A 36 ans Aurélien Bellanger s’est déjà forgé une solide réputation dans le monde littéraire. Analyste des turpitudes de la société post-moderne, son talent d’écriture lui permet d’embrasser les époques et les hommes. Dans ce nouveau récit, le narrateur, Alexandre Belgrand, évoque sa propre trajectoire et livre, en filigrane, une chronique des débuts du nouveau siècle.
Après avoir grandi à Colombes, le narrateur poursuit son apprentissage sein d’une banale école de commerce. Là, il se lie avec un professeur au mysticisme suranné dans un pacte quasi-faustien, Machelin. Ce dernier, situationniste dans les années 1970, conseille désormais de manière officieuse le ministre de l’Intérieur, qui n’est autre que l’ancien Président de République (l’auteur le nomme tout au long du roman « Le Prince »). Abandonné par ses pairs, il initie le jeune Alexandre à ses études sur l’imaginaire dans la construction architecturale de Paris. L’agencement de Paris résulterait d’une dynamique insondable qu’Alexandre aura la lourde charge de discerner. En échange de son investissement, Machelin intègre le jeune étudiant dans les cercles de pouvoir du Prince. Pour parfaire son instinct urbaniste, il part dans le désert algérien où il est pris sous la coupe d’un vieil ami de Machelin. Dans cet étrange contexte, sa vision sur la capitale française s’affine et prend forme. A son retour, le Prince fait appel à lui pour la campagne présidentielle de 2007. Présent le soir de la victoire parmi les invités restreints du Fouquet’s, il initie, par la suite, la conduite du projet du Grand Paris. En s’appuyant sur les chimères de Machelin, il reconstruit la géographie de Paris, enfouie par les années mais intacte dans ses tréfonds géologiques.
Tout au long de cette ascension sociale, le narrateur se fait l’observateur attentif des évolutions humaines à travers le prisme des bouleversements architecturaux. Personnage engagé à droite, il parsème ainsi son récit de tirades sur les mutations sociétales. Il évoque notamment la destruction des Halles de Paris dans un des passages les plus savoureux (ce n’est pas le seul, tant le récit en est truffé). « Debord […] avait plusieurs fois déclaré que Paris était mort moins d’avoir perdu une révolution en 1968 que d’avoir laissé son marché de gros déménager à Rungis l’année suivante. Et le trou qui avait succédé aux pavillons détruits allait servir, pendant la décennie suivante, de lieu commun facile sur l’inanité du progrès, sur l’échec du gauchisme, sur le martyre de Paris, sur le suicide culturel de la France et son absorption terminale par le trou noir de la société de consommation, dernière et plus dangereuse des hérésies millénaristes. » Pour le narrateur, l’architecture porte intrinsèquement le projet civilisationnel. La vision de l’urbaniste se confond avec les besoins et les mythes des habitants. Cette ville-musée, inchangée depuis le XIXe siècle, excluait à travers la gentrification une grande partie de sa population à l’extérieur du périphérique. Ce cloisonnement dans des murs trop étroits s’accordait avec une fâcheuse tendance à se repaître de son illustre passé.
Cette volonté d’unification des divers pans du territoire prendra fin avec la disgrâce d’Alexandre. En proie au doute, après des années d’alcoolisme quotidien, Alexandre n’oublie pas sa destinée. Il parcourt l’Île-de-France à la recherche d’un signe à même de raviver ses utopies. L’effacement du culte de la République consécutif au déclin du catholicisme se perçoit dans les interstices du territoire. Plus rien ne semble arrêter l’incroyable régression symbolisée par cette France du Prince : « Celle des petits propriétaires, des jardins grillagés et des chiens agressifs, la France du plastique et des hypermarchés, qui pendait en décembre des mannequins du père Noël […] La France de ceux qui n’allaient pas très bien et qui comptaient sur la télé pour aller mieux. » Une nouvelle transcendance était nécessaire pour accomplir son grand dessein.
Roman d’anticipation, sociologique ou politique ? Le Grand Paris détonne par sa force narrative et sa capacité à mélanger les genres pour aboutir à un récit singulier. Empreint d’une passivité que l’on peut déceler chez Houellebecq, Aurélien Bellanger s’interroge sur les ressorts de ce futur post-humanisme. La mise en perspective d’une articulation entre les temporalités laisse entrevoir pour le narrateur l’architecture de demain. « Je suis du Grand Paris mais je ne suis pas parisien », clame le rappeur Médine au détour d’un couplet. Finalement, l’ambition de ce livre se résume peut-être dans la résolution de cette équation.
Le Grand Paris
Aurélien Bellanger
Editions Gallimard.
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