Commençons par la fin, une fois n’est pas coutume ; La défaite des idoles se termine par la victoire de François Hollande à la présidentielle de 2012 et l’échec d’un deuxième mandat pour son concurrent Nicolas Sarkozy. La Bastille, envahie par une foule en liesse voulant renouer avec l’espoir, rayonne d’allégresse pendant que les derniers personnages du récit s’entretuent sans scrupule.
La plume enfiévrée de Benjamin Dierstein parcourt ainsi les derniers mois de la présidence Sarkozy débutant avec la mort du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi à l’automne 2011. Il ne s’agit pas d’un polar politique à proprement parler. Ici, la politique se définit d’abord par des conflits d’intérêts ou des rancœurs tenaces. L’éthique, les valeurs ne sont que le paravent médiatique d’une République profondément corrompue. L’auteur scrute justement l’arrière-boutique des décideurs politiques. Dans ce vase clos, la dissimulation de l’information constitue un enjeu primordial. Le cafouillage sur l’arrestation de Merah, les preuves du financement de la campagne de Sarkozy par le régime libyen…toutes les dernières affaires de la présidence Sarkozy sont passées au crible à partir du prisme de l’Etat profond. C’est au cœur des services d’espionnage et de police français que la racine des événements prend forme. Les camps politiques sont le prétexte pour se livrer une guerre sous-jacente de contrôle du pouvoir et des intérêts au sein de l’Etat. Chacun joue sa partition selon son affiliation. Dès lors, la férocité des mafieux n’apparaît plus comme une anomalie. Au contraire, dans sa volonté propre d’étendre son pouvoir et ses intérêts, les moyens d’action employés sont similaires.
Pour mettre en scène son récit, l’auteur suit la commissaire Laurence Verhaegen et un ancien de la brigade des Stups, Christian Kertesz, reconverti dans les sales coups.L’une du côté de l’ordre, l’autre du côté de la mafia. Tous deux habités d’une même désespérance mais d’une volonté implacable d’arriver à leurs fins. Laurence rêve de promotion pour prendre une revanche sur son enfance difficile. Haut placée dans un syndicat de police proche du pouvoir, elle a également ses entrées avec les pontes politiques de la droite, dont le ministre de l’Intérieur Claude Guéant. Elle intègre, en échange de sa nomination à la DCRI, une cellule officieuse chargée de « faire perdre Hollande ». « Verhaegen sort des vestiaires et se regarde dans la glace… Elle s’en moque de ces types mais elles les comprend – elle a trente-sept ans, des jambes longues, un corps musclé, de longs cheveux noirs tirés en queue-de-cheval, et une jolie petite gueule un peu cabossée…Elle n’a pas beaucoup de seins mais elle s’en fout, les seins ça sert à rien-quand un type vous met en joue avec une kalach, ça n’a jamais arrêté les balles. »
L’autre a décroché de l’administration pour verser dans l’illégalité. Depuis, il se démène pour honorer ses engagements crapuleux et amasser de l’argent de manière obsessionnelle. De la menace qui vire à l’homicide sur un entrepreneur au montage d’un réseau international de drogue, rien ne semble ralentir sa fuite en avant. Les deux sont habités par des fantômes du passé, véritable psychose, qui les guident dans l’action et les poussent à agir. L’humanité surgit parfois dans ces moments avant que leur fureur inaltérable reprenne le dessus.
Au-delà de ces deux personnages, une multitude de personnages se mêlent à l’histoire. Des mafieux corses aux Touaregs libyens en passant par des caïds de banlieue, des guerres sans fin se livrent. Ce petit monde se croise sans jamais se connaître. Du fin fond de la Libye aux immeubles cossus du XVIe à Paris, la mort rode partout. Il y a quelque chose de James Ellroy dans cette foisonnante galerie de personnages que les valeurs humaines ont désertés pour laisser place à une soif de cupidité sourde.
Benjamin Dierstein réussit à rendre l’invisible réel dans un roman noir marqué par un profond pessimisme où l’innocence n’existe pas. Une très grande réussite !
La défaite des idoles.
Benjamin Dierstein
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