Depuis quelques années, Michaël Mention mélange les genres et les styles mais construit méthodiquement une œuvre singulière dans le roman noir. Romancier politique ? Certes, mais dégagé de tout partisanisme. Fidèle aux faits sans céder à la ritournelle classique qui faisait flores chez ses prédécesseurs des années 70.Avec Power, il a choisi d’écrire, non pas sur un évènement particulier, mais sur un mythe: le Black Panther Party. Ce nom, évoque à lui seul dans un flashback instantané, les passions d’une autre époque ; il fait surgir dans la mémoire collective les images fortes des Jeux Olympiques de Mexico en 1968 où Tommie Smith et John Carlos levèrent leurs points gantés de noir ou encore celle de  Malcom X. Il s’associe à ce moment particulier dans l’histoire américaine où les « noirs » refusèrent le rôle que leur avait assigné les « blancs » et voulurent écrire leur propre histoire.

Le roman de Michaël Mention brosse un portrait, sans concession avec la moraline ambiante, de cette époque. Pour réaliser cette fiction réaliste, Michaël Mention s’est appuyé sur de nombreux documents historiques. Il a également puisé dans les pamphlets révolutionnaires parus à cette période dont Frantz Fanon qu’il cite à plusieurs reprises. La musique vient en appui avec l’évocation, tout au long du récit, de la bande-son de ces années-là. Rien ne semble avoir été laissé au hasard. L’histoire des Blacks Panthers et de l’Amérique prend forme sous la plume de Michaël Mention et s’incarne dans le destin de ses personnages.

Son récit se divise en deux parties distinctes par leur composition. Ainsi, la première suit l’émergence de ce groupe politique si particulier et novateur dans le paysage institutionnel. L’écriture se veut incisive, brutale à l’image de cette partie de l’Amérique qui refuse d’appliquer les lois antiségrégationnistes. Comme, par exemple, lors de la description des émeutes de Watts, moment fondateur du mouvement «  Des bouteilles pleuvent sur les policiers. Marcus tombe, dégaine son arme – « Reculez ! Reculez, sales nègres ! »- et tire un coup en l’air, Mc Coy rétablit le jeune, l’entraine dans leur véhicule. Canon pointé, Marcus les rejoint. La mère implore les policiers déjà loin. Alors, le quartier s’insurge. Trop d’abus de pouvoirs. Trop d’injustices. Trop de trop. Pour la première fois, Watts s’embrase. Les flammes passent des briquets aux journaux, poubelles, voitures. L’une d’elles explose, suivie d’une autre. Non, là, c’est Dylan. Il dynamite les ondes avec son Subterranean Homesick Blues…dont le chant survolté accompagne la foule. Elle hurle, casse, renverse les cabines téléphoniques. La colère se propage de guitare en harmonica, de trottoirs en immeubles, de balcons en foyers et gagne tout le ghetto ». Pas de grandiloquence dans l’écriture de Michaël Mention, la situation ne le lui permet pas ; mais une âpreté, suscitant l’émotion. Il condense l’action pour la rendre vivante, décrit ces moments comme la naissance d’un nouveau monde. Et, en effet, le black Panther Party se voulait l’avant-garde d’une révolution sans précédent ; politique, culturelle et même vestimentaire…Leur action ne se limitait pas uniquement à lutter contre les ségrégations raciales mais s’appuyaient sur des actions concrètes pour redonner de la dignité aux laissés pour compte de l’Amérique. Michael Mention montre cet aspect méconnu de leur combat (surtout dans la deuxième partie du roman) : l’ouverture de restaurant pour les enfants sous-alimentés, la création d’hôpitaux, etc…

Dans cette seconde partie, l’auteur suit le parcours de trois individus étrangers les uns les autres ; Charlene, jeune membre des blacks Panther ; Tyrone, exfiltré par le FBI pour servir d’informateur et pousser à la déstabilisation du mouvement et enfin, Neil, simple policier, peut-être plus tolérant que ses collègues. Ici, le style de Michaël Mention s’assagit, il suit ses personnages et avec eux le déroulé des évènements qui conduira à la dislocation du groupe. Dans cet espoir transformé en débâcle, l’auteur n’omet rien: de l’assassinat des leaders à la guerre des gangs en passant par Charles Manson, ses personnages sont les acteurs de l’histoire en marche…avec un coté caricatural quelque peu dommageable. En effet, les personnages singent leur rôle sans prendre d’épaisseur littéraire. Ils suivent le cours des évènements sans broncher servant de témoin historique. Charlène devient l’emblème jusqu’au-boutiste du mouvement tandis que Tyrone, le « traitre », rongé par les remords, ne dévie pas. En définitive, reste le policier, qui après un retournement excessif et sordide plonge dans la démence…

Cette réserve sur les personnages ne doit pas cependant occulter la flamboyance du roman de Michaël Mention et cet hommage magnifique rendu à ces hommes et femmes qui défiaient l’Amérique. Un grand livre écrit sur l’activisme noir américain écrit par un français blanc !

Power

Michaël Mention

Éditions Stephane Marsan

 

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