Après deux années successives décalées au début septembre en raison des restrictions sanitaires, Hallucinations Collectives retrouve leur période historique, soit celle de Pâques pour une 15ème édition qui se tiendra du 12 au 18 Avril dans l’enceinte du Comœdia. Aussi, si la cuvée 2021 se voyait partiellement chamboulée (pas de compétition longs-métrages ni de carte blanche) pour les mêmes raisons, la manifestation reprend son format traditionnel et optimal. Il est donc temps pour nous de nous intéresser à la programmation de ces Hallus 2022, qui comportent de nombreuses promesses et motifs d’enthousiasme.
Démarrage en force avec ce qui devrait assurément constituer l’un des grands événements du festival, la projection en séance d’ouverture de Dark Glasses, nouveau long-métrage de Dario Argento. Dix ans après son adaptation de Dracula (en 3D), le maestro revient à ses premières amours et réalise un giallo qui promet de s’inscrire dans la grande tradition du genre qu’il a grandement façonné. Entouré par un casting comprenant Ilenia Pastorelli, découverte dans On l’appelle Jeeg Robot, et sa fille, Asia, le cinéaste retrouve son fidèle collaborateur Franco Ferrini, scénariste de nombre de ses longs-métrages (Phénomena, Le Sang des Innocents) mais également d’Il était une fois en Amérique. Arnaud Rebotini, compositeur césarisé pour la bande-originale de 120 battements par minute, a quant à lui la lourde tâche de succéder au Goblin pour mettre en musique les images du metteur en scène. Rassurez-vous tout de suite, les premiers avis mentionnent un score dément. Véritable retour en grâce après des films qui ont déçu même ses plus grands fans (mieux vaut éviter de parler de Giallo avec Adrian Brody) ? L’espoir est permis au vu d’une bande-annonce pour le moins alléchante. En clôture, une habituée et amie du festival effectuera elle aussi un retour attendu. Six ans après Evolution, nous pourrons découvrir en clôture Earwig, le troisième long-métrage de Lucile Hadzihalilovic. Adapté du roman homonyme de Brian Catling, il s’agit du premier film en langue anglaise d’une cinéaste singulière et beaucoup trop rare, ayant visiblement trouvé un matériau propice à ses aspirations oniriques. Elle poursuit son travail autour des corps changeants d’adolescentes, ici au service d’une expérience sensorielle bousculant les repères de la réalité et la perception de son spectateur en tentant de retranscrire celle de son héroïne, une jeune fille aux dents de glace assignée à résidence en temps de guerre…
Sept longs-métrages diffusés en avant-première concourent en Compétition, avec à la clé deux prix à décerner : le premier, le Grand Prix du Festival, soumis à un vote du public à l’issue de chaque séance, le second sera quant à lui remis par un jury composé de trois personnalités lyonnaises. Premier long-métrage d’un jeune cinéaste canadien expatrié à Taïwan, The Sadness de Rob Jabbaz est précédé d’une réputation extrêmement flatteuse annonçant un carnage pur et simple rappelant les grandes heures de la catégorie III hongkongaise. Mais le résumer à ses élans sanglants et sadiques, à la radicalité de sa mise en scène, serait oublier qu’il n’y a aucune gratuité dans la démarche de Rob Jabazz, mais plutôt l’expression d’un désespoir et de constats impitoyables, atteignant au fur et à mesure des questionnements philosophiques nettement plus denses et profonds que ce que son enveloppe brutale ne laisse présager. Véritable maître des effets spéciaux et de la technique de la go-motion, qui a travaillé sur des films tels que Jurassic Park, L’Empire contre-attaque ou Starship Troopers, Phil Tippett porte le projet Mad God depuis 1990. Long-métrage d’animation en image par image, il a récolté de nombreuses récompenses prestigieuses lors de sa présentation à divers festival (notamment le prix du public au dernier Étrange Festival). Attendu par les fans de cinéma fantastique depuis plus de trente ans, sa projection sera, à n’en pas douter, l’un des moments forts de cette édition. Il est à noter que Mad God sera présenté par Alexandre Poncet, critique à Mad Movies et coréalisateur du très bon documentaire intitulé Phil Tippett, des rêves et des monstres. Récompensé par l’Oeil d’Or au dernier PIFFF, Bull promet de se poser comme le thriller vengeur et brutal du festival. Réalisé par Paul Andrew Williams, auteur du sympathique Bienvenue au cottage, le film suit la quête de revanche de Bull (Neil Maskell, vu dans Kill List), de retour chez lui après dix ans d’absence et qui compte bien faire payer ceux qui l’ont jadis trahi. Un long-métrage noir et violent qui semble s’inscrire dans le sillage des premiers Jeremy Saulnier ou Ben Wheatley. Réalisé par S.S Rajamouli, déjà derrière Eega et Baahubali, le Blockbuster indien RRR (Rise, Roar, Revolt) qui affole actuellement le box-office du monde entier est annoncé comme un spectacle monumental et total, contant la rébellion des colonisés indiens contre leurs oppresseurs britanniques. Une expérience aussi prometteuse et excitante que redoutée (plus de 3h tout de même) qui ne devrait pas laisser de marbre. Léopard d’Or de la première œuvre au Festival de Locarno, She Will de la franco-brittanique Charlotte Colbert, présente de solides atouts, un casting d’envergure (Alice Krige, Malcolm McDowell, Rupert Everett), un grand compositeur pour la bande-son (Clint Mansell) et la présence en tant que producteur exécutif d’un certain Dario Argento. Silent Night de Camille Griffin (produit notamment par Matthew Vaughn) et Saloum de Jean-Luc Herbulot (Dealer) complètent cette compétition.
Partenaire du festival depuis sa création, la plateforme SVOD spécialisée Shadowz, voit sa collaboration passer à la vitesse supérieure cette année puisqu’une séance spéciale sera proposée. Beyond The Infinite Two Minutes de Junta Yamaguchi sera projeté en avant-première avant sa future sortie en exclusivité sur la plateforme. Film indé japonais à petit budget, tourné en un plan-séquence à l’iPhone, il promet de repousser au maximum les limites de son concept, en dépit des contraintes apparentes qu’il tendra à faire oublier par la force de son scénario annoncé comme retors. Après le succès de sa première saison, Lastman est de retour pour une saison 2 intitulée Lastman Heroes. Le réalisateur Jérémie Hoarau et le scénariste Laurent Sarfati viendront présenter le premier épisode et les vingt premières minutes du second de cette adaptation de la bande dessinée signée Bastien Vivès.
Place aux sections rétrospectives désormais, commençons par l’hallucinogène thématique Le Voyage en lui-même qui sera l’occasion de découvrir l’énigmatique An American Hippie in Israel. Mêlant flower power et récit de survie, improbable croisement entre Zabriskie Point et Sa majesté des mouches, le long-métrage du mystérieux Amos Sefer, promet de beaux moments de trip dans la communion d’une salle obscure. Nettement moins méconnu, La Vallée de Barbet Schroeder, deuxième long-métrage du réalisateur et deuxième collaboration consécutive avec le groupe britannique Pink Floyd. Des images sublimes que l’on doit au grand Néstor Almendros (Les Moissons du Ciel, L’Histoire d’Adèle H.) et une bande-son obsédante pour la quête d’un paradis perdu relatant les espoirs et illusions d’une jeunesse post-révolutionnaire du début des années 70. Merveille contemplative, parabole du rêve hippie, voyage éblouissant, une chose est sûre, le film doit s’apprécier pleinement sur grand-écran. Quelques années auparavant, Soy Cuba de Mikhail Kalatozov avait été un temps fort vertigineux des Hallucinations Collectives, il nous sera proposé de découvrir son film précédent, La Lettre inachevée. Kalatozov, épaulé par son incroyable chef opérateur Sergueï Ouroussevski, nous conte le récit de géologues russes s’aventurant en plein cœur de la Sibérie afin de trouver un gisement de diamants. Le film s’affranchit de son statut d’œuvre de propagande pour se faire une confrontation fascinante entre l’homme et la nature, dans un Noir & Blanc à tomber par terre, rappelant que le cinéaste fut l’un des plus grands formalistes des années 60.
Cinéaste méconnu, Donald Cammell aura droit à une rétrospective quasi intégrale de ses longs-métrages, seul manque à l’appel Wild Side avec Christopher Walken, tourné en 1995. Débutée en 1970 avec le culte Performance, coréalisé avec Nicolas Roeg et mettant en scène Mick Jagger, sa carrière s’est principalement orientée vers le thriller et le fantastique. En 1977, il signe Génération Proteus (Demon Seed de son titre original), angoissant film de SF qui voit un nouveau robot organique se prendre de passion pour la femme de son concepteur, incarnée par Julie Christie. Enfin, à la fin des années 80, il s’essaie au film policier avec L’œil du tueur sous influence depalmesque. Trois séances donc pour découvrir l’œuvre d’un metteur en scène qui a également fait l’acteur pour rien de moins que Kenneth Anger (Lucifer Rising) ou Eric Rohmer (La Collectionneuse).
Maison d’édition indépendante créée en 2009, Spectrum Films s’est spécialisé dans le cinéma asiatique au sens large, de Ringo Lam à Kim Ki-Duk en passant par Johnnie To ou Tsui Hark, se refusant à se cantonner à des genres spécifiques. Leur catalogue a plusieurs fois fait l’objet de projections aux Hallus (Full Alert, The Fake,…), ils bénéficient cette année d’une invitation en forme de double programme avec Holy Flame of The Martial World et Ebola Syndrome. Le premier, film de fantasy souvent décrit comme un wu-xia pian sous ecstasy produit par la Shaw Brothers dans les années 80 alors sur une pente descendante (l’âge d’or remonte aux sixties), mélange délicieusement kung-fu et effets visuels délirants. Un film clairement « autre » qui justifie d’être vu ne serait-ce que pour tester l’expérience et son appétit pour ce type de produits déviants certes, mais jamais à court d’idées. En 2020, dans le cadre de la section rétrospective, « Hong Kong Hors Catégorie » nous avions pu découvrir The Untold Story du duo Anthony Wong/Herman Lau, sorte de buffet à volonté de violences, saletés et mauvais goût érigés en étendard jubilatoire (à condition d’être réceptif à la proposition). Trois ans plus tard, les deux hommes remettaient le couvert pour Ebola Syndrome, qui ferait presque passer son prédécesseur pour une œuvre soft tant il repousse les limites (pourtant déjà allègrement bafouées) pour se poser en sommet de transgression débridée. Âmes sensibles s’abstenir !
Le Cabinet des curiosités, refuge d’œuvres orphelines et inclassables diffusées sans appartenance thématique particulière, se composera de cinq propositions. Cinq ans après Aguirre, la Colère de Dieu et trois ans avant Fitzcarraldo, Werner Herzog s’est confronté à un défi démesuré d’une autre nature, proposer le remake d’un chef-d’œuvre absolu du cinéma expressionniste allemand réalisé plus d’un demi-siècle auparavant : Nosferatu. Relecture cauchemardesque et fascinante où son acteur fétiche, Klaus Kinski, reprend le rôle du vampire. Moins un remake qu’une variation juxtaposant au récit original des préoccupations modernes et post-Second Guerre Mondiale (le traumatisme du nazisme hante encore violemment l’Allemagne), le film est aussi le moyen pour le cinéaste de se reconnecter avec l’histoire du cinéma germanique, lourdement freinée par les politiques anti-culturelles qui ont sévi et durablement impacté l’industrie. Il parvient à créer un pont avec le passé, tout en restant fidèle à ses propres obsessions, se montrer fidèle, respectueux et en même temps totalement personnel. Une œuvre sidérante et mésestimée qu’il nous tarde de redécouvrir. Film fantastique tourné en espéranto, Incubus fait partie de ces longs-métrages que l’on pensait disparus jusqu’à ce que des bobines soient retrouvées en 1996. Porté par William “Captain Kirk” Shatner, il réinvente le mythe millénaire de la goule, en mêlant horreur, sensualité et romance. Tout, tout de suite de Perry Henzell premier film jamaïcain de l’Histoire, inspiré par les actes d’une figure hors-la-loi mythique des années 40, complète le panel. La Jamaïque, territoire qui n’était jusqu’alors qu’un cadre à potentiel paradisiaque pour productions hollywoodiennes ou britanniques, dévoilait enfin sa vraie nature et un visage nettement moins glamour. Devenu culte, The Harder They Come de son titre original, permis entre autres, la découverte du reggae au reste du monde. Scénariste pour Yves Boisset ou Max Pécas, auteur d’une soixantaine d’ouvrages et réalisateur, Jean-Pierre Bastid, officiant ici sous le pseudonyme de Jean-Luc Grosdard, viendra présenter son Massacre pour une orgie. Produit au Luxembourg dans les années soixante afin de contourner une législation française ultra-restrictive, le négatif du film fut quand même saisi par les censeurs dès sa diffusion en France aux motifs de violence et incitation à la débauche. Grâce au producteur Bob Cresse, détenteur d’une copie, il parvint quand même à tourner dans les circuits de l’exploitation américaine, cependant au prix d’un montage significativement tronqué. Cette redécouverte se fera (et c’est un événement) en copie restauré et en version intégrale, grâce au travail, une fois de plus phénoménal, du Chat qui Fume qui devrait proposer une édition d’évidence précieuse, en fin d’année. Pour sa traditionnelle séance de Film d’amour non simulé, les Hallus ont cette fois jeté leur dévolu sur Furies sexuelles d’Alain Payet, porno horrifique tourné en 1976 par un réalisateur ultra productif (plus de 230 films jusqu’à son décès en 2007).
Réalisatrice nomade dont furent présentés par le passé certains courts-métrages, ainsi que le premier long, Blind Sun, Joyce A.Nashwati se voit offrir la Carte Blanche de l’édition. Elle a pour l’occasion sélectionné trois longs-métrages très différents. Tout d’abord, La Proie nue, survival tourné par l’acteur Cornel Wilde dans les plaines africaines. Film méconnu et pourtant terriblement précurseur, les Hallus 2022 seront l’occasion pour bon nombre d’entre nous de le découvrir pour la première fois dans les meilleures conditions possibles. Après avoir signé coup sur coup deux films historiques (Che ! et Tora ! Tora ! Tora !), le grand Richard Fleischer s’attelle en 1971 au troisième volet de sa Trilogie du Mal. Après Le Génie du mal et L’Étrangleur de Boston (source d’inspiration d’un certain Brian De Palma), il porte à l’écran une adaptation du roman de Ludovic Kennedy (10 Rillington Place). Porté par un terrifiant et méconnaissable Richard Attenborough, L’Étrangleur de Rillington Place est un thriller froid et implacable dont le réalisme influencera de nombreux cinéastes, David Fincher en tête. On retrouvera ce même Richard Attenborough dans Le Rideau de Brume de Bryan Forbes, dont il est également producteur. Temps fort de la longue collaboration (Forbes sera encore à ses côtés dans les années 90 au scénario de Chaplin) entre l’acteur et le réalisateur, qui fondèrent ensemble Beavers Films à la fin des années 50, salué par une multitude de prix à sa sortie. Une œuvre poisseuse et troublante nous plongeant dans la psychologie tourmentée d’un couple formé par Attenborough et Kim Stanley, pour un thriller en Noir et Blanc, bénéficiant d’une superbe bande-son de John Barry (dont les compositions majeures ne se limitent pas à James Bond!).
Enfin, comme toujours, le festival fera la part belle aux off avec cette année une rencontre avec le créateur d’effets spéciaux David Scherer centrée autour du culte Hurlements de Joe Dante, des expositions des artistes Rebtil et Delphine Bucher ou encore une découverte des éditions du Typhon et de la collection des « Hallucinés » à la librairie Lettres à Croquer.
Infos complémentaires
Cinéma Comœdia
13 avenue Berthelot, 69007 Lyon
PLEIN TARIF : 9,10€
RÉDUIT : 7€
ENFANT (- DE 14 ANS) : 4,50€
CARTE COMOEDIA 6 PLACES :
35,40 / 38,40€
SOIRÉE SPECTRUM FILMS : 10€
PASS INTÉGRAL FESTIVAL : 99,00€
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