Marika Maijala – « La plante magique » (Hélium éditions)
Illustré à la gouache, « La plante magique » exprime, dans une image texturée, poétique et colorée, l’histoire de l’éclosion d’une petite plante, baptisée Réglisse, grâce à la tendresse de deux protagonistes, Saule et son amie Brindille. Le titre renvoie à cet héritage de la littérature jeunesse où l’adjectif « magique », souvent accolé à un objet, est finalement devenu générique, tant il promet une immersion dans un monde merveilleux, de tous les possibles. Mais dans l’album de Marika Maijala, la plante magique prend un tout autre chemin que celle d’un Jack et le haricot magique : trouvée derrière une pile de caisse en bois dans une serre, « elle semble morte ». Avec son amie Brindille, Saule va tenter de la faire pousser en la promenant dans le jardin, en l’emmenant en voyage au bord de la mer, en lui faisant prendre la lumière de la lune, et en lui racontant que, « parfois, une toute petite voix est plus bouleversante qu’une chanteuse d’opéra ».
Le coloriage laisse apercevoir les coups de pinceau, donnant à voir une végétation qui inonde les paysages, dans des représentations vivantes et colorées. Les proportions et la perspective sont oubliées, laissant alors place à une liberté narrative et figurative, aussi bien dans la couleur, comme avec ces maisons peintes aux quatre murs d’une couleur différente ; que dans l’humanisation des choses et des animaux, comme avec ces fleurs souriantes ou étonnées ; ou la poule de compagnie de Saule, Eulalie, fièrement campée à la proue d’un bateau ; ou encore ce chien à l’air espiègle que les personnages rencontrent au bord de la mer.
Marika Maijala nous fait rentrer dans un univers avec sa propre géométrie, où tout renvoie à la sensation de foisonnement, de liberté et de joie : cette manière de peindre et cette absence de contours composent un imaginaire où la nature déborde sur l’architecture et sur les personnages, et où la représentation parfois abstraite de certains objets laissent voguer à une polysémie poétique — comme ces buissons faisant penser à des nuages, où ces fleurs rappelant des étoiles. Mais cette abstraction figurée par l’usage de la gouache a paradoxalement cette particularité de représenter une multitude de détails, créant ainsi, alors que l’œil erre sur une grande page illustrée, de minuscules bandes dessinées muettes en arrière-plan. L’imaginaire de Marika Maijala regorge de poésie, de récit, et d’humour —on pense par exemple à ce chien qui avale la boule de glace, tout rond, que Saule a malencontreusement fait tomber.
Marika Maijala compose avec La Plante Magique une fable émouvante, illustrée avec une grande tendresse, sur la quête du bonheur. En montrant l’importance d’embrasser nos singularités, et de recevoir de l’amour inconditionnel, l’épanouissement final de Réglisse symbolise la magie qui en résulte : « On raconte que pour la faire fleurir, il faut savoir l’aimer comme elle est. » E.V.
Oliver Jeffers – « Pendant ce temps sur Terre… » (Kaléidoscope)
Quelque part sur Terre, deux enfants se chamaillent. Pour les faire réfléchir, le père décide un voyage très spécial : une remontée dans le Temps. Pour découvrir les conflits qui ont jalonné l’histoire de l’humanité. La petite famille embarque pour un voyage cosmique qui changera leur point de vue sur le monde.
Avec sa palette graphique et ses couleurs bleu nuit, Jeffers part à la découverte de l’infiniment grand. Si infiniment grand que sa représentation dépasse l’entendement. Mais Jeffers n’a pas peur, son génie est un talent pour l’art, non pour la science. Il a l’idée sidérante de visiter l’espace en voiture, comme on visiterait l’Anneau du Kerry, avec juste un peu d’essence et des casques pour respirer, au cas où. La petite famille est propulsée dans la Voix Lactée en quelques secondes. C’est aussi évident que dans un film de Michel Gondry.
Le texte, découpé en bandes blanches dans le bleu étoilé, se lit comme des messages envoyés par les ordinateurs de la NASA : l’aventure est immédiatement immersive. Avec des distances chiffrées, et des positionnements « cartographiés », l’abstrait de l’immensité se mue en espace temps tangible. De la Lune à Jupiter, on est partout chez soi. De manière à la fois drolesque et vertigineuse, la distance parcourue dans le futur est proportionnellement et parallèlement convertie en remontée dans le Temps. Pour arriver jusqu’à Mars, il faudra juste cinq cents ans, pendant que cinq cents ans plus tôt, ce serait la découverte et l’invasion de l’Amérique. Le vertige nous saisirait s’il ne fallait pas tourner régulièrement les pages et ainsi reprendre contact avec le sol terrestre.
L’expérience que nous propose Oliver Jeffers est spectaculaire en même temps que sensible. Avec quelques mots et un imaginaire singulier, cette exploration inattendue, en la compagnie d’une figure tutélaire protégeant contre l’adversité, rend tout à coup plus vivant – et joyeux. P.V.
Marie-Andrée Arsenault, Manon Gauthier – « La caresse de l’ours polaire » (Editions D’Eux)
Des enfants différents des autres, il y en a beaucoup. Rendre la diversité familière aux enfants le plus tôt possible est une bonne manière d’accueillir la singularité de chacun. Alicia est une petite fille un peu solitaire, un peu différente des autres enfants. On ne sait pas pourquoi, et c’est très bien comme ça.
Alicia se réfugie dans le dessin pour s’inventer un monde – et de la compagnie. Elle s’y réfugie si bien que son imaginaire est capable de l’emporter loin, de la couper de la réalité la plus simple du quotidien. Par chance, elle est bien entourée : il y a la maîtresse, et l’intervenante scolaire, la très précieuse Madame Lili. Cette personne est la seule dame capable d’aider à raccommoder le monde d’Alicia, un monde inventé tout doux par elle, au monde des autres enfants, plus brutal, plus bruyant. Le passage d’un monde à l’autre demande une patience et une douceur très spéciales que seule Madame Lili possède, que seule Madame Lili est en mesure de transmettre à Alicia.
Plonger dans le monde imaginaire d’Alicia, qui est avant tout celui de Manon Gauthier, est une joie pour les yeux et le cœur. C’est un peu comme marcher sur la neige les pieds nus, mais avec une peau qui en sentirait le chaud plutôt que le froid. C’est se perdre dans la multitude des découpages, qui font croire que le lecteur est en train de lire, alors qu’il se cache derrière une fleur. Cette magie de l’enfance est restée vive chez Manon Gauthier. Quand on regarde ses images, on se dit qu’elle doit aimer autant les plantes que les animaux, et que certains humains. Elle utilise des papiers unis et tramés, plutôt décolorés, comme patinés par le soleil et le temps. Il y a beaucoup d’amour dans le monde de cette artiste. Sans elle, aucune caresse d’ours polaire ne pourrait être donnée, et cet album n’existerait pas. P.V.
Somin Ahn – « Un carré » (CotCotCot éditions)
Il y a beaucoup de formes dans le monde. Il y a beaucoup de couleurs, aussi. Les asiatiques ont la particularité de savoir les reconnaître et les assembler avec une élégance raffinée. Et de leur donner une vie qui sait faire vibrer ce qui est offert. Ainsi le petit chat du carré. Il aime sa place jaune. Elle le définit. Il la transporte partout avec lui. Son univers est petit, jaune, carré, il s’inscrit dans l’ouverture du regard, dans la portée de son souffle. Le petit chat chérit son carré jaune comme le souvenir de la mamelle carrément laiteuse de sa mère. Comme le souvenir de la peau carrément tendre pétrie par ses griffes de chaton. Son espace carré jaune est le sien pour la vie. Il l’emporte comme son âme, comme un manteau en hiver, une ombre violette en été. La nature est touchée, elle s’incline, habite tout entière le carré délicieux. Somin Ahn lui rend hommage. Un très gracieux album minimaliste autant que poétique. P.V.
Oili Tanninen – « HIPOU » (Editions La Partie)
Déjà publié en 1967, il obtint alors le prix de l’un des plus beaux livres illustrés en Finlande. A l’époque, on a dit de cet album qu’il était novateur et stylisé, beau et drôle. L’auteur, avant de réaliser ce livre, en avait totalement prédéfini la charte : il devait être peu coûteux, agréable à regarder et facile à tenir. Aujourd’hui les choses ont un peu changé : on pourrait dire que ce livre ressemble à beaucoup d’autres. Oui mais c’est probablement parce que beaucoup d’auteurs et illustrateurs ont emboîté le pas à Oili Tanninen.
HIPOU, ce qu’il raconte, c’est quelques événements du grand quotidien, qu’on pourrait nommer des rituels humains. Ainsi, on prend son bain en noir et blanc, et on en ressort rouge. Ainsi, on s’en va dormir dans un lit blanc et noir, oui mais sur un fond rouge. Sur le fond noir il y a le rouge, sur le fond rouge il y a le noir, c’est simple. Oui mais attention, le blanc se répand parfois, et le rouge aussi. Le petit enfant reconnaîtra son propre quotidien dans les formes aux contours nets, rondes et pleines, comme réalisées au pochoir. Par ces petits rituels partagés par tout les humains, matérialisés dans trois couleurs, il aura le bonheur de vivre ses premières expériences esthétiques. P.V.
Seoha Lim – « Un instant sur la Terre » (Editions la Partie)
L’autrice aborde avec une extrême simplicité des notions complexes à comprendre pour un enfant, lorsqu’il les aborde pour la première fois.
« Au même instant sur la Terre, selon l’endroit où l’on se trouve, des phénomènes opposés ont lieu : il fait nuit quelque part, et il fait jour ailleurs. Le soleil brille ici, et la pluie tombe là-bas. Au Nord, le sol est gelé quand au Sud le soleil tape fort. Au même instant sur la Terre, l’heure diffère d’un fuseau à l’autre, et aujourd’hui, quelqu’un habite déjà demain ! »
Quinze doubles-pages, pour créer un jeu visuel simplifié et montrer simultanément les deux faces d’un même instant. Et cela avec le moins de mots possible, ni repère du contexte géographique des scènes. Seoha Lim montre le jour et à la nuit, les saisons, les pôles, etc. La diversité du monde est ainsi explorée de manière éclatante. Un petit album est modeste en tous points, presque carré à la couverture non vernie, imprimé sur un papier mat en Lettonie. Les dessins sont colorés en aplats, sans contour. Aujourd’hui, la synthétisation des formes, qui est incontournable dans l’album destiné aux tout-petits, parce qu’elle correspond à sa perception, s’étend à tous les âges, et c’est parfois très ennuyeux. Mais ici, ce choix graphique soutient l’idée d’une simplification de notions complexes. P.V.
E t a u s s i…
Michaël Escoffier, Nathalie Dion – « Debout ! » (Editions D’Eux)
C’est l’histoire d’une d’histoire qui donne envie de dormir. En particulier au petit garçon qui n’a pas envie de se lever. Sa maman formule tous les arguments possibles pour donner à son fiston le goût de la journée qui commence. Elle se décarcasse pour lui insuffler l’élan vital dont il manque manifestement beaucoup. Réalisés avec des couleurs pastel, comme souvent chez D’Eux, les dessins sont majoritairement numériques, aux fonds composés de motifs prédéfinis et structurés – brosses et outils photoshop – comme il y a vingt ans. Ce qui est remarquable, c’est que l’illustratrice se soit à ce point mise au service du sommeil.
La relation mère-enfant développée ici est presque attendrissante. Mais parce que le petit garçon met beaucoup de temps pour se décider à se lever, on finit par être mal à l’aise et par s’inquiéter pour lui. L’auteur n’a-t-il pas un peu forcé le trait ? P.V.
Irène Schotch – « Un ours d’hiver » (Editions des Eléphants)
Comme chaque année, à la fin de l’automne, Aldo l’ours se prépare à rejoindre sa tanière d’hibernation. Mais alors que le froid s’annonce, il s’aperçoit qu’un parking a été construit à l’endroit de son habituel nid douillet. Dans l’obligation d’affronter l’hiver de plein fouet, Aldo va devoir surmonter bien des difficultés. Son manteau et son écharpe sont de bien maigres alliés pour survivre dans des conditions pareilles.
Abordant une thématique hélas d’actualité, l’autrice rend palpable la difficulté de vivre sa vie sans endroit à soi. Être un sans-abri est une souffrance physique et morale, une douleur terrifiante. C’est, osons le dire, une forme d’extermination silencieuse, hypocrite, criminelle, quand elle est imposée par la société. Mais le dire semble n’être jamais audible. Alors on le suggère, aussi fort qu’on le peut. Et Irène Schoch y parvient très bien. Son histoire métaphorique et symbolique, au style graphique un peu suranné, est d’une efficacité remarquable. P.V.
Jeanne Boyer – « Les animaux sont rigolos » (Ecole des Loisirs, collection Loulou & Cie)
La belette et la poulette se tiennent par la barichette, l’abeille et la corneille prennent un bain de soleil. Pléthore d’animaux stylisés jouent à jouer, en rimes.
Des dessins réalisés en aplats colorés, et sans contour, destinés à la perception des tout-petits. Entièrement cartonné et facile à tenir dans la main, ce petit album fera sûrement entendre, dès le plus jeune âge, la différence qu’il y a entre le ver et le ver. Ce qui est un très bon début. P.V.
Jean Leroy, Ella Charbon – « Un livre pour deux » (Ecole des Loisirs, collection Loulou & Cie)
Mim et son frère Crocus, deux crocodiles un peu spéciaux, veulent lire le même livre. Papa leur suggère de le lire ensemble, l’un lit pendant que l’autre tourne les pages. Mais le problème est qu’ils veulent tous les deux tourner les pages ! Pour ne pas faire de dispute, Papa propose de tourner les pages lui-même. Mais pendant qu’il y est, ne pourrait-il pas aussi lire l’histoire, demandent les frères ?
Les jeunes lecteurs s’identifieront facilement à Mim et Crocus, car ils réagissent comme tous les enfants : ils se méfient d’une soupe verte, ils n’aiment pas ranger leur chambre, ils aiment qu’on leur lise des histoires, etc.
Le dessin est comme réalisé au pochoir numérique, en aplats colorés sans contour. Un album entièrement cartonné, facile et doux à tenir, qui fera sourire enfants et parents. P.V.
Raphaël Fejtö – « DICO MYTHO » (Ecole des Loisirs, collection Loulou & Cie)
Après DICO CHÂTEAUX et DICO ANIMAUX, Raphaël Fejtö nous présente la mythologie à sa manière. D’Aphrodite à Zeus, voilà tous les dieux ressuscités. De manière très claire, l’origine de chaque dieu y est développée, en prenant soin de garder le plus pertinent de ce qui le définit et le rend symboliquement unique. Il existe mille dictionnaires sur la mythologie. Mais celui-ci à l’avantage d’être utile à chacun. Pour les enfants, il est évidemment un moyen ludique d’apprendre. Mais il est aussi un moyen de faire réviser les parents, et parfois de leur rappeler qu’ils ont oublié beaucoup de choses. Un petit album cartonné, aux dessins réalisés façon BD, avec des contours bien épais et bien noirs, et colorés d’aplats numériques. P.V.
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Alexandre
Bonjour, un petit commentaire pour dire que je viens de lire « Pendant ce temps sur Terre » à mon enfant et c’était super agréable. Bravo pour l’œuvre ! Quel plaisir de pouvoir partager du moment avec lui dans son tipi, je vous le conseille 🙂