Mostra de Venise 2024 – Compte-rendu n°4

Bonne surprise dans la filmographie de Justin Kurzel, dont la fascination appuyée pour la violence virait parfois à la complaisance reloue, THE ORDER s’en sort beaucoup mieux en assumant son statut de série B old school, même s’il crâne parfois en revendiquant l’influence de Cimino ou Peckinpah (il y a pires références, avouons-le).  Le scénario de Zach Baylin, basé sur The Silent Brotherhood de Kevin Flynn et Gary Gerhardt, publié en 1989, suit la traque d’un agent solitaire du FBI (intense Jude Law, ici affublé d’une sublime moustache) qui cherche à démanteler un groupe suprémaciste blanc, « The Order », actif aux États-Unis dans les années 80.  Alors qu’il tournait en rond dans sa méditation recyclée sur la violence, Justin Kurzel parvient cette fois à trouver l’efficacité sobre d’un polar à l’ancienne comme on n’en fait plus, et surtout en filmant un milieu bizarrement peu traité dans le polar américain :  Nicholas Hoult est très convaincant en leader nationaliste, aussi charismatique que manipulateur.


Précédé d’une aura flatteuse, THE BRUTALIST de Brady Corbet a en effet été l’une des grosses sensations de la Mostra. Cette épopée historique de 3h35 (avec entracte de 15 mn), filmée dans un superbe Vistavision 35mm, raconte l’ascension d’un immigrant juif hongrois, László Toth (un personnage fictif, précisons-le, on n’est pas dans un biopic)  en tant qu’architecte visionnaire dans l’Amérique de l’après-Seconde Guerre mondiale, avant de se voir confronté à l’antisémitisme et au libéralisme sauvage.  C’est peu dire que l’ambition formelle et thématique est colossale :  l’exil forcé d’un survivant de l’Holocauste (prodigieux plan d’ouverture en hors-champ), l’héritage à reconstruire, l’expérience amère de la psyché maladive d’un pays gangrené par sa folie capitaliste. Avec une mise en scène très minutieuse et une esthétique assez audacieuse, Brady Corbet réussit plusieurs séquences, explorant surtout la relation forcément toxique entre l’architecte brutaliste et le millionnaire chelou qui le prend sous son aile tel un Pygmalion et l’engage pour construire un projet monumental.  A cet égard, les performances d’Adrien Brody (son plus grand rôle avec « Le Pianiste ») et de Guy Pearce (son plus grand rôle tout court) sont particulièrement imposantes (d’ailleurs, on comprend très mal pourquoi la Coupe Volpi d’interprétation masculine est allé à Vincent Lindon). La structure en deux parties fait sens puisque ce n’est qu’au début de la deuxième qu’Erzsébet, l’épouse de l’architecte (excellente Felicity Jones) rejoint finalement son mari et apportera finalement un contrepoint plus intime à ce récit brutal d’un cauchemar auto-destructeur, où la quête d’une oeuvre d’art totale va se heurter à l’enfer de la haute bourgeoisie protestante.
Alors d’où vient qu’un tel film, malgré ses nombreuses qualités, ne parvienne bizarrement pas à susciter l’enthousiasme absolu? Peut-être un côté trop bavard, une confusion narrative qui nous perd un peu, mais surtout le sentiment que le film impressionne plus pour son ambition que pour son résultat, comme si Brady Corbet, qui a certes du talent, cherche un peu trop à faire son King Vidor ou son Paul Thomas Anderson, sans parvenir à s’en démarquer suffisamment ou à affirmer un authentique langage personnel. C’est le genre d’oeuvre qu’on admire pour son audace, mais qui ne reste pas forcément en tête, comme si quelque chose manquait pour nous bouleverser intimement. Peut-être qu’une seconde vision, sans le contexte d’un festival, me permettra de mieux l’apprécier avec une meilleure digestion. Certains critiques se sont amusés à le comparer avec le mal-aimé MEGALOPOLIS pour ironiser sur le fait que Coppola avait lui aussi tenté une grande fresque sur un architecte, et que Corbet avait réussi ce que Coppola avait raté, mais je ne suis pas sûr de partager leur constat.


Dans la sélection documentaires de Venise Classics, FROM DARKNESS TO LIGHT de Michael Lurie et Eric Friedler nous éclaire sur la conception douloureuse d’un film de Jerry Lewis resté insortable, le fameux THE DAY THE CLOWN CRIED, et dont les négatifs sont préservés à la Bibliothèque du Congrès. Cette drôle de tragédie qui se déroule dans un camp de concentration, où un clown tente d’amuser des enfants victimes de l’Holocauste, était à la fois le plus grand rêve et la plus grosse désillusion artistique de Jerry Lewis. Les quelques extraits qui nous sont permis de découvrir laissent penser que c’est un objet étrange et insaisissable qui perd totalement ses moyens, et qui nous interroge sur la responsabilité morale de l’artiste. Malgré sa forme quelconque, ce documentaire reste assez captivant par la richesse de multiples interventions, celles de Jerry Lewis lui-même bien sûr, mais aussi de Jean-Jacques Beineix, alors débutant à l’époque quand il était assistant sur le tournage au cirque d’hiver Bouglione.

Co-réalisé par JR et Alice Rohrwacher (une telle collaboration laisse évidemment perplexe). le court métrage ALLÉGORIE CITADINE énervera forcément ceux qui sont soûlés par les collages de l’agaçant JR, dont on comprend mal la popularité. C’est une fable un peu confuse autour de l’allégorie de la Caverne, racontée dans la République de Platon, mais qui ne semble pas avoir grand-chose à dire à part que les images sont des illusions. Un petit garçon suit des ombres qui se déplacent sur les murs, il y a des danseuses, il y a même Leos Carax qui surgit..   Le film est disponible quelques jours sur FestivalScope si vous voulez vous faire un avis.

La suite bientôt …

Pour lire la première partie du compte-rendu de la Mostra 2024 :
https://www.culturopoing.com/culturonews/cinema/mostra-de-venise-2024-compte-rendu-n1/20240906

 

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