Ce mois-ci, la collection « Nos années 70 » met à l’honneur les cinéma d’Alain Jessua, de Claude Zidi et de Joël Santoni.
On a coutume d’identifier Les Charlots à du comique troupier pas très loin des bidasses et à quelques nanars mémorables, tels Les Charlots contre Dracula ou Les Charlots en délire ce qui est partiellement une erreur. En effet, si la plupart des longs-métrages qui les mettent en scène sont assez consternants, leurs collaborations avec Claude Zidi sont d’un tout autre niveau. Le réalisateur de La moutarde me monte au nez en particulier sur Les dieux du Stade et ce formidable Le Grand Bazar, semble avoir capturé tout le potentiel burlesque de ce groupe de musique parodique qui vit le jour au milieu des années 60 (souvenons-nous notamment de « Paulette la reine des paupiettes » ou « Berry Blues ») avant de s’improviser acteurs dans les années 70. Aussi étonnant que cela puisse paraître, par leur titre même « Les Charlots » voulaient rappelons-le rendre à l’origine hommage à Charlie Chaplin. De fait, Le Grand Bazar constitue la quintessence de leur humour dans ce qu’il y a de meilleur, en grande partie grâce à l’écriture de Zidi. Il y a dans ce long-métrage un sens du gag permanent assez fou, jusqu’à l’absurde, qui le rend régulièrement désopilant aidé par la présence de Michel Serrault et de Michel Galabru. Cette histoire de quatre garçons catastrophiques se lançant dans la défense d’une supérette contre la suprématie des supermarchés, s’enchaine de manière désopilante pour atteindre le délire. Au-delà du comique perce une vraie satire de la société de consommation qui rappelle les comédies de Pierre Richard de la même période. A l’époque, le sujet était contemporain voire précurseur. Maintenant, au-delà du divertissement, on s’aperçoit combien Zidi voyait juste, et combien ce combat était perdu d’avance. Le capital sympathie des Charlots est à son apogée, et Le Grand Bazar peut s’affirmer comme un des modèles de la comédie des années 70. Réhabilitons-le, redonnons-lui sa juste place.
Traitement de Choc reste l’œuvre la plus célèbre d’Alain Jessua, probablement grâce à l’inoubliable duo Alain Delon /Annie Girardot. Célébrité justifiée, certes, mais la filmographie de Jessua recèle tellement de merveilles qu’on serait tenté de dire qu’il ne s’agit que de l’une d’entre elles. Traitement de Choc propose ce cocktail rare d’ironie et de terreur qui dissémine l’un sans jamais annihiler l’autre. Indiscutablement, Jessua demeure l’un des rares cinéastes français à avoir réussi à imposer un fantastique qui n’appartient qu’à lui, où le surnaturel s’impose comme un ressort de critique sociale, mais où la dimension politique n’annihile jamais la beauté de la fiction. Le fantastique découle de la banalité du réel, terriblement prosaïque, trop prosaïque au point de faire passer de l’autre côté du miroir. Le décor est ici celui d’un centre de thalasso dans lequel arrive Hèlène suite à une déception sentimentale. Mais la découverte du cadavre de l’un de ses amis au pied d’une falaise va lui mettre la puce à l’oreille : elle va mettre au jour les véritables ambitions du directeur de l’établissement, un Alain Delon plus énigmatique et prédateur que jamais, à contre-emploi, dans un de ses meilleurs rôles. Girardot et Delon sont d’autant plus éclatants qu’ils fonctionnent par antagonisme, entre l’attirance et la répulsion, entre l’amour et la monstruosité, ce qui permet à Jessua de décliner avec brio le thème du vampirisme, non seulement dans ses thématiques, mais aussi dans sa dimension la plus sensuelle. Le docteur Devilers possède à l’instar de Dracula une vraie dimension de séduction érotique. Comme toujours chez Jessua, la mythologie fantastique se confond avec la Science-fiction et l’humeur glisse progressivement vers le cinéma d’anticipation. Dans Paradis pour tous, Les Chiens, ou Armaguedon, il parlait de notre époque tout en suggérant l’idée d’un avenir très proche. Traitement de choc reste donc un fascinant joyau qui aura inspiré bien d’autres œuvres évoquant des cliniques aux pratiques pour le moins douteuses de Coma de Robin Cook (que Michael Crichton adaptera en 1978) à A cure for life de Gore Verbinski. Si le cinéma de Jessua se ressource dans son amour de la littérature et du cinéma fantastique (ici, dans la grande tradition des savants fous déguisés en docteurs honorables et célèbres), il leur offre une relecture contemporaine saisissante, et impose Traitement de choc comme un modèle immortel.
Dans les années 70-80, le cinéma français aimait mixer comédie sociale et satirique et science-fiction. Alain Jessua en était probablement le représentant le plus talentueux, le plus profond, au regard le plus acéré et inquiet, mais quelques cinéastes moins connus s’y sont aventurés. « Nos années 70 » nous a précédemment proposé L’ordinateur des pompes funèbres ; ce mois-ci, c’est autour du délicieux Ils sont grands ces petits » de pouvoir être redécouvert. Joël Santoni, cinéaste oublié ayant essentiellement œuvré pour la télévision réalisera pourtant l’un des polars français les plus intéressants de la fin des années 80, Mort un dimanche de pluie avec Nicole Garcia, Jean-Pierre Bacri, Jean-Pierre Bisson et Dominique Lavanant qu’il serait d’ailleurs temps de ressortir. Le très enlevé Ils sont grands ses petits tient à son pétillant duo Catherine Deneuve/Claude Brasseur et à son intrigue de SF feuilletonnesque qui semble renouveler à l’ère moderne les délires de Maurice Renard à base de savants fous et de complots occultes ou de la remarquable série ORTF Aux frontières du possible avec Pierre Vaneck. Alors que leurs pères respectifs, deux savants, ont disparu en mer, Louise et Léo, deux amis d’enfance, tentent de se montrer leurs dignes héritiers et poursuivent leurs recherches et organisent un hold-up à l’aide de robots téléguidés. Mais ils attirent l’attention de personnages peu recommandables qui aimeraient bien utiliser leurs découvertes à des fins plus dangereuses. Co-écrit par Daniel Boulanger et Jean-Claude Carrière Ils sont grands ces petits est une jolie fable fantastique dans laquelle Catherine Deneuve et Claude Brasseur, rayonnants, s’en donnent à cœur joie.
Concernant les suppléments proposés par Jérome Wybon, outre ses présentations éclairantes, toujours de beaux documents d’archives pour la plupart inédits.
Le grand bazar
- Reportage sur le tournage (4’)
- Bêtisier (2’)
- Bande-annonce (3’)
Traitement de choc
- Interview d’Alain Jessua (2004, 23’)
- Interview de Bernard Payen (19’)
- Interview de René Koering (23’)
- 3 séquences commentées par René Koering (8’)
- Reportage sur le tournage (6’)
- Bande-annonce (2’)
Ils sont grands ces petits
- Reportage sur le tournage (5’)
- Interview de Claude Brasseur (1979, 8’)
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