Auteure d’un premier roman en 2011, Percées et chimères, Charline Effah passe à la vitesse supérieure et signe une seconde œuvre plus aboutie. N’être est un texte incisif à la langue riche et déliée qui revient sur la relation entre une fille et sa mère. Lucinda se souvient d’elle, au pays, de la façon dont celle-ci la traitait. Lucinda désire la revoir, renouer avec cette femme qu’elle connaît à peine pour lui pardonner. Entre temps, la jeune femme a grandit et essaie de faire sa vie, tant bien que mal, en France.

Divisé en trois parties, N’être s’articule autour du point de vue de Lucinda, qui s’exprime tantôt à la deuxième personne du singulier, tantôt à la première. « Le roman se construit autour de l’interpellation de Lucinda à l’endroit de sa mère. Interpellation qui conduit progressivement au dialogue entre les deux femmes », explique Charline Effah.  À travers cet échange, mais aussi le parcours personnel de Lucinda, elle raconte plusieurs histoires d’amour, qui se répondent. Amour filial, relation amoureuse, rapport aux hommes et aux autres femmes font l’essentiel de ce roman court, mais dense. « J’ai voulu m’interroger sur ce qui, dans notre enfance, peut fausser ou construire nos relations avec les autres une fois que l’on est adulte », explique l’écrivaine. « Comment le passé s’imbrique-t-il dans le présent et modifie notre rapport au monde. »

 

 

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En racontant l’histoire de Lucinda, l’auteure dresse un bilan de la condition féminine.  Son personnage fait état de la façon dont les femmes sont considérées dans des sociétés encore très machistes. Qu’elles soient mères ou célibataires, le constat est toujours négatif et elles doivent subir le joug de mâles dominants, leurs lâchetés et leurs intrigues. Pour autant, N’être ne se présente pas comme un brûlot, mais comme une oeuvre introspective sensible et sans concession sur les relations entre les individus. « Ce n’est qu’un roman qui raconte une histoire d’amour malheureuse pour certains, mais réaliste pour d’autres. Un roman, ce n’est pas une vision du monde », se défend Charline Effah.

Dans une veine réaliste, Percées et chimères évoquait l’immigration, les rêves d’Europe et les espoirs déçus. Même si ce thème est présent en filigrane, relégué au second plan, ce second roman s’engouffre dans une veine plus impressionniste. Le pays imaginaire d’où vient Lucinda, et qui pourrait être le Gabon, contrée d’où est originaire Charline Effah, donne un vague aspect fantastique au roman, confère aux personnages un statut presque légendaire. « Je voulais un espace vierge qui abriterait mon projet littéraire pour les années à venir.  C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai appelé cet espace Nlam (ce qui signifie la Terre, le pays). Ca a été un défi pour moi de créer un espace qui n’existe pas, d’y faire entrer et vivre des personnages. »

Le style de Charline Effah a évolué vers une écriture plus ample, plus mystérieuse qui traduit les tourments du personnage principal. Elle n’hésite pas à faire de longues phrases, à user de la répétition, pour plonger au cœur de l’état d’esprit de Lucinda. « J’aime quand les mots, en dehors de leur sens premier, disent l’histoire par les formes qu’ils peuvent revêtir », développe l’auteure. « Je suis très sensible à la musicalité, les sonorités, les allitérations, les onomatopées. Le roman parle d’un manque, d’une double blessure dans la vie de l’héroïne. Les mots, dans leur répétition, disent cette double blessure. » Ainsi s’isole Lucinda, enfermée dans ses pensées et ses réflexions.

N’être est un conte. Un conte marqué du sceau de la mélancolie et qui relate la difficulté à s’incarner face à l’absence de la reconnaissance filiale. Et, sous le drame intimiste et la quête initiatique, se dessine une œuvre personnelle et forte, dotée d’une voix originale qui mérite de se faire entendre.

Propos recueillis via e-mail en janvier 2015.

N’être
Charline Effah, La Cheminante, 2014, 144 pages, 9,90€.

 

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