C.A. Fletcher – « Un gars et son chien à la fin du monde »

Sale temps pour Griz et sa famille : c’est déjà pas marrant d’être né après la fin du monde, de n’avoir comme seul refuge qu’une île et une vie frugale bien que pleine d’amour, il faut qu’en plus le seul visiteur de passage se trouve être un roublard de la pire espèce. Non pas le prince charmant qui arrive avec ses confitures et restes de l’ancien monde, mais un fieffé voleur qui profite d’une soirée un peu trop détendue pour voler son chien, valeur précieuse en ce monde où la moitié des canidés ont sans doute eté exterminé par des hommes peureux, devenus stériles sans qu’on ne comprenne bien pourquoi lors de ce qu’on nomma ensuite la Grande Castration.
Et s’il y a une chose que le jeune Griz ne supporte pas, c’est l’injustice et les voleurs. Et s’il y a un sentiment qui l’anime, c’est la loyauté, l’amour de son chien chevillé au corps, dusse-t-il affronter la mer et retourner sur Terre d’Ecosse pour retrouver son ami, et donner une bonne leçon à ce pirate de Brand.

Débute alors une drôle d’aventure de solitude, dans cette terre dévastée qui fut un jour notre monde. Une traversée aussi bien géographique que poétique, récit triste et aventurier d’un passage à l’âge adulte (et à travers les voiles des croyances) dans « Un Gars et son chien à la fin du monde », premier roman pour adulte de C.A. Fletcher (et traduit par Pierre-Paul Durastanti), auteur jeunesse qui rejoint ici la collection « Les Nouveaux Imaginaires » de J’ai Lu.

  • une missive vers notre monde aux abois.

On s’étonnera d’ailleurs de sa classification ‘adulte’, tant le principe même du récit, plutôt malin, en fait le représentant tout désigné (sa dernière partie à part, et encore) d’une littérature adolescente plutôt introspective.

Tout le « truc » de cette histoire finalement assez classique tient en effet sur un principe de mise en abyme, qui voit, dans un moment ludique méta, le livre que le lecteur tient en main s’avérer être le journal intime que tient Griz, s’adressant à une image d’enfant trouvée lors de ses maraudes.

« Rien ne hante ce stade, sinon un souvenir : des gens l’ont peuplé, voire surpeuplé, et le voici dépeuplé – au sens où quelque chose n’est défait qu’après avoir été fait. C’est l’atmosphère que je m’efforce de saisir depuis que j’ai mis le pied sur la terre ferme. Elle diffère du vide de l’absence. J’y vois plutôt de la solitude, non pas la mienne, mais celle du monde privé de vous tous. Et pendant un certain temps, peut-être, jusqu’à ce que s’efface les signes de votre présence, vos maisons, vos routes, vos ponts, vos stades de foot, tous réabsorbés par la nature, vous lui manquerez. »

Et c’est tout le récit qui se trouve alors perfusé à ce principe, s’arrêtant brusquement pour interroger le lecteur à la seconde personne du singulier, dans une familiarité qui noue immédiatement les deux destins, celui du lecteur et du héros : « Toi, donc ».

« je tombe sur une machine à voyager dans le temps : j’entends ce que tu aurais entendu en tournant la manivelle du lecteur. »
Ou, bien avant : « Dans tous ces romans, ton monde –l’Avant- s’était effondré. Ces écrivains décrivaient mon présent –l’Après-sans savoir à quoi il ressemblerait. »

Sous son angle de dialogue, le livre peut se lire comme un appel à l’éveil des consciences d’une génération, au chérissement du monde qui entoure le lecteur, le poussant non à considérer ce qu’il traverse comme acquis mais comme la construction patiente d’une civilisation qu’un rien peut détruire.

Dans son meilleur, cet appel du pied à un temps long, celui du regard, à la redécouverte du quotidien, dans un monde qui déjà s’effondre par dérèglement climatique, apportera au lecteur une poésie inédite, salutaire pour les plus jeunes qui en hériteront.

Dans son pire, cette naiveté parfois exacerbée du regard repoussera le lecteur un peu plus aguerri, au mieux par son cliché confondant, au pire par la platitude de ses interrogations.

« A l’endroit où la route emprunte une profonde entaille dans un versant, il y a un pont impossible – magnifique, fait de deux rubans de pierre que j’imagine en béton. […] Et toi, l’aurais-tu trouvé merveilleux ? Ou aurais-tu conduit ta voiture en passant dessous sans lui prêter attention ? Etant donné le nombre de miracles qui t’entouraient, il t’arrivait de t’arrêter pour en admirer un ? »

Entièrement bâti sur cette dialectique à sens unique, le roman reste au point mort, relançant tant bien que mal son action à coup de prolepse (si j’avais su à ce moment-là que…), pataugeant dans sa désolation, tentant d’y injecter une mélancolie qu’il ne parviendra jamais à tisser, se réfugiant sans jamais approcher leurs bottes derrière les plus grands récits du genre, parfois même cités directement (La Route, de McCarthy, que Griz croisera) pour tenter de donner corps à ce qui n’apparaitra, au mieux, que comme un pastiche.

  • Un monde remplacable par un monde par un monde par un monde : manque de mordant.

C’est que C.A. Fletcher, bien que plutôt malin dans sa description des étapes de la destruction (mention spéciale aux Boumers) n’est pas un impressionniste, et que son écriture simple et limpide est sans aucun doute sa limite : boitant sans doute par sa focalisation interne, coincé par son point de vue d’adolescent s’adressant à un autre, s’enchaine alors, dans une solitude absolue et une narration déliée phrases courtes et clichés attendus du monde défunt, de la ville désertée au parc d’attraction en ruines, du casino brillant à l’émerveillement de la forêt préservée, du waouh d’un tourne-disque (la musique, cette magie) à l’incompréhension fantoche face aux situations,
Pris par son carcan, incapable tout à la fois de faire exister ses personnages (pas un seul ne semble échapper à sa taxonomie, de l’aventurier roublard au survivaliste walking dead), y compris Griz qui n’achoppera qu’à la toute fin, oubliant ses lieux, C.A. Fletcher pagaye comme il peut en terrain connu, accouchant d’une action lymphatique et sans enjeu (il faut attendre plus de la moitié du récit pour qu’un élément perturbateur vienne vraiment relancer l’action). Détail évident : alors même que l’attachement de l’auteur à son Ecosse natale semble sincère, elle semble comme écrasée par les tropes communs aux récits d’apocalypse, permettant finalement transférer son histoire au nord comme au sud, en Europe comme aux états-unis. Que devient un récit d’espace et d’un monde perdu quand il ne s’attache plus à une Terre ?

Il faut alors attendre avec une patience infinie ou désespéré le dernier tiers (de loin le plus stimulant), sorte de variation -une fois de plus- autour de la Servante Ecarlate, pour que l’action se tende et se noue, révélant par ailleurs les différents horizons du récit : celui de la fable, autour du courage, de la pugnacité, de l’identité même. De ce que cela fait d’être homme (ou femme) au cœur d’un monde effondré, de ceux qui compte pour nous, et ce qui compte pour nous, comme valeur, comme expérience, comme vie.

Un gars et son chien à la fin du monde est le récit d’une confrontation, celle aux autres, aux ruines, et comment par leur violence et leurs faux-semblants, ils nous font grandir. Comment ce qui n’est plus nous apprend à chérir ce que l’on a, et comment l’on préserve qui nous sommes.

Il n’aurait fallu qu’un peu de fantaisie, d’imaginaire (ironique échec pour un livre qui le prône comme baume, dans la collection du même nom) et sans doute de confiance, pour que naisse cette mélancolie qui lui fait tant défaut et que son souvenir se grave avec la puissance du conte.

Editions J’ai Lu, 320 pages, 21 euros. En Librairie.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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