cigares du Pharaon et Hoffmann, La Tour des 7 bossus est une petite merveille faite de passages secrets, de mystérieux codes à déchiffrer, de labyrinthes et de méchants qui hypnotisent… On s’y amuse beaucoup, on s’y effraie un peu, mais surtout, on est conquis par son rythme alerte et sa poésie enfantine. (O.R)
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