Le cinéma français du patrimoine a désormais son éditeur : Coin de Mire poursuit chaque mois la redécouverte d’œuvres populaires des années 50-60 trop, facilement oubliées voire boudées, car elles représentaient sans doute un pan pas assez élitiste pour une certaine frange critique. Coin de Mire participe donc régulièrement à une réhabilitation indispensable de certains cinéastes considérés à tort comme mineurs. Et cerise sur la gâteau, l’ambition de nous faire revivre les conditions d’une séance de l’époque, avec les actualités, les bandes annonces et les réclames publicitaires. 6 nouveaux titres sortent donc ce 4 décembre.

Commençons peut-être avec le meilleur, deux adaptations magistrales de Georges Simenon par Pierre Granier-Deferre. Dominée par l’interprétation de Simone Signoret, Ottavia Piccolo, et Alain Delon, tous trois magnifiques, La veuve Couderc métamorphose un argument assez classique histoire de fuyard en tragédie amoureuse triangulaire, très singulière où explose la solitude. Les destins, ici, paraissent sans issue. Poursuivons avec la mélancolie inextinguible de l’écrivain belge. Non seulement la performance de Jean Gabin et Simone Signoret dans Le Chat livre parmi leurs plus beaux rôles, mais si nous ne sommes pas encore dans Amour d’Haneke, cet inoubliable vieux couple, traduit également le courage de deux acteurs faisant face aux ravages du temps, l’offrant presque brutalement aux spectateurs. Car cette mort qui guette est au cœur de l’intrigue du Chat, cet amour qui s’est lentement effritée entre ces deux êtres qui désormais se tolèrent dans un petit pavillon de banlieue, prisonniers de ce lieu comme de leur accoutumance et de leurs habitudes… avant de ne plus pouvoir se supporter. Reste-t-il des traces d’amour dans cette détestation ? Leur maison, prête à disparaître au milieu des décombres, se dégrade tout comme eux, dans une vie rythmée par le vacarme extérieur de la boule de démolition. Au même titre que Quelque part quelqu’un que Yannick Bellon réalisera un an après, Le chat constitue un témoignage poignant de l’essor et des grands plan d’urbanisme dans les années 70, parfois au mépris de ceux qui y vivaient. On ne se remet pas de ce film qui serre la poitrine et dérange à chaque nouvelle vision.

Quittons Simenon, mais pas Jean Gabin. L’acteur est un habitué du cinéma de Jean-Paul Le Chanois, presque dix après avoir incarné le Docteur Laurent et Jean Valjean le voilà en Père La Tulipe, jardinier bonhomme et peintre, modeste faux monnayeur à ses heures perdues : influencé par son filleul et sa copine il va passer des petites aux grosses coupures, avec des ambitions beaucoup plus dangereuses. Boudé à l’époque par la critique et le public, dialogué par Alphonse Boudard, Le Jardinier d’Argenteuil mérite d’être découvert, pour la poésie qui s’en dégage, sa douce excentricité, et le charme suranné qu’il infuse.  Et puis, il y a la musique de Serge Gainsbourg. Ce sera son dernier film avec le réalisateur. Fidèle également au réalisateur Jean Delannoy et à son savoir-faire, après avoir incarné deux fois Maigret pour lui, il passe de l’autre côté de la justice dans l’excellent Le soleil des voyousendossant la panoplie qui lui sied si bien du truand à la retraite, forcé de reprendre du service. Sa rencontre avec un ancien ami américain, va le pousser à reprendre du service et à échafauder un nouvel hold-up, comme au bon vieux temps. Le duo Robert – Monsieur Les Incorruptibles – Stack fait des étincelles, avec ce charme dingue du mélange des accents, entre entre l’argot parisien et l’amerloque. Le soleil des voyous fait également la part belle aux seconds rôles, notamment grâce aux formidables Suzanne Flon et Margaret Lee, et bénéficie d’une très belle partition de Francis Lai.  Un beau film classique au sens le plus honorable du terme.

On change radicalement de style avec Le mouton à cinq pattes d’Henri Verneuil dans lequel Fernandel, tentant sans doute de rivaliser avec le Alec Guinness de Noblesse oblige ne joue pas moins de 6 personnages ! Et pour le coup, pour les amateurs de l’acteur, c’est un festival ! L’argument : la petite ville de Trézignan en manque de touristes décide d’organiser une manifestation autour des 40 ans de quintuplés nés dans le village. Mais il faudrait déjà pouvoir les retrouver puisqu’ils sont dispatchés partout dans le monde. Le point de départ est l’occasion d’une série de sketches s’attardant sur la vie de chacun, dans lesquels Fernandel sans donne à cœur joie, dans de multiples déguisements et voix contrefaites, avec le cabotinage comme règle d’or. Et quand on sait qu’à la distribution, il y a également Louis de Funès en directeur des pompes funèbres, on se doute bien que la fête ne sera pas de tout repos. Particularité, chaque histoire à son scénariste attitré ( René Barjavel, Jean Marsan, Henri Troyat, Jacques Perret, Henri Verneuil et Raoul Ploquin). Une chose est sûre, avec Le Mouton à cinq pattes l’ennui est interdit.

Terminons avec un classique des classiques adapté d’un classique de la littérature, La Chartreuse de Parme de Christian-Jaque. La complexité narrative, politique du chef d’œuvre de Stendhal intimidait les cinéastes au point qu’il n’y eût finalement que peu d’adaptations de ce roman foisonnant, multipliant les rebondissements et les intrigues. Fabrice De Dongo est pris entre deux femmes, sa tante la duchesse Sanseverina follement amoureuse qu’il dédaigne, puis Clélia dont il tombe follement amoureux. De quiproquo en quiproquo, le marivaudage se métamorphose en piège inextricable se refermant sur le héros. Difficile de résumer La Chartreuse de Parme, d’une richesse assez exceptionnelle dans les thèmes et genres qu’il entremêle, mais force est de reconnaître que le film de Christian-Jacques rend justice au roman de Stendhal. Certes l’adaptation de Pierre Very (oui, l’auteur des Disparus de Saint-AgilGoupi-Mains rouges) simplifie un peu la trame, le trahit parfois (exit l’épisode de La Bataille de Waterloo) mais reste fidèle à son souffle romanesque si particulier.  Le Fabrice De Dongo conserve ainsi la complexité de son héroïsme et son caractère insaisissable. Cela tient de l’évidence, mais Gérard Philipe, Maria Casares et Renée Faure y sont inoubliables.

 

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