Depuis quelques décennies, le cinéma érotique japonais connaît enfin une reconnaissance méritée qui ne le limite plus au génial Empire des sens mais dévoile un pan majeur d’expression esthétique et souvent politique. Bon nombre de cinéastes japonais maintenant renommés ont d’ailleurs touché au genre, que ce soit Kiyoshi Kurosawa, Sion Sono ou encore Nobuhiro Suwa, non pas comme un passage obligé, mais un exercice de style marquant leurs débuts. On se souvient également de cinéastes au carrefour des genres, tels Fukasaku, imposant imposant leur style dans le genre au point de rendre les oeuvres en question impossible à ranger dans des cases. Si les somptueux Roman Porno de la Nikkatsu qui empêchèrent la filme de couleur frappent – tout du moins dans les années 70 – par leur splendeur et leur qualité de production, ils ne correspondent qu’à une des dernières étapes qui fit d’ailleurs quelque peu de l’ombre au pinku eiga d’origine, indépendant et à très petit budget.
C’est donc à un parcours au sein du Pinku Eiga que nous convie Carlotta avec ce formidable coffret « 5 Pink films », nous invitant à nous faire une idée du genre à travers cinq films très différents.
LES FILMS
UNE POUPÉE GONFLABLE DANS LE DÉSERT d’Atsushi Yamatoya (1967 – N&B – 86 mn)
Sho est un détective privé engagé par un riche agent immobilier pour retrouver sa maîtresse disparue. Celle-ci aurait été kidnappée par une bande de yakuzas
puis assassinée au cours du tournage d’un snuff movie. Mais cette femme s’avère bel et bien vivante et le détective, aspiré dans une liaison torride avec elle, en vient à questionner son sens de la réalité…
Situé dans le Tokyo urbain de la fin des années 1960, Une poupée gonflable dans le désert est un film pink expérimental signé Atsushi Yamatoya, l’un des scénaristes de La Marque du tueur de Seijun Suzuki, sorti quatre mois plus tôt. Tourné en Scope dans un sublime noir et blanc, Une poupée gonflable dans le désert est aussi hallucinatoire, fragmentaire et surréaliste que le chef-d’œuvre de Suzuki, et prouve la grande diversité du genre pink dans sa première décennie d’existence. Mêlant univers « hard-boiled » et imagerie sexy, Une poupée gonflable dans le désert est un régal pour les yeux… et pour les oreilles, grâce à la musique du pianiste et compositeur de jazz, Yosuke Yamashita.
PRIÈRE D’EXTASE de Masao Adachi (1971 – N&B et Couleurs – 74 mn)
Quatre lycéens, Yasuko, Yoichi, Koichi et Bill, souffrent d’un profond sentiment d’insatisfaction et de désensibilisation totale à l’égard du monde qui les
entoure. Pour mieux échapper à cette société adulte qu’ils jugent corrompue, ils choisissent de s’adonner au sexe collectif. Désormais enceinte, Yasuko décide d’entrer dans la prostitution. La jeune fille de 15 ans va s’engager dans une odyssée de découverte de soi pour combler le vide autour d’elle…
Prière d’extase est le plus énigmatique et le plus radical des pink films de Masao Adachi, réalisateur phare connu pour son activisme politique. À la manière d’un Larry Clark nippon, Adachi montre les angoisses et la violence des adolescents japonais aux prises avec leur corps. Il rend hommage à cette jeunesse perdue en livrant d’authentiques testaments de personnes ayant mis fin à leurs jours. Mêlés à la musique entêtante du guitariste folk Masato Minami, ces témoignages poignants expriment le vide spirituel et politique laissé au lendemain de la répression des mouvements étudiants de 1968. La splendide photographie de Hideo Ito, qui collabora entre autres avec Nagisa Oshima sur L’Empire des sens (1976), capture avec grâce ce va-et-vient formel entre le documentaire et la pure fiction.
UNE FAMILLE DÉVOYÉE de Masayuki Suo (1984 – Couleurs – 62 mn)
Désormais marié, Koichi, le fils aîné des Mamiya, ramène son épouse Yuriko dans sa famille. Malgré des premiers ébats passionnés, il se lasse rapidement d’elle et entame une liaison torride avec une serveuse. Délaissée par son mari, Yuriko se trouve alors entourée des autres membres de la famille Mamiya : Shukichi, le père qui semble reconnaître en chaque femme le visage de sa défunte femme ; Kazuo, le petit frère sexuellement frustré ; et Akiko, la petite sœur en mal d’aventures…
Premier long-métrage de Masayuki Suo, Une famille dévoyée est aussi son unique incursion dans le pink film. Le futur réalisateur de la comédie à succès Shall We Dance? (1996) livre ici une réjouissante parodie des mélodrames de son compatriote Yasujiro Ozu. Le spectateur retrouve tous les éléments qui firent la gloire du grand maître (la caméra au ras du tatami, le générique sur toile de jute, les cadrages fixes) et
reprend son thème de prédilection : la famille. Mais il s’agit ici d’une famille complètement déréglée dont les interactions tournent autour du sexe. Jubilatoire, divertissant, Une famille dévoyée est un hommage décalé mais profondément respectueux du cinéma d’Ozu. Considéré comme scandaleux à sa sortie, son réalisateur dut attendre des années avant de pouvoir tourner à nouveau.
DEUX FEMMES DANS L’ENFER DU VICE de Kan Mukai (1969 – Couleurs – 78 mn)
Suite à un krach boursier inattendu, un agent de change est contraint d’offrir sa femme à son créancier, Uchiyama, pour éponger ses dettes. Enfermée dans un cabanon, elle sert de distraction au fils, qui souffre de handicap mental. Mais lorsqu’elle retourne enfin chez elle, elle se fait renverser par une voiture. Choqué, son mari est alors victime d’une attaque. Sa fille Mariko, devenue call-girl de luxe, décide alors de venger ses
parents…
Jusqu’à la fin des années 1960, en raison de leur budget très serré, les pink films étaient le plus souvent tournés en noir et blanc – seules les scènes les plus « osées » étaient éventuellement filmées en couleurs. Réalisé en 1969 par Kan Mukai, Deux Femmes dans l’enfer du vice est l’un des premiers du genre entièrement en couleurs et son utilisation est ici exploitée à son maximum. Véritable explosion de couleurs, le film reste fidèle à l’esprit psychédélique de l’époque, avec sa bande-son mêlant bongos et sitars. Entre le film d’horreur enfiévré, la sexploitation et le mélodrame, Deux Femmes dans l’enfer du vice figure parmi les classiques du genre et a ouvert la voie aux expérimentations formelles et narratives plus poussées des années 1970.
CHANSON POUR L’ENFER D’UNE FEMME de Mamoru Watanabe (1970 – N&B et Couleurs – 76 mn)
Okayo Benten, du nom de la déesse de la sagesse qu’elle a tatouée sur le dos, est en fuite après les meurtres de nombreux yakuzas. Pour se venger, ses persécuteurs ont juré de l’écorcher vivante et de récupérer son tatouage en guise de trophée. Alors qu’elle vient de se faire capturer, la jeune femme est sauvée in extremis par un mystérieux joueur de shakuhachi, une flûte faite de bambou, qui a lui-même un tatouage particulier : celui de la déesse de la prospérité, Kisshoten…
Mené par Tamaki Katori, vedette de Flesh Market (1962), premier pink film jamais réalisé, Chanson pour l’enfer d’une femme brasse folklore japonais et sexe cru, dans des scènes baignées d’une ambiance onirique qui rappelle les grands classiques de l’âge d’or du cinéma nippon. Son scénario est signé Atsushi Yamatoya (ici sous le pseudonyme de Wataru Hino), réalisateur d’Une poupée gonflable dans le désert (1967) et coscénariste de La Marque du tueur de Seijun Suzuki (1967). Réponse pink à la populaire série de films La Pivoine rouge (Lady Yakuza) (1968-1972) avec Junko Fuji, Chanson pour l’enfer d’une femme est la suite du long-métrage Despicable Man-Killing Benten (1969), un pink film aujourd’hui perdu, comme beaucoup d’autres. Si Chanson pour l’enfer d’une femme est encore visible, c’est grâce à Mamoru Watanabe qui, ayant réalisé et produit le film à travers sa société Kanto Eihai, est parvenu à conserver une copie toute sa vie.
LES SUPPLÉMENTS
5 PRÉFACES (HD*)
Les 5 films présentés par un spécialiste du cinéma asiatique : Dimitri Ianni pour Une poupée gonflable dans le désert, Deux Femmes dans l’enfer du vice et Chanson pour l’enfer d’une femme ; Stéphane du Mesnildot pour Prière d’extase ; et Pascal-Alex Vincent pour Une famille dévoyée.
Coffret édité par Carlotta.
Sortie le 30 septembre 2020
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