Depuis Romanzo Criminale, Giancarlo de Cataldo s’attache à décrire l’honorable société italienne. Son premier roman évoquait l’ascension d’une bande, soudée par des liens amitié, faisant main basse sur les affaires à Rome, dans l’ambiance politique brûlante des années 1970 en Italie. Avec ce nouveau roman, co-écrit avec le journaliste Carlo Bonini, le juge au tribunal de Rome s’inspire directement des affaires qui ont secoué l’Italie récemment, et dont le procès s’est ouvert à l’automne 2015. Mafia capitale est le nom de ce système politique mis en place dans la capitale et dont les rouages touchent toutes les strates de la société romaine.
Le prologue débute dans les années 1990. Samouraï profite de sa position de leader d’un groupe fasciste pour prendre le contrôle de la ville. « L’idéologie avait été l’appât, mais le projet allait bien au-delà de l’utopie désormais engloutie. Il s’agissait de construire un réseau aux mailles serrées. Ils devaient être forts, déterminés, impitoyables comme les guerriers antiques, mais aussi rusés comme des renards et, en l’occurrence, malléables et urticants comme des méduses. Chacun devait être employé suivant ses qualités propres : chiens fous et professionnels en costard-cravate. Et tous, tous seraient fidèles. » Des années plus tard, la position de Samouraï est confortée dans les faits. Il tient les différents parrains de la mafia romaine et déploie ses activités dans divers domaines. Le point d’orgue va être la construction d’un immense complexe au bord de la mer accueillant casino, restaurants et hôtels. Pour mener à bien ce projet, il s’appuie sur des politiciens vérolés par l’appât du gain. Il compte également sur des petites frappes dont la mission va être de chasser les propriétaires de cabanons. La machine semble bien huilée. Tous les secteurs de la société italienne, de l’évêque gay au carabiniers corrompus, sont représentés dans cette entreprise destinée à soutirer des bénéfices par tous les moyens.
Néanmoins, les équilibres entre ces hommes sont fragiles. Une nuit, le député Malgradi, corrompu et amateur de prostituées, se retrouve, dans une chambre d’hôtel, avec le cadavre d’une femme. Un homme vient, Spadino, pour faire disparaître le corps et étouffer l’affaire. Spadino est une petite frappe appartenant à un clan et rêvant de voir sa position évoluer dans la hiérarchie établie. Il menace le député et se fait assassiner. Dés lors, les tensions exacerbent : les clans sont à couteaux tirés, le sang coule, les cadavres s’amoncellent. L’équilibre entre les parties n’est plus, la vengeance laisse place aux rancœurs tenaces. Les règlements de comptes déciment les bandes désormais rivales.
Le livre dresse un sombre tableau de la société italienne. L’État, au sens d’une entité dotée d’un pouvoir d’action et de régulation, a disparu. Dépossédé de ses prérogatives, il est contraint d’accompagner la marche de cette pieuvre tentaculaire aux multiples ramifications. La démagogie politique est mis au service des puissants. Samouraï possède, en la personne de Liberati, son porte-voix jusqu’au sein d’une radio populaire. Romanzo Criminale montrait la réussite de petits malfrats dans les bas-fonds de la société. Suburra montre un système dévorant, disposant d’alliés au plus haut sommet de l’État.
Face à ce cynisme sans loi ni morale se dresse Marco Malesta, ex-compagnon de Samouraï à la tête d’une compagnie de carabiniers d’élite. L’homme n’a pas la carrure du héros. Il est juste un peu moins dégueulasse que ses semblables. Il ne veut plus changer le monde mais juste essayer de tordre le cou aux salauds. Marco n’est pas seul. Il rencontre une altermondialiste dont la naïveté et l’assurance dans ses engagements le fascine. Et quand elle tente de le pousser dans ses derniers retranchements sur son métier et ses accointances, un ami, procureur intègre, lui rétorque en évoquant une rencontre avec un banquier : « Vous êtes convaincue qu’un banquier est ce qu’en fait, il n’est pas. Moi, je ne sais rien. Moi, je m’occupe des hommes. Je cherche seulement à donner une réponse à leur avidité ou à leur désespoir. »
Marco et ses comparses déconstruisent la machination de Samouraï en défaisant l’un après l’autre les pièces du puzzle. Moins fouillis dans la description des personnages que Romanzo Criminale, les auteurs tissent une intrigue basée sur des identités individuelles fortes. En connaisseurs avérés des réalités, les deux auteurs récitent leur partition avec brio, rappelant les mots de Marc Twain : « La réalité dépasse la fiction, car la fiction doit contenir la vraisemblance, mais non pas la réalité. »
Suburra
Carlo Bonini-Giancarlo De Cataldo
Editions Métailié
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